Le gouvernement du Niger et le groupe pétrolier canadien Zimar ont signé, le 24 octobre dernier, un projet ambitieux de construction d’une raffinerie et d’un complexe pétrochimique à Dosso. Depuis la signature de ce mémorandum d’entente, la polémique ne fait qu’enfler en raison du fait que cette société ne dispose ni de l’expertise nécessaire encore moins des moyens financiers et logistiques pour mener cet important projet à bon port. Dans une lettre qu’elle a adressée, le 30 octobre 2024, à l’Ambassade du Niger aux Etats-Unis d’Amérique, l’Alliance des Nigériens de la Diaspora (AND) estime que l’entreprise Zimar Inc n’a pas de crédibilité statutaire et réglementaire de ses autorités de tutelle et n’a aucune réalisation pétrolière à son actif. Elle n’a pas de point focal enregistré avec l’État de l’Ontario et n’a aucun nom commercial enregistré avec ses autorités de tutelle. En outre, les noms actifs enregistrés au nom de cette entreprise sont soit expirés, soit annulés, indique l’AND.
Pour en savoir plus, nous avons interrogé M. Mohamed Bakie, MBA, Coordinateur de l’AND. Entretien.
L’Autre Républicain : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Mohamed Abdoul Bakie : Je suis titulaire d’une maîtrise en Économies/finance de l’Université de High Point, d’un Diplôme D’Études Spécialisées (MBA) en Comptabilité Financière/ Gestion des entreprises de l’Université Agricole et Technique de la Caroline du Nord, et j’ai bénéficié d’une formation de juricomptabilité à l’université de Duke, toujours aux Etats-Unis. Cette formation comprend la comptabilité judiciaire et la comptabilité d’enquête, entre autres. C’est une filière qui combine les techniques comptables et d’enquête utilisées pour découvrir les cas de fraudes et d’incohérences, ainsi que les manipulations financières des documents incluant le blanchiment d’argent. J’ai été assistant de recherche à l’Université de NCA&T ou j’avais eu le privilège de participer à des recherches avec d’éminents professeurs sur les cas de fraudes en assurance.
L’Autre Républicain : Le 24 octobre 2024, le gouvernement du Niger a signé un mémorandum d’entente avec la société Zimar pour la construction d’une raffinerie à Dosso. Quelle est votre réaction sur cette actualité dans notre pays ?
Mohamed Abdoul Bakie : Effectivement, j’ai appris sur les réseaux sociaux que le Niger a signé un “MOU” mémorandum of Understanding, qui engage le Niger à hauteur de 700 milliards de FCFA ($1,1 milliard). La société retenue s’appelle ZIMAR INC, domiciliée au Canada. Du coup, mes instincts de Juricomptable se sont mis au travail et j’ai découvert que la Société Canadienne ZIMAR INC n’est pas en conformité statutaire et réglementaire avec ses autorités de tutelle. Ensuite, j’ai lancé une alerte sur notre grand groupe WhatsApp afin de pouvoir solliciter les expertises des autres membres dudit groupe pour que chacun puisse apporter sa contribution professionnelle. Ce qui fut fait.
L’Autre Républicain : À ce jour, que sait-on de la société ZIMAR et de ses capacités à honorer un tel contrat ?
Mohamed Abdoul Bakie : A ce jour, les rapports ainsi que les informations reçus du ministère public et des entreprises de l’Ontario, nous ont permis de découvrir la non-conformité réglementaire et statutaire de ZIMAR INC. Ces mêmes informations nous disent également que cette entreprise ne dispose pas de crédibilité statutaire et réglementaire de ses autorités de tutelle, car n’ayant jamais accompli ses obligations de déclaration annuelle de renseignements depuis sa création le 8 décembre 2015. ZIMAR INC serait alors en violations flagrantes des articles 2(1) et (2) de LREPM (Loi sur les renseignements exigés des personnes morales).
L’Autre Républicain : Que retenir de vos investigations ?
Mohamed Abdoul Bakie : Nos investigations ont permis de comprendre un certain nombre de défaillances statutaires et réglementaires de ZIMAR INC, vis-à -vis de ses autorités de tutelle, et également un certain nombre d’anormalités sur sa capacité financière, ses compétences techniques ou sa structure organisationnelle. En effet, l’entreprise ZIMAR est une organisation prédatrice à la recherche d’un gibier ou d’une proie facile, car à peu près 70% des informations sur son site web ont été «copy and paste ». Elle n’a aucune réalisation pétrolière à son actif et voudrait juste nous vendre des illusions, nous tendre un piège pour accaparer nos deniers publics.
L’Autre Républicain : Que conseillez-vous dans ce cas aux autorités nigériennes ?
Mohamed Abdul Bakie : Nos autorités doivent faire recours à leurs Ambassades et à leur diaspora avec la collaboration des autres missions diplomatiques pour les aider à faire les premiers pas à propos des investigations sur les prestataires internationaux. Cela permettra d’éviter beaucoup de surprises désagréables. Les Ambassades, à leur tour, pourront solliciter ou saisir les cabinets professionnels spécialisés qui peuvent leur fournir les meilleures informations sur la fiabilité des prestataires internationaux.
L’Autre Républicain : Que comptez-vous faire pour vous assurer que le Niger ne sera pas arnaqué dans ce contrat ? Comptez-vous par exemple attaquer cette société en justice, ici aux USA ou au Canada ?
Mohamed Abdoul Bakie : Afin de s’assurer que le Niger ne soit pas arnaqué dans ce mémorandum, l’AND va se fédérer avec les autres organes de la société civile nigérienne pour constituer une force afin de pouvoir empêcher à tout prix que ZIMAR INC, avec ses complices, nous dérobe nos deniers publics. Nous sommes déjà en pourparlers avec des cabinets d’avocats et d’autres acteurs de la société civile afin de décider des meilleurs recours possibles contre cette entreprise prédatrice. Nous n’excluons pas d’attaquer cette entreprise devant les juridictions compétentes canadiennes ou d’ailleurs.
L’Autre Républicain : Comment expliquez-vous le laxisme des autorités canadiennes vis-à-vis de cette entreprise ? Pour qui connaît les États-Unis ou le Canada, une société qui n’est pas en règle avec le fisc ne peut en aucun cas mener ses activités à plus raison signer des contrats internationaux.
Mohamed Abdoul Bakie : Pour éviter une friction diplomatique, je ne dirais pas « laxisme » des autorités de l’État de l’Ontario ou de l’État fédéral canadien. Cependant, je dirais que c’est un cas très inquiétant et surtout troublant en ce sens ce que les articles 2(1) et (2) de LREPM (Loi sur les renseignements exigés des personnes morales) disent expressément que toute personne morale qui n’est pas en conformité avec les formalités des renseignements généraux, n’aura pas un certificat de conformité, conséquemment, sa structure sera dissoute.
En temps normal, ZIMAR INC ne serait pas autorisée à mener des opérations commerciales locales et internationales, car selon le rapport des autorités de tutelle, elle est en flagrante violation des 2(1) et (2) de la LREPM. Cette défaillance devrait normalement lui valoir une dissolution administrative et juridique.
L’Autre Républicain : Finalement pourquoi faites-vous ce que vous êtes en train de faire au niveau de la diaspora nigérienne aux USA ?
Mohamed Abdoul Bakie : Nous faisons ce combat par amour ainsi que par conviction pour notre pays, notre peuple et dans le souci d’éviter des erreurs du passé préjudiciables à notre pays, des erreurs telles que celles de Bolloré, d’Africard, Uranium Gate. Pour votre information, en octobre 2023, lors de la visite du Premier ministre à Washington, l’Alliance des Nigériens de la Diaspora a eu l’honneur de le rencontrer avec sa délégation. Lors de nos entretiens, nous leurs avons dit que l’AND, fera de l’activisme économique, financier, fiscal et industriel afin d’accompagner le gouvernement et le CNSP dans leur grande orientation économique.
L’Autre Républicain : Justement, selon vous, quel est le rôle que la diaspora doit jouer dans le cadre de la refondation du Niger et de la bonne gouvernance ?
Mohamed Abdoul Bakie : La diaspora nigérienne doit jouer un rôle très prépondérant à tous les niveaux de la vie sociale, politique, économique et culturelle de notre pays. Chaque membre de notre diaspora est un ambassadeur de notre République. Pour cela, nous devons, chacun de nous, faire la promotion de notre cohésion sociale, de notre unité nationale et de l’esprit de solidarité. Nous devons également réunir nos forces, nos atouts ainsi que nos compétences pour aider notre pays à se placer sur la rampe d’un développement économique durable. Pour cela, il sera primordial que nous membres de la diaspora nigérienne soutienne le CNSP et le gouvernement dans leurs efforts pour l’amélioration du cadre de vie de nos populations, et notre souveraineté sécuritaire, économique et notre dignité en tant que peuple.
Interview réalisée par Maaroupi Elhadji SANI
L’Autre Républicain du jeudi 14 novembre 2024