« Pour lutter contre la corruption il faut que chaque individu pense de prime abord à l’intérêt de la Nation », déclare Monsieur Lawan Chaibou, vérificateur des douanes et auteur du ‘’Gabelou’’.
Lawan Chaibou auteur de l’ouvrage « Le Gabelou », agent vérificateur des douanes en exercice nous a accordé une interview sur le phénomène de la corruption, non seulement des agents des douanes, mais aussi dans la fonction publique en général. Dans l’entretien qui suit, il décrypte cette gangrène et aborde techniquement le scandale des cigarettes qui défraie la chronique. Il croit avoir proposé un modèle de lutte contre la corruption des agents des douanes à travers « l’initiative de Mamani », le héros de son œuvre.
L’Autre Républicain : Vous êtes auteur de « Gabelou » où, à travers l’initiative de Mamani, vous préconisez une approche pragmatique pour lutter contre la corruption notamment dans le secteur des douanes. En substance, quels messages nos lecteurs doivent-ils retenir ?
M. Lawan Chaibou : Le livre qui a donné naissance à l’alternative contre la corruption des agents des douanes (et de l’État en général) a été écrit dans un contexte plein de contradictions : un agent de l’État, confronté à des difficultés émanant de son chef, refuse catégoriquement ce qu’il considère comme une « subordination déloyale ». Il s’accroche à la réglementation et se consacre loyalement à sa fonction de vérificateur, sans égard à ceux qui se montrent hostiles à la tâche de contrôle.
C’est donc dans un contexte de ce genre que j’ai dû écrire Le gabelou. Mais contrairement aux idées qui se répandent en pareilles circonstances, le livre ne s’est nullement adonné à une quelconque œuvre de dénonciation. Il a été pour moi une bonne occasion pour aborder un mal que l’on considérait comme fatal. Ce mal qui, pourtant, peut être vaincu, ainsi que nous l’avons démontré à travers cette proposition concrète dénommée “Initiative de Mamani”.
L’Initiative de Mamani est donc une solution alternative contre la corruption des agents des douanes, et de l’État en général. C’est une solution réaliste qui prend en compte les tristes réalités du phénomène depuis l’entrée de notre pays dans l’ère néo-démocratique. Pour les agents des douanes, elle consiste à s’auto investir avant toute apostrophe extérieure. Si, en réalité, l’Initiative de Mamani est le produit de la réflexion d’un agent, il n’en demeure pas moins qu’elle se propose d’être un élan d’où peuvent converger tous les agents engagés, qu’ils soient de l’administration des douanes ou de toute autre administration.
L’Autre Républicain : En cette ère de Refondation de notre pays proclamée par les autorités en place, est-ce que l’initiative de Mamani évoquée dans votre livre pourrait constituer une alternative pour un nouveau départ ?
M. Lawan Chaibou : La Refondation appelle à une redétermination profonde de notre mode de gestion considéré dans sa globalité. C’est une épreuve historique qui interpelle la conscience de chaque citoyen en vue d’un changement positif radical. Cette ère de la Refondation, à vrai dire, se caractérise par deux aspects nouveaux en vertu desquels nous pourrions surpasser la nécessité de mise en œuvre d’une initiative (non coercitive comme l’Initiative de Mamani) : le régime militaire et l’engagement général et coordonné du peuple souverain. Dans ces conditions nouvelles, l’Initiative de Mamani pourrait entrer dans la dynamique (de transition) pour préparer les esprits en vue d’actions plus fermes et plus musclées pour chasser définitivement la corruption des rangs des agents de l’État. Pourvu que l’action rencontre la volonté de tous et de chacun.
L’Autre Républicain : Une affaire de transaction de cigarettes défraie actuellement la chronique dans notre pays. Un ancien directeur général et plusieurs cadres des douanes sont sur la sellette. En tant que vérificateur des douanes, quelle appréciation technique faites-vous de cette affaire ?
M. Lawan Chaibou : Avant d’aborder cette affaire, il me semble utile de souligner ce qui suit : la recherche et la répression de la fraude constituent le second volet de l’action douanière. Les dispositions du Code des douanes sont sans équivoque quant aux différents types d’infractions et aux peines prévues pour chacune d’entre elles. Cependant, il n’est pas toujours exigé de poursuivre le contrevenant aux lois et règlements que la douane est chargée d’appliquer.
En effet, après constatation régulière d’une infraction douanière (et même après le passage devant les tribunaux), la personne poursuivie peut demander le bénéfice d’une transaction pour mettre fin à l’affaire dans un cadre simplement administratif.
La transaction est un droit reconnu à l’administration des douanes. Après l’avènement de la Loi 2018-19 du 27 avril 2018, deuxième disposition législative portant code des douanes en République du Niger (après la Loi 61-17), c’est l’article 281 du Code des douanes qui porte sur la question.
Pour l’affaire qui « défraie la chronique », personnellement, je ne sais pas s’il s’agit d’actes de profane ou d’agissements tendancieux qui se justifieraient de la détermination d’une ou plusieurs personnes. Sinon, la Loi ne définit pas les conditions d’exercice de cette transaction, elle en laisse les détails aux dispositions réglementaires, notamment l’arrêté du ministre chargé des Finances. Et c’est à la (ou les) personne (s) poursuivie (s) de demander une transaction après avoir reconnu les faits qui lui (ou leur) sont reprochés. Il s’agit donc pour le contrevenant de faire une offre (clairement mentionnée) pour, comme on le dit, « terminer administrativement l’affaire » c’est-à-dire sans avoir à passer devant les tribunaux ou, si cela se passe après le jugement, sans avoir à appliquer strictement les dispositions répressives du Code. Et l’administration peut accepter cette offre, par le biais de l’autorité habilitée à la représenter. Dans le cas qui se pose à nous, il s’agit d’une affaire (eu égard à la valeur de la marchandise litigieuse) qui dépasse la compétence des tous les responsables à l’intérieur du système douanier, appelant d’office l’autorité hiérarchique supérieure. Et c’est dans cette optique que le ministre a dû coordonner et diriger l’acte de transaction. Pour ce dossier de cigarettes, je ne vois absolument aucune irrégularité qui eût pu valoir autant de bruits.
Et très franchement, je suis plutôt surpris de lire toutes ces consécrations « héros » faites à trois hauts cadres des douanes pour une si simple affaire douanière, très élémentaire dans sa technicité et relativement banale dans sa consistance ad valorem.
L’Autre Républicain : Comment prévenir les pratiques corruptives dans le secteur des douanes en particulier et au Niger en général ?
M. Lawan Chaibou : Il s’agit d’un problème de prise de conscience généralisée. Tant que les agents et leurs parrains (sur le terrain politico-administratif) ne se seront pas sincèrement engagés, nul ne pourra convaincre les corrupteurs (opérateurs économiques) de l’effet néfaste des pratiques corruptives. Mieux, il s’agit en vérité d’un problème qui affecte tout le monde. Tous les citoyens doivent se sentir concernés (attendu qu’ils le sont, réellement) et s’investir pour apporter leur contribution dans la lutte contre la corruption et tous les comportements qui portent atteinte aux intérêts de l’État. Au sein de notre corps, ainsi que de chaque corps des différents cadres du système administratif, le changement de comportement et de mentalité doit commencer par la lutte contre l’égoïsme sous toutes ses formes et l’abandon de l’esprit de rivalité interne qui a assez souvent caractérisé les Hommes.
Voyez-vous, si vous lisez la petite histoire (du peuple de souris) par laquelle Mamani a introduit son exposé lors de la fameuse réunion avec le ministre de l’Argent et des Stratégies économiques, vous comprendrez qu’il invoquait une culture négative qui met en avant l’intérêt égoïste au détriment de l’intérêt général. Dans le cas spécifique de notre histoire, le phénomène s’est produit de façon répétée et à diverses occasions. Pour lutter contre la corruption, il faut que chaque individu pense de prime abord à l’intérêt de la Nation. C’est la détermination de base pour la redétermination générale d’un peuple engagé pour un changement positif, radical et durable.
Réalisée par Elh. M. Souleymane