« C’est justement parce que ces assises ne sont pas inclusives qu’elles ressemblent à un piège qui enchaine la junte », déclare Saouna Inoussa
L’acteur de la société civile, M. Saouna Inoussa, se prononce sur les questions brûlantes d’actualité notamment les recommandations des assises nationales tenues du 15 au 20 février derniers, à Niamey. Le leader de SOS Tabagisme Niger et analyste politique parle sans tabou de l’inclusivité des assises nationales, du rôle joué par ses camarades de la société civile, des recommandations et des conséquences des assises nationales si la junte les adopte en l’état.
L’Autre Républicain : Acteur de la société civile, vous êtes en retrait de la scène depuis les évènements du 26 juillet 2023. Les assises nationales viennent de se tenir. Quelle est votre lecture de la tenue de ce forum ?
Saouna Inoussa : Je tiens tout d’abord à vous exprimer ma gratitude pour l’opportunité qui m’est offerte d’apprécier la vie de notre pays après plusieurs mois de silence. Comme le dit si bien le proverbe, le jeu en vaut la chandelle. C’est un enjeu essentiel, et chacun d’entre nous doit s’exprimer pour nourrir l’espoir d’un avenir meilleur pour notre nation.
Avant de répondre à votre question, je tiens à exprimer mon indignation face au fait que les assises nationales aient été dirigées et animées de façon particulièrement décevante par des acteurs de la société civile. En effet, à mon avis, il est inacceptable que ce forum puisse se conclure sans aborder la situation de notre camarade Moussa Tchangari, incarcéré depuis quelques mois à Filingué. Ce n’est pas digne que ceux avec qui Tchangari a lutté ne prennent pas en compte son emprisonnement pour des raisons évidentes liées à sa position, tandis qu’ils choisissent de rester silencieux à propos de son sort. Je suis persuadé que Moussa Tchangari exigerait leur libération au préalable s’il était à leur place. C’est regrettable.
Mon impression est que ces assises n’ont pas été à la hauteur des attentes. Aucune des problématiques actuelles du peuple nigérien n’a été prise en compte comme la vie chère, la fermeture de la frontière avec le Bénin, la question de l’insécurité… Vous imaginez que ce forum n’a même parlé de la sortie du Niger de la CEDEAO, qui est un sujet hautement préoccupant pour nos compatriotes. C’est le silence radio. Il ne faudrait pas frustrer les militaires aux commandes du pays, comme qui dirait. On s’est focalisé sur le sensationnel à savoir l’acharnement contre les autres. Les délégués à ces assises ont apparemment oublié que l’Histoire du Niger est dynamique.
L’Autre Républicain : Peut-on dire que ces assises ont été inclusives ?
Saouna Inoussa : A la différence de la Conférence nationale souveraine ou toute autre approche dialogique de résolution ou prévention des conflits, il apparaît clairement que les assises nationales n’ont pas été inclusives du tout. De nombreux segments représentatifs de la société ont été écartés. L’absence des partis politiques est la plus grande anomalie. Comment peut-on écarter ceux qui ont dirigé le pays depuis plus de trois décennies ? Même au sein de la société civile, les choix ont été faits sur la base de la collaboration et du copinage. En réalité, les assises n’ont pas permis un véritable débat contradictoire visant à générer des conclusions constructives. Cependant, il est important d’alerter que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Pour tout dire, ces assises dites nationales n’ont pas mis en avant l’intérêt général. Tout s’est passé comme si le principal agenda de ce forum était un règlement de comptes. C’est justement parce que ces assises ne sont pas inclusives qu’elles ressemblent à un piège qui enchaine la junte. C’est la finalité de ce qui se construit dans le faux et la haine.
L’Autre Républicain : Entre autres recommandations, il y a la dissolution des partis politiques, l’octroi de 5 ans de transition renouvelable au général Tiani, l’amnistie aux putschistes du 26 juillet 2023 et la lutte contre la corruption sous la Renaissance avec à la clef des dossiers énumérés. Quel commentaire vous suscite ces recommandations ?
Saouna Inoussa : J’ai cherché en vain, je n’ai trouvé, hélas, que des personnes qui, pendant plusieurs années, se sont présentées comme les protectrices de la démocratie et des droits de l’Homme au Niger. Ces individus, qui font partie d’organisations et de collectifs engagés pour la démocratie, semblent se sentir dans une certaine aisance morale et impliqués dans la validation des résolutions que j’ai écoutées comme la dissolution des formations politiques, la mise en place de la loi islamique, l’interdiction pour les fonctionnaires de participer à des activités politiques, l’extension illimitée de la transition, etc. Quelle régression !
Concernant le sujet de la lutte contre la corruption, c’est simplement une reprise des réseaux sociaux, un ramassis de ressentiments propagés à dessein par des esprits revanchards. Ce qui est aberrant, c’est que de sources concordantes, toutes les assises régionales ont demandé l’abrogation de la fameuse ordonnance de février 2024 sur les marchés publics mais les assises nationales ont passé cette demande sous silence. Cette ordonnance n’est qu’un ‘’boulevard pour la corruption’’ comme dirait Maman Wada de Transparency International section du Niger.
En toute franchise, je reproche aux partis politiques de choisir le silence, motivé par des calculs et des craintes. Bien que leurs activités soient suspendues, les dirigeants demeurent actifs. Il est temps de prendre la parole. Il est inacceptable de se reposer sur les autres pour mener le combat à leur place. Ils sont les principaux bénéficiaires de la démocratie et ils ont la responsabilité d’agir avec courage. Ils sont, par conséquent, responsables dans une certaine mesure de tout ce qui adviendrait. Ce n’est pas la première transition au Niger. Les partis politiques ont su faire front commun face aux velléités de remise en cause de notre processus démocratique.
L’Autre Républicain : Chose curieuse, et vous l’avez souligné, ces assises ont été dirigées par des acteurs de la société́ civile essentiellement. N’est-ce pas un paradoxe que la société́ civile s’érige en fossoyeuse de notre processus démocratique ?
Saouna Inoussa : Cela ne me surprend absolument pas. Examinez de près la cartographie des acteurs et leurs récentes activités. Il s’agit d’un mélange d’ambitions et de projets en dehors du cadre démocratique. À mon avis, les masques sont désormais tombés. J’ai entendu certains de cette galaxie suggérer d’élever le général Tiani au rang de président de la République. Ils feignent d’ignorer qu’être président de la République ne se décrète pas. Seul le peuple souverain élit le président de la République. Mais à bien les écouter, les 716 délégués, réunis dans des conditions opaques, ont la prétention de s’ériger en peuple nigérien pour imposer des recommandations tirées, comme qui dirait, par les cheveux.
Aussi, le comportement que je constate, en toute franchise, ne m’étonne pas vraiment. Je les connais en grande partie et j’ai une bonne compréhension de leur idéologie. Cela reste toujours éloigné des valeurs démocratiques et républicaines. Pour eux, la démocratie n’est qu’un vocable pour atteindre un but personnel. Ils sont donc dans leur jeu bien connu de ceux qui les connaissent. Certains d’entre eux sont devenus désormais des porteurs d’eau chaque fois qu’il y a dissolution des institutions républicaines.
Leurs partenaires aux niveaux national comme international, qui ont eu foi en leur engagement sincère pour la défense des valeurs démocratiques et qui les ont soutenus avec des ressources considérables, jugeront.
L’Autre Républicain : Le général Tiani a le dernier mot en ce qui concerne la prise en compte ou non des recommandations des assises nationales. Quelles conséquences pour le pays si d’aventure la junte adopte en l’état ces recommandations ?
Saouna Inoussa : Selon moi, les assises nationales étaient un stratagème destiné à piéger le général Tiani. On se rend compte que les résultats de cette réunion correspondent exactement aux propos d’ouverture du général, Gouverneur de la région de Niamey. Il est manifeste que ce discours a des implications dangereuses pour la cohésion nationale. Ce message révisionniste trouve des échos chez certains membres de la société civile qui en deviennent de légitimes relais. Le général Tiani détient la clé de la situation et connaît parfaitement les aspirations profondes du peuple nigérien en matière de démocratie. Je suis convaincu qu’il perçoit clairement les sentiments de ces individus à son encontre. Si la recherche de la paix et de la cohésion fait partie de l’agenda des militaires au pouvoir comme ils l’ont dit à leur prise du pouvoir, alors ils doivent sérieusement tamiser les recommandations des assises nationales pour éviter certains pièges qui pourraient être un péril majeur pour le pays.
L’Autre Républicain : quel est votre dernier mot ?
Saouna Inoussa : Mon dernier mot c’est un appel aux démocrates au regard des résolutions et des intentions affichées par quelques-uns à travers ces assises dites nationales. Il est nécessaire que tous les démocrates sincères puissent unir leurs voix pour préserver le cadre démocratique et encourager le CNSP à s’émanciper de ces résolutions radicales et clivantes dans l’optique de renouer avec la Communauté internationale dans l’intérêt bien compris de notre pays.
Interview réalisée par Elh. M. Souleymane