Le coup d’Etat du 26 juillet 2023 contre le président démocratiquement élu, Mohamed Bazoum, a été justifié par l’insécurité grandissante et la mauvaise gouvernance. Le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) qui a pris les rênes du pouvoir devait, selon toute logique, mettre fin à ces deux phénomènes. Il devait prêcher par l’exemple notamment en promouvant la bonne gouvernance.
Cependant, 16 mois après leur prise de pouvoir et au fil de son exercice, la réalité bien différente commence à émerger : celle d’une gouvernance qui semble s’embourber dans des affaires controversées et, de plus en plus, dans des pratiques qui jurent avec la bonne gouvernance.
Au départ, les messages du CNSP semblaient lutter contre la corruption, remettre de l’ordre dans la gestion des finances publiques, faire rendre gorge aux délinquants financiers et auteurs des différents scandales et autres « Gates », identifiés par la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HALCIA) qui a fait un travail remarquable dans ce sens.
En toute bonne logique, chaque franc investi dans des dépenses publiques devrait être scrupuleusement contrôlé. Or, les récentes révélations, largement relayées par les médias privés, ont mis en lumière une série d’affaires qui compromettent des fonds publics à travers des marchés douteux.
L’affaire de la société ZIMAR, en particulier, a défrayé la chronique ces derniers temps en raison de son caractère particulièrement suspect. L’odeur d’arnaque qui s’en dégage a suscité des réactions indignées. Cette affaire s’ajoute à une longue liste de scandales, dont entre autres la gestion opaque des contrats de la Société Nigérienne de Pétrole (SONIDEP), qui est accusée d’avoir attribué des marchés à des entreprises choisies selon des critères de népotisme, qu’on cherche à justifier par un communiqué qui, au lieu de la blanchir, aggrave plutôt les graves soupçons. Ces pratiques soulèvent de vives inquiétudes, car elles suggèrent que, loin d’apporter un changement radical, la junte semble reproduire les comportements qu’elle prétendait pourtant éradiquer.
Les limogeages sans procédure régulière, comme ceux des secrétaires généraux du Ministère du Pétrole, ajoutent à cette impression d’une gestion en marge des procédures. Une gouvernance sans transparence, sans responsabilité et sans respect des normes établies risque d’isoler encore davantage le pays, en renforçant l’impression d’une politique de « faveurs » et de « relocalisation » du pouvoir au sein d’un cercle restreint.
Ces derniers temps, des journaux privés n’ont eu de cesse de dénoncer des travers dans la gestion des affaires publiques comme la commande de 3,8 milliards de francs CFA de fournitures scolaires par le Ministère de l’Education nationale, l’achat d’un véhicule à un prix qui donne le tournis par un établissement public de la place, l’achat illégal de médicaments dans un hôpital de Niamey, le recrutement jugé suspect d’agents à la Caisse Autonome des Retraites du Niger (CARENI) où le président du Conseil d’Administration s’oppose à la Directrice Générale, le limogeage sans autre forme de procès du ministre Moustapha Barké en charge du Pétrole et de Habibou Issoufou, directeur de cabinet adjoint du général Tiani, sur fond de suspicions de corruption présumée, etc. Sur tous ces cas et d’autres enfouis, le gouvernement reste mystérieusement silencieux. Trois hauts cadres du Ministère du Pétrole ont été limogés sans aucune explication. Les Nigériens se rappellent encore le scandale sur l’or qui a transité par l’aéroport international Diori Hamani avant de se retrouver à Addis Abeba.
La réaction des autorités face à de telles affaires reste à surveiller, car elle pourrait révéler si la junte est réellement prête à lutter contre ces pratiques ou si elle préfère les ignorer pour ne pas froisser des personnalités qui lui sont proches.
La demande de justice sociale a vécu, comme qui dirait. On se rend à l’évidence que sous le CNSP, des citoyens peuvent perdre collectivement leurs emplois au même moment où certains proches ou parents des membres de l’establishment sont embauchés ou promus en violation des procédures et règles établies. Le discours faussement révolutionnaire qui a enflammé les laboussanistes semble atteindre ses limites objectives en matière de gouvernance.
Le climat de corruption ambiant a des répercussions directes sur l’économie du pays. Les investisseurs, en quête de transparence et de sécurité juridique, pourraient hésitent de s’engager dans un tel environnement. Le manque de confiance envers les institutions et l’opacité dans l’utilisation des fonds publics freinent les investissements privés, indispensables pour le développement du pays.
Les promesses d’une gestion transparente et rigoureuse semblent s’éloigner à mesure que les affaires s’empilent. Si cette situation perdure, le pays pourrait bien se retrouver dans un cercle vicieux, où les espoirs de rédemption et de réformes se dissipent, laissant place à une gouvernance toujours plus douteuse. Le Niger a besoin de plus que des discours, il a besoin d’actes concrets et d’une gouvernance véritablement saine et responsable.
Mahamadou Tahirou
L’Autre Républicain du jeudi 14 novembre 2024