L’annonce a fait le buzz : le président de la commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale (Coldeff) a prétendu que les membres de la Haute Autorité de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (Halcia) ont détruit les bases de données des dossiers dont ils ont eu connaissance. Cette annonce a donné lieu à une levée de boucliers au sein d’une certaine opinion publique friande de sensationnel. Les anciens commissaires, directeurs, enquêteurs et personnels administratif et technique de l’ex Halcia ne se sont pas fait prier pour apporter la réplique au président de la Coldeff. Que des allégations, s’indigne le staff de la Halcia, qui informe l’opinion nationale que les bases de données n’ont pas été écrasées : elles sont disponibles et sécurisées. La vérité, c’est que la Coldeff n’a pas ces bases de données parce qu’elle n’a cherché que les dossiers physiques qui ont été mis à sa disposition.
Le plus curieux, c’est qu’il y a eu une passation en bonne et due forme où la Coldeff a pris possession de tout le patrimoine de la Halcia composé de 121 dossiers, 11 véhicules, 200 millions de francs CFA et des mobiliers de bureau, selon la note diffusée par l’ex staff de la Halcia. Pourquoi alors la Coldeff n’avait pas demandé que les données numériques lui soient adjointes ? Il faut craindre que la Coldeff ne fasse dans le populisme ambiant ou se dédouaner au cas où l’opinion se rend compte que des dossiers emblématiques de corruption de ces dernières années ne sont pas sur la table. A partir de l’instant où elle dispose des ordinateurs légués par la Halcia, il ne serait pas herculéen pour les techniciens de récupérer les données. Il faut aussi rappeler que la Coldeff a également reçu plusieurs autres dossiers élaborés par les inspecteurs d’Etat. Pas besoin de pleurnicher ou de vouloir faire la vedette. La Coldeff a suffisamment de matières pour ne pas s’agripper sur des données en version électronique alors qu’elle les a sous forme physique.
Tout semble indiquer que la Coldeff ne fait pas dans le respect des procédures. Après avoir provoqué la colère des avocats qui ne peuvent assister leurs clients devant cette structure administrative violant ainsi le droit de la défense et le principe sacro-saint de la présomption d’innocence, la Coldeff vient de se mettre à dos les magistrats pour ses velléités d’intrusion dans le traitement des dossiers pendants devant les juridictions. Sacrilège. La Coldeff voudrait récupérer ces dossiers. Ce qui va consacrer la mort de la justice à laquelle aspirent nos concitoyens. Le syndicat autonome des magistrats du Niger (Saman) a demandé à ses militants qui exercent au sein de la Coldeff dont le vice-président de se retirer sans délai de cette structure « prédatrice des droits fondamentaux des citoyens ». C’est tout dit.
Le Saman a aussi mis en garde le CNSP contre le « risque d’une crise institutionnelle sans précédent que fait planer ce projet (NDLR : dessaisissement de la justice des dossiers pendants devant elle) à dessein inavoué visant le pouvoir judiciaire ». C’est là un coup de poignard pour la junte dont les méthodes sont de plus en plus décriées, elle qui a prétendu, dans sa première déclaration, respecter les règles de l’Etat de droit dans notre pays. La justice est le dernier rempart contre l’arbitraire. Si les velléités d’instrumentalisation du pouvoir judiciaire prospèrent, ce sera alors un boulevard tout tracé pour la dictature la plus abjecte.
Que dire de la saisie des comptes de Airtel et Zamani en leur réclamant 51 et 17 milliards de francs CFA ? Les agissements de la Coldeff ne seraient-ils pas liberticides et contreproductifs dans un Etat qui reconnait les instruments juridiques internationaux dont la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ?
Aux dernières nouvelles, nous apprenons qu’une réunion de vérité s’est tenue, en début de cette semaine, entre responsables de la Coldeff et ceux de l’ex Halcia : des données écrasées, il n’en est rien du tout. Le président de la Coldeff l’aurait reconnu et souhaité tourner la page de cette grave accusation contre la direction de l’ancienne Halcia.
La rédaction