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13 mai, 2025
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Interview avec Mme Safia Ekhya Amoumoune, juriste et femme politique nigérienne

“Si les putschs étaient une bénédiction pour les continents, l’Afrique serait le continent le plus puissant au monde… »

Le 13 Mai est dédié à la femme nigérienne comme journée nationale de la femme nigérienne en mémoire à leur noble lutte pour plus de représentation de la gent féminine à la Conférence nationale souveraine. Dans cette interview, Safia Ekhya Amoumoune, femme politique engagée fait le point sur la situation de la femme au Niger et se prononce sur des questions d’actualité.

L’Autre Républicain :  Présentez-vous à nos lecteurs.

Safia Ekhya Amoumoune : Je m’appelle Safia Ekhya Amoumoune.  Je suis juriste de formation, femme politique nigérienne et mère de quatre enfants. Depuis le coup d’État du 26 juillet 2023, je vis en exil. Je remercie L’Autre Républicain de m’offrir cette tribune pour m’exprimer aujourd’hui à l’occasion de cette journée historique pour la femme nigérienne.

L’Autre Républicain : Quelle est votre analyse de la situation des femmes au Niger ?

Safia Ekhya Amoumoune : La condition des femmes nigériennes reste particulièrement préoccupante. Dans un pays parmi les plus pauvres du monde, les femmes sont confrontées à une multitude d’obstacles. La pauvreté elle-même a un visage féminin au Niger, comme on peut le constater dans les villes et villages. Si vous considérez les statistiques en la matière, vous verrez que les femmes sont plus impactées par la pauvreté que les hommes.

Ensuite le poids des traditions patriarcales y est très fort, créant une sorte de plafond de verre qui limite sévèrement leur épanouissement.

Les femmes nigériennes doivent faire face à l’inégalité dans l’accès aux ressources et dans l’accès aux services, notamment l’éducation et les soins de santé. Elles font également face aux abandons en cycle scolaire et aux mariages précoces souvent imposés, aux violences basées sur le genre et à une stigmatisation persistante. Dans les zones rurales, qui représentent la majorité de notre pays, ces défis sont encore plus accentués. Les femmes y cumulent plusieurs rôles : elles assurent les tâches agricoles, les corvées domestiques, l’éducation des enfants et la gestion du foyer, souvent en l’absence de leurs époux partis en exode économique. Elles sont sur tous les fronts, elles ont tous les devoirs mais sans vraiment avoir des droits réels et une reconnaissance sociale ou économique proportionnelle à leurs immenses efforts.

Dans mon milieu, celui de la sphère politique, la sous-représentation féminine est flagrante. Peu de femmes osent s’engager à cause des préjugés sexistes et de la peur des représailles. La femme politique est souvent considérée comme n’étant pas à sa place, et subit de nombreuses attaques visant à l’intimider, à la salir ou à la faire renoncer. Il faut une grande force mentale pour résister dans un tel environnement, et nombre de nos sœurs ne sont pas prêtes à ce sacrifice et ce, à juste titre, souvent pour avoir vécu personnellement d’innombrables attaques d’une ignominie extrême.

En effet, les engagements politiques exposent à des conflits incessants, pouvant aussi affecter les familles. Il devient alors très difficile pour une femme d’assumer un rôle politique actif sans en subir de lourdes conséquences. Il est urgent de promouvoir leur participation pleine et entière à la vie nationale et de lutter contre toutes les formes d’inégalités pour construire une société plus juste.

L’Autre Républicain : Mme Hadiza Bazoum est otage de la junte depuis presque deux ans, en même temps que son époux, le président Mohamed Bazoum. Comment appréciez-vous sa combativité et son sacrifice ?

Safia Ekhya Amoumoune : Madame Hadiza Bazoum incarne un modèle de force, de dignité et d’engagement. Elle a toujours été un soutien indéfectible pour son époux, et bien avant son accession au rang de Première dame, elle œuvrait déjà pour les droits des femmes et l’éducation des jeunes filles. Présente sur tout le territoire national, elle collaborait étroitement avec les organisations féminines pour améliorer les conditions de vie des Nigériennes.

Malheureusement, ces mêmes organisations gardent aujourd’hui un silence assourdissant face à son emprisonnement arbitraire. Aucune charge n’est retenue contre elle, elle est pourtant isolée, privée de visite, traitée avec un dédain indigne. Je suis profondément choquée par cette indifférence, notamment de la part des féministes qui ont autrefois bénéficié de son appui. J’espère que, lors de cette journée du 13 mai, elles trouveront le courage de défendre au moins ses droits élémentaires, comme le ferait toute société véritablement engagée pour la justice. S’engager aujourd’hui pour réclamer un traitement digne et humain pour Hadiza Bazoum est le minimum que chaque femme peut faire. N’oublions jamais que toutes les fois que nous nous taisons devant un acte d’injustice, nous consolidons dans notre société cette injustice et nul ne sait qui sera la prochaine victime.

L’Autre Républicain :  Vous êtes la première nigérienne victime de l’ordonnance du président du CNSP portant déchéance de nationalité. Vous êtes en exil présentement, comment avez-vous ressenti cette situation ?

Safia Ekhya Amoumoune : Effectivement, je suis la seule femme concernée par cette ordonnance. Sur un plan strictement personnel, cela ne m’atteint pas en profondeur : en tant que juriste, je sais que tout acte émanant d’un régime illégal est nul et de nul effet. Ma nationalité nigérienne ne peut m’être retirée par quiconque. Ce qui me peine davantage, c’est de voir mon pays sombrer dans l’arbitraire, gouverné par des militaires qui prennent des décisions au détriment de l’intérêt général. Vous croyez honnêtement que ces putschistes font du bien à notre pays ?Tout le monde sait que c’est faux et que leur présence est chaque jour un recul pour notre pays. Il n’y a pas un seul exemple au monde où les putschs ont produit le développement d’un pays ou d’un continent.

Si les putschs étaient une bénédiction pour les continents, l’Afrique serait le continent le plus puissant au monde, pourtant c’est loin d’être le cas. Les putschs sont des entreprises de captation de pouvoir tel un butin de guerre. C’est ça la réalité, tout le reste n’est que de la propagande et de la manipulation pour qu’ils puissent asseoir leur dictature.

L’Autre Républicain : On se rend compte que vous êtes plus que jamais virulente dans vos critiques contre le régime en place à Niamey, est-ce l’effet de cette mesure que certains considèrent comme scélérate ?

Safia Ekhya Amoumoune : Absolument, nous continuons d’être encore plus virulents malgré toutes les mesures mises en place pour nous faire flancher. Et je vous assure que notre mobilisation ne faiblira pas, bien au contraire. Les intimidations, les insultes, les menaces ne nous détourneront pas de notre objectif : le retour à l’ordre constitutionnel, la libération de tous les détenus politiques, la restauration de la bonne gouvernance et la paix durable pour notre nation et la restauration de la démocratie. Nul ne peut diriger notre pays par la force des armes et croire que notre peuple va se mettre au garde à vous. C’est à nous de choisir et de sanctionner nos dirigeants par les urnes mais pas par les armes. Nous tiendrons bon, jusqu’à la victoire, in sha Allah.

L’Autre Républicain : Vous faites partie des jeunes spécialistes en douanes admis au concours mais victimes d’injustice. Jusqu’à récemment à travers une publication sur Facebook vous êtes en train de vous battre pour que justice soit rendue à vos camarades. Comment expliquez-vous ce dysfonctionnement de l’administration voire de l’Etat ?

Safia Ekhya Amoumoune : J’ai en effet été admise au concours de la douane, promotion 2018. Ce concours, pour des raisons personnelles et politiques, a été bloqué malgré plusieurs décisions de justice favorables. Avec l’arrivée au pouvoir du président Bazoum, nous avions espéré une résolution rapide, mais cela n’a pas été le cas. Je pense que ce dossier est l’un des rares où le président Bazoum n’a pas agi avec suffisamment de fermeté , et je ne peux pas cacher ma déception vu la foi que j’avais placé en Bazoum pour gérer efficacement et rapidement de tels dossiers avec une injustice flagrante subie par des jeunes nigériens .

Cela dit je dois avoir l’honnêteté intellectuelle de dire qu’il avait mis en place un comité à la présidence pour faire la lumière sur cette affaire. Malheureusement, le coup d’État est venu interrompre cette démarche. Aujourd’hui, les admis n’ont même plus le droit de revendiquer leurs droits sans risquer l’arrestation, comme cela a été le cas pour certains camarades arrêtés après un sit-in pacifique devant la Direction Générale des Douanes.

Ce cas illustre parfaitement le dysfonctionnement de notre administration : des réseaux clientélistes privatisent les emplois publics au détriment de la méritocratie. Nous continuerons de lutter pour que chaque jeune diplômé ait une chance d’accéder aux hautes fonctions de l’administration publique et privée du Niger, quel que soit son milieu social.

L’Autre Républicain : Nombreux sont aujourd’hui les nigériens qui affirment que le coup du 26 juillet 2023 est l’œuvre de certains responsables du PNDS et en particulier de l’ex président Issoufou Mahamadou. Quelle est votre analyse de cette situation ?

Safia Ekhya Amoumoune :  La justification initiale du coup d’Etat était, selon le premier discours de Tiani, l’insécurité et la mauvaise gouvernance. Ce justificatif est en réalité obsolète et ne tient pas, le peuple l’a bien compris au bout de 22 mois de gestion du CNSP. Mais nous, nous savions dès le départ que ces justifications étaient fausses.

Sur le plan sécuritaire, la situation s’est aujourd’hui dégradée. Il n’y a pas de mots pour décrire la catastrophe sécuritaire dans laquelle notre pays est plongé. Sept des huit régions du pays sont touchées, à savoir Tillabéri, Tahoua, Maradi, Dosso, Agadez, Niamey et Diffa, alors que la menace était auparavant contenue au nord de Tahoua et à l’ouest de Tillabéri. Pire, la junte ne communique même plus sur les attaques, ni avec les familles des victimes militaires ni avec les familles des victimes civiles.

Sur le plan de la gouvernance, l’ordonnance n°2024-05 du 23 février 2024, qui exclut les dépenses militaires et présidentielles du contrôle des marchés publics, est un aveu flagrant de la volonté de corruption et de détournement. Les scandales financiers se multiplient, et les mêmes individus que Tiani accusait d’abus sont aujourd’hui bénéficiaires de marchés publics. À l’inverse, sous Bazoum, ces personnes étaient écartées et poursuivies par la justice.

Les nominations ainsi que les marchés publics ne sont envisagés que comme récompenses ou partage de gâteau.

Il n’est plus besoin de Conseil des ministres pour nommer aux emplois publics, il n’est point besoin d’aucun contrôle pour opérer les marchés publics.

Ils savent eux mêmes l’étendue du mal qu’ils sont entrain de faire à notre pays, c’est certainement pourquoi le nouveau slogan de Tiani est : PARDONNER ET OUBLIER .

Nous accusons effectivement Issoufou Mahamadou d’avoir commandité ce coup d’État. Le jour de la séquestration du président Bazoum, il avait clairement dit au président Bazoum qu’il devait signer sa  démission, prétendant que Tiani était inflexible. En tant que grand démocrate dont il s’est toujours prévalu et dont il se prévaut encore à ce jour, il n’a jamais dénoncé le coup, sauf après avoir été menacé de perdre sa place dans le classement Mo Ibrahim. Pourtant, c’était son parti, son ami de 35 ans qui en étaient les victimes directes.

Issoufou Mahamadou a créé et financé une organisation de la société civile favorable à la junte, la DTCR, et continue d’occuper des villas de l’Etat, sous protection de la Garde présidentielle. D’ailleurs, au moment où les manifestants de l’escadrille menaçaient d’aller à Kombo, le quartier où il réside, sa sécurité a été renforcée par le général Tiani.

Issoufou n’a jamais contacté la famille du président Bazoum pour s’enquérir de leur sort, et pourtant, il se présente comme le co-fondateur du parti qui vient d’être renversé.  Il passe son temps à se montrer dans les forum, mais n’a jamais parlé de la situation de Bazoum, son ami de 35 ans.

Sa proximité manifeste avec les putschistes ne laisse guère de doute quant à son implication. Je vais vous faire une confidence, le jour où Mahamadou Issoufou exigera la libération immédiate de Bazoum et Kadidja ainsi que le retour à l’ordre démocratique au Niger, j’arrêterai de le considérer comme le commanditaire de ce putsch de malheur.

L’Autre Républicain : Comment analysez-vous le silence d’une partie de la classe politique face à la dissolution des partis ?

Safia Ekhya Amoumoune : Il est, en effet, déconcertant de voir certains leaders politiques, fondateurs de partis, applaudir leur propre dissolution. C’est à cela que nous avions malheureusement assisté lors des assises instituant cette disollution.

Ce silence peut s’expliquer en partie par l’effet de surprise du coup d’État, et surtout par la vague de répression violente qui s’en est suivie. Beaucoup de ces leaders sont âgés et ont été intimidés.

Quant aux jeunes politiciens, ils suivent généralement les mots d’ordre de ces aînés, qui pourtant, à leur temps, avaient fait le combat à la fleur de l’âge .

Il faudrait que chacun de nous (politiques, société civile, peuple) comprenne que les dictatures et les putschs sont les pires des maux qui rétrogradent nos pays à chaque fois que l’on amorce notre développement.

Au Mali voisin, la réaction des leaders politiques ne s’est pas fait attendre après l’annonce de la dissolution des partis. Le général Goïta était obligé de faire marche arrière et de s’arrêter à la suspension des activités et mouvements politiques. Mais cela n’a pas arrêté les leaders politiques, qui demandent cette fois-ci le retour rapide à l’ordre constitutionnel, face à l’incompétence notoire des militaires après cinq années de gestion .

Je suis convaincue qu’à l’instar du Mali,  tôt ou tard, les forces démocratiques nigériennes sortiront de l’ombre pour faire face à leurs oppresseurs.

J’ai du mal à croire que des Nigériens qui ont vécu sous plus de régimes militaires que civils se font infantiliser au point de croire que les seuls auteurs du mal nigérien sont les partis politiques.

Seul le besoin d’installer une dictature militaire du type des années 70 peut expliquer la dissolution des partis politiques. Remarquez que ces putschistes, qui, aux premières heures du coup d’Etat, disaient n’avoir aucune légitimité pour diriger, oublient cela aujourd’hui et se rêvent à s’éterniser au pouvoir en se servant des gens qui ne représentent rien ni personne dans notre pays .

L’histoire est implacable, ils doivent le savoir, aucun groupe quelqu’il soit ne peut usurper le pouvoir du peuple, même en se servant de la terreur et des emprisonnements. In sha Allah la démocratie renaitra au Niger et au Sahel!

Je voudrais terminer en remerciant les nigériennes et les nigériens et les amis du monde qui sont de plus en plus nombreux à nous soutenir dans ce combat pour la liberté et la dignité.

J’apprécie énormément tout le soutien qu’ils m’apportent au quotidien. Je leur dis encore merci et que Dieu nous aide.

Interview réalisée par Elh. M. Souleymane

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