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19 décembre, 2025
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Rentrée entrée judiciaire 2025-2026 : les vérités crues de la Bâtonnière

La cérémonie officielle de la rentrée judiciaire 2025-2026, tenue le 12 décembre 2025au Centre de Conférences Mahatma Gandhi de Niamey, s’est déroulée dans un cadre solennel, sous la présidence du chef de l’État, le général Abdourahamane Tiani. Au-delà du protocole, l’attention s’est portée sur un discours attendu et scruté : celui de la Bâtonnière de l’Ordre des avocats du Niger, Me Kountché Adji Fati. Son intervention est faite au nom de l’Ordre des avocats, et des chambres des notaires et des huissiers et commissaires-priseurs. C’était un discours ferme, structuré et sans équivoque, recentré sur les fondements mêmes de l’État de droit que sont la sacralité des lois, l’indépendance de la justice, la liberté des avocats, etc.

D’entrée de jeu, MadameMeKountché Adji Fati a rappelé que l’indépendance de la justice n’est ni une concession politique ni une tolérance circonstancielle, mais une exigence constitutionnelle et démocratique. Selon elle, la justice ne peut inspirer confiance que si elle est rendue à l’abri de toute pression, qu’elle soit politique, économique, administrative ou médiatique. Une justice sous influence, a-t-elle souligné, devient un instrument de pouvoir et non un rempart contre l’arbitraire. La Bâtonnière s’est appesantie sur l’indépendance du magistrat, pierre angulaire de la crédibilité judiciaire. Le juge, a-t-elle rappelé, doit pouvoir dire le droit en toute impartialité, sans craindre pour sa carrière, sa fonction ou sa sécurité. La stabilité des magistrats et le respect de leurs décisions constituent, selon elle, la garantie minimale d’une justice équitable. Sans cette protection, la décision judiciaire perd son sens et le citoyen, toute confiance dans l’institution censée le protéger.

Autre point central du discours : la liberté des avocats. Me Kountché Adji Fati a rappelé que l’avocat est un acteur essentiel du procès équitable et non un simple figurant. Défendre un justiciable, y compris contre l’État, ne doit exposer ni à l’intimidation ni à la stigmatisation. Toute entrave à l’exercice libre de la défense, a-t-elle averti, affaiblit l’équilibre du procès et ouvre la voie à une justice à sens unique, contraire aux principes universels du droit.

Ces rappels, clairs et assumés, interviennent dans un contexte national marqué par des précédents troublants. D’où la question qui s’impose : cette invite solennelle du Barreau sera-t-elle réellement entendue par l’exécutif ? L’actualité récente rappelle à la prudence. En effet, le remplacement brusque du Procureur général près la Cour d’État, la plus haute juridiction du pays, qui serait lié à une décision manifestement contraire aux attentes du pouvoir exécutif, sans explication publique ni procédure connue, a laissé une mauvaise impression au sein de l’opinion.

À ces inquiétudes, s’ajoute la dissolution des syndicats du secteur de la justice dont le syndicat autonome des magistrats du Niger (SAMAN) suivie de la radiation du corps de la magistrature de son secrétaire général et de son adjoint. Sans autre forme de procès. Ces décisions, prises sur la base d’une Ordonnance sur la discipline des magistrats, qui a, fait curieux, un effet rétroactif, ont été perçues comme des sanctions administratives à caractère politique. Elles interrogent sur le respect effectif des libertés syndicales et sur la place du contradictoire dans la gouvernance actuelle.

C’est à la lumière de ces faits que le discours de la Bâtonnière prend toute sa portée. Loin d’une simple allocution protocolaire, il s’apparente à un rappel solennel des lignes rouges que toute gouvernance se doit de respecter. Les principes sont posés avec clarté : une justice indépendante, des magistrats protégés et des avocats libres de défendre. Mais la crédibilité de ces principes dépendra moins des discours que des actes concrets qui suivront.

La Bâtonnière a bien voulu rappeler à qui de droit ce que pensent les nigériens sans voix et leurs attentes. Tout en formulant le vœu que les enlèvements, les détentions arbitraires, les séquestrations et l’obstruction à la profession de l’avocat ne puissent plus avoir droit de cité à l’ère de la Refondation, Me Kountché Adji Fati a déclaré : « Le citoyen lambda ne peut plus comprendre que des délinquants ayant fait des détournements de deniers publics ne soient pas interpellés ».

En parlant de détentions arbitraires et à l’obstruction de la profession d’avocat, sans doute que ceux qui ont écouté la Bâtonnière n’ont pas manqué de penser à la détention du président Mohamed Bazoum, qui, bien que son immunité ait été levée depuis un an et demi, n’est toujours pas présentée à un juge. Le cas aussi de son ministre de l’Intérieur Hamadou Adamou Souley, détenu depuis le 26 juillet 2023, et qui, malgré une décision de justice, continue à garder prison. On attend de la justice plus de célérité pour traiter les dossiers tant des voleurs de poulets que des prévenus politiques comme Moussa Tchangari, Ibrahim Yacouba ou des journalistes détenus à Kollo et Say.

L’indépendance de la justice, comme l’a implicitement souligné Me Kountché Adji Fati, ne se proclame pas dans les cérémonies : elle se démontre dans la pratique quotidienne, dans le respect des décisions judiciaires, dans la protection des acteurs du droit et dans l’acceptation du désaccord. À l’heure où le Niger cherche à consolider sa trajectoire institutionnelle, la rentrée judiciaire 2025-2026 apparaît ainsi comme un moment de vérités. Ces vérités, la Bâtonnière les a dites sans gants.

Reste à savoir si les engagements rappelés avec force par les acteurs de la justice trouveront un écho réel au sommet de l’État.

Mahamadou Tahirou

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