Après deux ans de gestion du pouvoir par le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), le Cadre de Concertation pour les Luttes Démocratiques (CCLD/BUKATA) a donné de la voix, à travers une déclaration rendue publique le 30 août dernier dans laquelle il a dressé un bilan sombre de la gouvernance actuelle.
La déclaration a passé en revue l’état des secteurs de la justice, de l’éducation et de la sécurité qui doit interpeller au regard du délitement desdits secteurs : les espoirs de refondation autour desquels les citoyens avaient été mobilisés, au lendemain du coup d’Etat du 26 juillet 2023, s’éloignent au profit de pratiques jugées liberticides et contraires aux engagements pris.
Selon le CCLD, la justice, pilier fondamental de toute société, est aujourd’hui instrumentalisée comme le prouvent la dissolution du Syndicat Autonome des Magistrats du Niger (SAMAN) et la radiation de son secrétaire général et de son adjoint. Ces décisions du chef de l’Etat sont intervenues en application d’une ordonnance rétroactive « taillée sur mesure » adoptée le 14 août dernier. Cette ordonnance est contraire à la Charte de la Refondation, qui a valeur constitutionnelle, qui interdit toute rétroactivité de la loi sauf lorsqu’elle accorde des avantages au citoyen. « La justice nigérienne, au lieu de réconcilier, est utilisée comme un champ de règlement de comptes », devait préciser le Coordonnateur du CCLD, Djibrilla Annass, dans la déclaration, et d’ajouter que cette dérive créée de l’injustice et menace la cohésion sociale.
Un autre secteur qui interpelle, c’est celui de l’éducation. Le CCLD n’est pas passé par quatre chemins pour dénoncer les goulots d’étranglement comme des « pratiques dégradantes » révélées dans les universités, des exclusions répétées de leaders estudiantins, une gouvernance universitaire autoritaire, la précarité de la situation des enseignants contractuels, toujours en attente d’intégration et de rappels de salaire. Pour le CCLD, « tant que l’enseignant sera méprisé et que l’enseignement sera relégué au rang de dernier choix, l’école nigérienne continuera de s’effondrer ». C’est pourquoi, il appelle à des assises sur la gouvernance universitaire et à un respect scrupuleux des engagements pris avec les enseignants.
Sur la question sécuritaire, l’un des deux prétextes de la prise du pouvoir par le CNSP, le CCLD plaint les défis auxquels font face les Forces de Défense et de Sécurité dont il a salué la bravoure sur les théâtres des opérations. Face aux attaques terroristes persistantes, il propose la mise en place d’une défense populaire encadrée par l’armée, afin d’associer davantage les populations à la sécurisation du territoire national.
Enfin, le CCLD s’est prononcé sur la fermeture par le Niger de sa frontière avec le Bénin. Cette situation illustre les contradictions de la politique actuelle du CNSP. Alors que le pont reste fermé côté Niger, la traversée par le fleuve n’est pas interdite. Avec la fermeture de la frontière avec le Bénin, les marchandises en direction du Niger passent désormais par le port de Lomé, au Togo, à des coûts exorbitants, ce qui pénalise gravement les populations et les économies locales. Pour le CCLD, cette posture « symbolique » de fermeté se traduit surtout par une lourde facture pour les citoyens.
Une autre facture pour les citoyens, c’est la décision de la ville de Niamey de confier à une société privée, N-TRANS, une mission de police administrative, c’est-à-dire le droit de sanctionner sur la voie publique. Une pratique qualifiée d’« hérésie juridique » qui, selon le CCLD/BUKATA, s’apparente à une arnaque institutionnalisée à l’image de l’affaire des permis biométriques et de l’avènement de la Société Nigérienne de Logistique Automobile (SONILOGA), il y a quelques années.
Au regard de ces dérives, le CCLD/BUKATA estime que la refondation promise n’a pas eu lieu. Dissolution de syndicats, lois liberticides, fermeture prolongée des frontières, privatisation de missions régaliennes, autant de mesures qui, selon les auteurs de cette déclaration, perpétuent les travers du passé sous un vernis de changement. Le CCLD appelle le général Abdourahamane Tiani à respecter les engagements pris lors des Assises de la Refondation et à replacer le peuple au cœur de la gouvernance.
Pour le CCLD, « seul le peuple reste le dernier rempart » face aux dérives, et que la véritable rupture doit se traduire par des réformes concrètes en faveur de la justice, de l’éducation, de la sécurité et du mieux-être social.
Mahamadou Tahirou