23.2 C
Niamey
25 novembre, 2025
spot_img

    Point de vue : Annonce de retard

Le train régional en provenance de Naples Centrale et à destination de Rome Termini arrive à l’heure à la gare de Villa Literno. Je ne me souvenais pas que, le 25 août 1989, Jerry Essan Masslo, demandeur d’asile et cueilleur de tomates, avait été assassiné dans cette petite ville. La veille au soir, Jerry, qui avait fui l’apartheid en Afrique du Sud, dormait avec 28 autres migrants dans un hangar. Il avait dénoncé les conditions d’exploitation dont étaient victimes les travailleurs migrants de la région. Un groupe de quatre personnes, le visage couvert, a fait irruption avec des armes et des barres de fer pour réclamer les salaires qui avaient été distribués. Son refus de se plier à leur demande lui a coûté la vie. Peu après le meurtre, la première grande manifestation antiraciste en Italie a eu lieu à Rome, avec la participation d’environ 200 000 personnes. Jerry a eu droit à des funérailles nationales, car sa dignité avait été tuée à plusieurs reprises. À Rome Termini, on annonce que le train Intercity à destination de Turin Porta Nuova arrivera en retard.

À Castel Volturno, où j’étais hébergé pendant quelques jours par ses compagnons de voyage, les missionnaires comboniens, c’est le 18 septembre 2008 que six migrants ont été attaqués et tués et un septième gravement blessé. Tous originaires d’Afrique subsaharienne, en particulier du Ghana, ils composaient la riche diversité de migrants qui caractérise encore aujourd’hui le paysage tout à fait particulier de Castel Volturno. Le lendemain du massacre, quelque deux cents migrants ont organisé un cortège de solidarité et bloqué la via Domiziana pendant plusieurs heures. L’enquête, facilitée par le témoignage du seul survivant, a conduit à l’arrestation, au procès et, pour la première fois dans le pays, à une condamnation définitive pour un massacre de la Camorra reconnaissant la circonstance aggravante du racisme. Sur le lieu même de la fusillade se trouve un monument composé de deux simples fers entrelacés, symbolisant les histoires des migrants qui « se croisent » encore aujourd’hui. Entre-temps, l’on annonce que le retard du train est confirmé.

Castel Volturno est divisé en huit zones et, pour le voyageur de passage, la différence extraordinaire entre elles est frappante. La partie touristique, riche et caractérisée par beaucoup de béton dans un espace réduit, contraste avec celles où la dégradation environnementale facilite également la dégradation humaine. Des centaines de maisons abandonnées, délabrées, vides ou habitées, de façon occasionnelle ou régulière, par des migrants, des demandeurs d’asile ou des étrangers sans identité établie. Certaines maisons sont appelées « connection houses » et deviennent des lieux de rencontre, d’échange, de convivialité et de plaisir payant. On y trouve ceux qui tentent de reconstruire le morceau d’Afrique abandonné pour tenter leur chance ailleurs. Il y a la violence de l’exploitation, l’économie souterraine du travail sous-payé et la main pas si invisible de la camorra. Dans certaines rues de la banlieue, on peut voir des femmes offertes comme des marchandises à des clients occasionnels. Le train est annoncé avec un retard croissant.

Je ne me souvenais pas du tout que l’icône Miriam Makeba, militante et chanteuse originaire d’Afrique du Sud, était morte à Castel Volturno. Désormais affaiblie par une santé fragile, elle s’était consacrée à une tournée mondiale d’adieu au spectacle, chantant dans tous les pays qu’elle avait visités au cours de sa longue carrière. Miriam est décédée dans la nuit du 9 novembre 2008, la même année et au même endroit où les migrants susmentionnés ont été tués. Elle a succombé à une crise cardiaque à la clinique Pineta Grande de Castel Volturno pendant le concert qu’elle avait confirmé malgré les fortes douleurs thoraciques qui l’accompagnaient. Une plaque métallique portant son nom et le titre sous lequel elle était connue et aimée a été apposée sur le lieu de son décès. Mama Africa et Miriam Makeba se confondent dans le même visage, celui de l’Afrique qui vient tenter de libérer le continent qui l’a réduite en esclavage. Entre-temps les voyageurs sont informés que l’Intercity arrivera à destination en retard.

  Mauro Armanino, dans le train, novembre 2025

Related Articles

Stay Connected

0FansJ'aime
3,912SuiveursSuivre
0AbonnésS'abonner
- Advertisement -spot_img

Derniers Articles