Hier, en commentant ma tribune « Démocratie vs état d’exception », Issa Oumarou Maiga m’interpelle en disant que ce serait une contradiction flagrante que les démocrates applaudissent un putsch. Il me rappelle ainsi le grief fait aux démocrates qui ont applaudi les coups d’Etat ayant procédé à la rectification démocratique.
En d’autres termes, y-a-t-il de bon et de mauvais coup d’Etat ? Pourquoi chaque coup d’Etat enregistre ses soutiens et ses porteurs d’eau ? Pourquoi le coup d’Etat est devenu un moyen de régulation démocratique au Sahel ?
Mon premier constat, c’est que dans les pays où l’armée est véritablement républicaine aucune crise ne saurait justifier son intrusion dans l’arène politique. Aujourd’hui, les jeunes soldats en formation observent le raccourci pour obtenir des positions, grades, argent facile et même de mandats « modulables ». Cela impactera inéluctablement leur vocation.
L’armée sénégalaise fait exception dans notre région ouest africaine. Pourtant, la classe politique sénégalaise a les mêmes tares que ses homologues du Sahel dans leur rapport avec le pouvoir. De Léopold Sédar Senghor à Macky Sall, ce pays a connu pas mal de crises politiques mais l’armée n’a pas cédé à la tentation de putsch. Et le Sénégal fort de sa stabilité s’inscrit résolument dans un multilaterisme on ne peut plus gagnant.
On ne cesse de le rappeler, les pays les plus développés ont les armées les plus puissantes et les plus républicaines. « Si les putschs étaient une bénédiction pour les continents, l’Afrique serait le continent le plus puissant au monde », nous a confié le 13 mai 2025, Safia Amoumoune alias « l’apatride féminin ».
Deuxième élément, il importe de distinguer un coup d’Etat qui restaure la démocratie, une rectification démocratique d’un coup d’Etat où les militaires prennent le pouvoir pour remettre en cause les acquis démocratiques. Ce genre de coup d’Etat où le pouvoir appartient à un seul homme ou quelques-uns en instaurant une pensée unique et mettre entre parenthèses les libertés publiques, est une régression, un régime anachronique. Ce genre de putsch caractérisé par le populisme et la propagande est purement et simplement une négation de la démocratie. Sous ce genre de régime on bâillonne le peuple, on martyrise les citoyens en ce sens que la raison du plus fort est toujours la meilleure.
Les démocrates sincères ne sauraient s’accommoder avec un tel régime susceptible de sacrifier sécurité et libertés de la majorité en érigeant des lois scélérates. Il va sans dire que le renversement d’un tel régime ne fera pas pleurer les démocrates. Bien au contraire. Ils vont se délecter de la même façon que les adeptes de la démolition de l’ordre constitutionnel jubilent.
Troisième élément, il faut distinguer les démocrates des fascistes. Au Niger, les observateurs avertis de notre processus démocratique savent faire la part des choses entre les vrais démocrates, les républicains et les opportunistes qui se servent de la démocratie pour assouvir leurs desseins. Ces derniers ont un rapport scandaleux avec la démocratie, une liaison dangereuse avec les putschistes contre les libertés fondamentales.
Il y a des acteurs politiques et de la société civile qui ont été constants et dignes, prêts à consentir des sacrifices pour la préservation de notre processus démocratique. Il y a également des acteurs politiques et de la société civile experts en démolition des institutions démocratiques. Ceux-là ont toujours flirté avec les maîtres du moment comme porteurs d’eau et de bois. Ces « fachos assumés », pour emprunter une expression de Moussa Tchangari, sont bien connus du Cosimba, sous le général Baré, en passant par le tazarce de Tanja Mamadou jusqu’au coup de Jarnac du 26 juillet 2023. Ils sont dans une lutte de positionnement en sacrifiant Tchangari, leur compagnon d’infortune à un moment donné à l’autel de la démocratie.
Quatrième élément, tant qu’on ne met pas en place un mécanisme pour bannir cette frénésie de coups d’Etat au Sahel, le développement pour nos pays n’est pas pour demain. On ne peut rien construire dans l’instabilité. C’est une anomalie de considérer le coup d’Etat comme un moyen de régulation démocratique. Si on n’y prend garde, il y aura toujours de coup d’Etat pour interrompre le processus démocratique. Il y aura toujours refondation et démolition synonymes d’instabilité. Les esprits putschistes trouveront toujours des arguments pour justifier leur forfaiture.
A l’épreuve des faits, les coups d’Etat des juntes sahéliennes actuelles sont des exemples vivants que la bonne gouvernance n’est pas la première qualité d’un régime militaire. Au Niger, entre le régime déchu et le magistère du général Tiani, lequel offre plus de sécurité et de transparence dans la gestion des affaires publiques ? Que dire des libertés et droits humains ? Quid de la souveraineté du peuple ? Dans un contexte d’insécurité criarde, quelle est la pertinence de verser dans l’administration tant de porteurs de tenue ?
En un mot comme en cent, chaque coup d’Etat aura ses adeptes et soutiens. Le vrai débat, c’est de savoir comment transformer les citoyens civils et militaires en républicains ? Le challenge pour le général Tiani et ses compagnons d’armes est comment faire en sorte que la REFONDATION qu’ils prônent soit source de stabilité pour le Niger ? Peut-on refonder sans justice sociale qui semble être le défaut symptomatique de la gestion actuelle ?
Nous osons espérer que les pourfendeurs de notre processus n’hésiteraient pas à nous égrainer les vertus d’une dictature sahélienne…en plus de leur litanie selon laquelle la démocratie serait la cause de tous nos malheurs.
Elh. M Souleymane