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1 décembre, 2025
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Point de vue :   Les habits neufs de l’empereur

Les personnages du célèbre conte du Danois Hans Christian Andersen sont toujours d’actualité. L’empereur vaniteux et narcissique qui soigne son apparence. Deux escrocs qui se font passer pour des tailleurs chevronnés et exploitent la vanité du roi en lui faisant miroiter de merveilleux vêtements inexistants. Ses ministres et ses courtisans n’osent pas, par crainte, reconnaître la réalité et dénoncer le méfait artistique des tailleurs. Alors que le cortège de l’empereur passe et que le peuple applaudit, un enfant remarque la réalité et, seul, dévoile la nudité du roi. À ce moment-là, le peuple ose lui aussi se moquer du spectacle d’un roi dévêtu. Ce dernier continue, sans aucun vêtement et malgré tout, le cortège royal annoncé.

Les empires naissent, vivent et prospèrent uniquement grâce à la tromperie, aux illusions, aux armes et aux promesses imaginaires et bon marché qui ne sont pas tenues. Ceux qui favorisent leur création et leur continuité ne sont rien d’autre que la vanité et donc l’illusion de toute-puissance qui en découle. Le délire de pouvoir a besoin de se revêtir de vêtements et d’uniformes. Il compte en effet apparaître à tout prix pour couvrir le vide qui le poursuit. Le pouvoir devient une fin en soi et se confond avec les moyens de l’obtenir et de le gérer. Le vide s’arme, conçoit des guerres, sème la discorde, provoque des divisions, absolutise les nations et se veut prédateur de l’altérité. Les empires naissent de la vanité et de l’arrogance qui se transforment en religion d’État.

Les empires ne manquent jamais d’agents qui séduisent, promettent et qui, par des flatteries et des mensonges, rendent possibles et réalisables les objectifs et les folies mortelles des princes, des rois et des militaires au pouvoir. Ils vendent des illusions, font semblant de se plier aux vanités et aux méfaits des puissants, alors qu’ils ne font que les rendre encore plus menteurs et lâches. Ils contribuent à créer une réalité inexistante et fonctionnelle au délire de pouvoir qui se transforme en une idole nécrophile. Ce sont des commerçants qui s’enrichissent en vendant le néant dont se nourrit le pouvoir. Leur marchandage fonctionne parce que le roi et les pouvoirs qu’il représente s’entourent de ministres et de courtisans qui les soutiennent par connivence.

La lâcheté, l’intérêt, l’espoir d’en tirer des avantages ou une éventuelle promotion poussent les parents, les amis, les intellectuels, les poètes, les religieux et les artistes à fabriquer la même fiction de la réalité. Le roi n’a pas de vêtements, le pouvoir se montre tel qu’il est, fragile, ridicule, aveugle et impitoyable à la fois. Personne n’ose le dire et alors la réalité et le réel s’éloignent définitivement l’un de l’autre. Entre l’événement et son récit s’insère le mensonge qui est la trahison du fait. L’honnêteté des mots est déformée et revendue au plus offrant du spectacle qui confisque la réalité. Le roi, les tailleurs et les courtisans ne sont rien d’autre que des acteurs comiques et consumés dans le drame qu’on appelle l’empire.

Le cortège pourrait se terminer dans la banalité de la gloire éphémère des parades militaires et des mariages princiers s’il n’y avait pas eu lui, l’enfant. Dans le conte d’Andersen, parmi toutes les personnes présentes, y compris les spectateurs, seul un enfant, exempt de calculs opportunistes et complaisants, crie la nudité du roi ! Ce n’est pas un hasard si, pour l’auteur danois, la vérité est dite par un enfant, symbole de la nouveauté inédite que la vie lui offre comme un privilège avec des yeux non colonisés par le mensonge. Le pouvoir du roi, des princes, des généraux et des entrepreneurs religieux qui en confisquent l’exercice est sans vêtements, ridicule, comique et vulnérable. Des clowns d’un cirque qui continue d’attirer les spectateurs payants et indolents.

C’est précisément un enfant qui reconnaît et crie la vérité de la tromperie qui peut offrir à tous, y compris aux pouvoirs, la possibilité de se racheter. C’est peut-être aussi pour cette raison que, sans surprise, en Occident, les enfants sont combattus, évités et souvent perçus comme une menace. Et pourtant, seul un enfant nous sauvera.

  Mauro Armanino, Padoue, fin novembre 2025

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