Une onde de choc a parcouru, le lundi 23 juin 2025, les couloirs de la Société Nigérienne d’Électricité (NIGELEC). Pour la première fois depuis l’annonce controversée de sa « nationalisation » par le Conseil des ministres du 19 juin dernier, les syndicats SYNATREEN, SYNTRAVE et SNAN, réunis au sein de la Fédération des Organisations des Travailleurs de la NIGELEC (FOTN), brisent le silence. Une sortie publique à la fois ferme et mesurée, qui interroge la pertinence d’une décision gouvernementale aux relents plus politiques que stratégiques.


Alors que l’État détient déjà 99,38 % des actions de la NIGELEC, pourquoi parler de nationalisation ? C’est la première pierre jetée dans le jardin de l’exécutif par les représentants du personnel. Une interrogation légitime : que cache réellement cette décision ? Pourquoi réactiver un concept juridico-politique qui n’apporte, dans les faits, aucun changement de fond à la structure de l’actionnariat ?
Le malaise est palpable. Le personnel s’interroge : serait-ce une opération cosmétique destinée à camoufler d’autres intentions ? Une volonté de renforcer le contrôle politique sur une entreprise stratégique ? Ou simplement une diversion pour détourner l’attention de l’opinion sur les défaillances techniques et structurelles qui plombent la fourniture de l’électricité dans le pays ?
Le mutisme du personnel jusqu’ici s’explique. Il y a quelques années encore, ce même personnel s’opposait vigoureusement à la privatisation de l’entreprise. Mais depuis, un équilibre tacite s’était installé : maintien de certains acquis sociaux (13e mois, prise en charge partielle de la consommation électrique, primes) en contrepartie d’une gestion plus ou moins consensuelle. Ce « modus vivendi » semble aujourd’hui rompu.
Les syndicats rejettent en bloc les arguments avancés pour justifier la nouvelle orientation. À leurs yeux, les accusations portées contre les avantages du personnel ne sont qu’un écran de fumée. En réalité, disent-ils, la NIGELEC produit des résultats positifs, et les véritables causes des déséquilibres sont ailleurs : coût du kWh très supérieur au prix de vente, dettes de l’État qui dépassent les 40 milliards FCFA, recours forcé à la production thermique depuis les sanctions de la CEDEAO, chute de pylônes au Nigeria…
Le ton se durcit à l’égard de certains acteurs du débat public. Le personnel syndical fustige un débat télévisé sur la Radio-Télévision du Niger (RTN) qui, au lieu d’éclairer, a jeté l’opprobre sur les travailleurs de la NIGELEC. Un animateur qualifié de « diffamateur », un directeur général de l’énergie accusé de « mercenariat », et des propos jugés indignes dans une République à la recherche d’une souveraineté énergétique.
Il s’ensuit une remise en contexte : chaque agent NIGELEC contribue à plus de 20 millions de FCFA par an à la richesse nationale. Une manière subtile mais ferme de rappeler que derrière chaque délestage décrié, se cache une mobilisation technique et humaine souvent ignorée.
Cette déclaration forte aura-t-elle un impact sur la décision du gouvernement ? Rien n’est moins sûr. Mais elle a le mérite de poser les termes d’un débat que le gouvernement aurait préféré éviter. En dénonçant les vrais goulots d’étranglement du secteur comme l’inadéquation tarifaire, les surtaxations des factures, le passif étatique considérable, les syndicats déplacent le curseur de la responsabilité.
Les recommandations finales sont claires : doter la NIGELEC de véritables capacités de production, régler les dettes de l’État, supprimer les taxes jugées abusives sur les factures des abonnés. Autant de mesures qui pourraient, si elles sont prises en compte, redonner un nouveau souffle à une entreprise sous tension.
Pour l’heure, difficile de dire si le personnel trouve encore son compte dans cette configuration. Entre soutien affiché au CNSP et inquiétudes professionnelles légitimes, la ligne est fine. Cette posture équilibriste illustre bien la complexité du moment.
La nationalisation annoncée est-elle un simple habillage d’un échec de gouvernance, ou une étape vers une réforme structurelle salutaire ? Les prochains jours seront décisifs. Une chose est sûre : le personnel a rompu le silence. Et dans ce vacarme électrique, sa voix pourrait bien faire disjoncter bien des certitudes.
Mahamadou Tahirou