Quand l’eau menace, l’alerte devient une course contre le temps. Chaque saison pluvieuse au Niger est devenue une source d’angoisse collective. Là où l’eau, ailleurs, est une bénédiction pour les populations, elle est considérée ici en un fléau capable de détruire des vies, des espoirs, des villes. L’année 2024 fut marquée au fer rouge : crues brutales, pluies torrentielles, quartiers entiers ravagés, familles déplacées, écoles réquisitionnées comme abris d’urgence, etc.
La saison des pluies 2025 s’annonce redoutable au Niger. Selon la Direction de la Météorologie Nationale, les précipitations de juillet à septembre dépasseront largement les moyennes habituelles. Une abondance d’eau qui, loin d’être un gage de prospérité, fait planer la menace de nouvelles catastrophes, surtout dans des villes comme Tahoua, Maradi et Konni, déjà meurtries par les inondations dévastatrices de 2024.
Ces prévisions ne sont pas qu’un bulletin climatique : c’est une alerte, un cri d’urgence. Car dans un pays exposé aux extrêmes climatiques, l’anticipation est vitale. Les excès de pluie, s’ils ne sont pas contenus, ravageront les cultures, emporteront les habitations, répandront les maladies et jetteront des milliers de familles dans la détresse.
Face à cette réalité, l’heure n’est plus à la simple prévision, mais à l’action concrète : curage des caniveaux, dégagement préventif des zones inondables, sensibilisation communautaire, renforcement des digues. Le temps presse. Si rien n’est fait, les souvenirs douloureux de 2024 risquent de se répéter avec plus de violence cette année.
Du 23 mai au 3 juin 2025, nous avons mené une immersion terrain dans les villes de Tahoua, Maradi et Konni, L’objectif était simple : vérifier si la riposte anticipée était à la hauteur des enjeux. Ce que nous avons vu, entendu, ressenti, dépasse les chiffres. Derrière les machines et les chantiers, il y a des choix, des sacrifices, des volontés, parfois même de l’héroïsme silencieux. Cette enquête ne raconte pas seulement des travaux et des chiffres. Elle raconte aussi une mobilisation humaine. Elle raconte l’histoire des hommes et des femmes qui, cette fois, ont décidé de ne pas subir.








L’alerte de mai 2025 : un signal rouge pour les autorités locales
En début du mois de mai 2025, les bulletins de la Direction de la Météorologie Nationale ont eu l’effet d’un électrochoc. Ils annonçaient une saison des pluies exceptionnellement agressive par endroit. Les villes de Tahoua, Maradi et Konni ne sont pas à l’abri de cette probabilité sur les cartes de risques. Le message était clair : il ne s’agit pas d’une éventualité, mais d’une quasi-certitude à en croire les prévisions. Étant donné la récurrence du phénomène, l’heure n’est plus aux actions d’urgence.
Les souvenirs de 2024 étaient encore vivaces dans les esprits. À Tahoua, les images du quartier Malala dévasté, ses maisons en banco emportées par les eaux furieuses, restent gravées dans les mémoires. Les larmes de familles ruinées, les appels à l’aide sans réponse adéquate, les toits arrachés, les vivres perdus… Les rues du quartier n’étaient plus que des ruisseaux furieux.
À Maradi, les populations du quartier Zarya avaient fui à la hâte, abandonnant leurs biens. Les écoles, sans mobiliers adaptés, avaient servi de refuge, dans des conditions sanitaires effroyables. À Konni, la situation n’était guère meilleure : les mares naturelles comme celles de Rougga ou Tchilacom avaient débordé, coupant les accès, inondant les habitations, isolant des centaines de familles. Ce passé proche a agi comme un catalyseur de conscience. Les populations n’avaient pas besoin d’être convaincues. Elles savaient. Il suffisait que l’État tende la main pour que la réponse s’organise
C’est dans ce contexte d’urgence que le Projet Intégré de Développement Urbain et de Résilience Multisectorielle (PIDUREM) a activé ses leviers. Financé par la Banque mondiale à hauteur de 252 millions de dollars, PIDUREM est plus qu’un projet : c’est une stratégie d’adaptation urbaine face aux chocs climatiques. Présent dans 25 communes du Niger, il combine génie civil, gouvernance locale, et mobilisation communautaire. À Tahoua et à Maradi, le PIDUREM finance des travaux de drainage, réhabilite des ravins, forme les ouvriers, équipe les chantiers, coordonne les interventions. Le suivi technique est assuré par le cabinet Lamco Ingénierie, garant de la qualité et de la durabilité des ouvrages. Ce trio, Mairies, PIDUREM, Lamco forme l’ossature de la riposte anticipée de 2025 dans ces localités
Tahoua, entre prévention et mobilisation
Le quartier Malala ressemble à une cicatrice mal refermée. Les stigmates de 2024 sont encore visibles : pans de murs effondrés, fissures béantes, terrains inhabitables. Mais cette année, les engins de chantier résonnent dans les ruelles. Deux grands chantiers sont en cours : la construction de caniveaux de grande capacité et la réfection de chaussées drainantes.
À notre arrivée, des dizaines d’ouvriers s’activent autour du canal de déviation vers la mare de Babayé. Le responsable local du projet affirme que les travaux ont démarré en avril et que l’objectif est d’atteindre 60 % d’exécution avant juillet. « Nous savons que le temps nous est compté. Mais cette fois, nous avons une longueur d’avance », dit-il avec optimisme.
Nous visitons le chantier du dalot de Guebin Zogui, un ouvrage complexe situé dans un ravin profond. Là, les ingénieurs de Lamco Ingénierie sont omniprésents. Casques vissés, plans en main, ils supervisent la coulée du béton, vérifient les pentes d’écoulement, mesurent les épaisseurs. « Un dalot mal conçu, c’est un piège. Notre rôle est de prévenir les erreurs avant qu’elles ne deviennent fatales », insiste un ingénieur.
Le contrôle qualité assuré par le cabinet Lamco Ingénierie est systématique : granulométrie des graviers, taux d’humidité du ciment, courbes d’écoulement, tout est documenté, analysé, certifié. Ce professionnalisme rassure.
La Mairie de Tahoua a fait de la prévention une priorité. Elle a alloué une enveloppe d’urgence pour compléter les financements du PIDUREM. « Les sinistres de l’an passé nous ont appris qu’attendre coûte plus cher qu’agir », explique l’Administrateur Délégué en visite sur l’un des chantiers. Des campagnes de sensibilisation ont été menées à travers les radios locales et des visites de quartiers. À Malala, les habitants sont régulièrement sensibilisés.
Maradi : à la croisée de la prévoyance et de l’innovation
À Maradi, la dynamique est encore plus impressionnante. Ravins, canaux, routes : la ville est en chantier. Grâce au PIDUREM, les ravins de Bagalam 1et 2, le ravin de Sani Fari, celui de Mazarou Djika sont renforcés par des murs en béton, des grilles de protection, des systèmes de drainage souterrains et des chaussés drainantes des eaux via des collecteurs.
Trois équipes travaillent en rotation, 24 heures sur 24, compte tenu de l’urgence. « Nous avons pris l’engagement de terminer les ouvrages majeurs avant juillet. Nous ne voulons pas d’excuses, mais des résultats », confie le coordinateur régional de PIDUREM Maradi. Les quartiers naguère abandonnés sont aujourd’hui des zones d’intense activité. Les habitants participent, observent, commentent. Cette transparence a renforcé la confiance.
Une des révolutions silencieuses de Maradi, ce sont les pavés hydrauliques. Fabriqués localement avec un mélange de ciment, de granite concassé et d’additifs écoresponsables, ces pavés drainants remplacent le bitume classique. Leur fonction est double : permettre un écoulement rapide de l’eau et renforcer la solidité des chaussées.
Leur fabrication est assurée par des jeunes formés et encadrés par des entreprises partenaires de PIDUREM. C’est une innovation à fort impact : « Nous gagnons du temps, nous créons des emplois, et nous assurons une meilleure résilience de nos rues », explique un technicien trouvé sur place en supervisant la fabrication de ces pavés.
À Zarya, Ibrahim, la cinquantaine, père de famille, nous accueille devant sa maison en reconstruction. L’année dernière, les eaux avaient tout emporté. « Mais cette année, je vois les changements. Il y a des travaux partout. On nous parle à la radio. On nous donne des conseils. Je sens que l’on n’est plus seuls. » Sa femme, Halima, ajoute : « Nous avons même reçu un appui de PIDUREM…. »
Konni : la ville tampon entre prévention minimale et vulnérabilité persistante
À Konni, l’effort est présent mais dispersé. Des curages de caniveaux sont réalisés au centre ville, des actions de salubrité sont menées aux quartiers ancien Ballo Niger, le quartier périphérique sur la route de Dibissou, les alentours de la mare Tchilacom et les alentours de la mare critique du quartier Rougga. La Mairie, avec les moyens de bord, tente de couvrir les zones les plus à risque. Mais le manque de ressources est criant. Certains chantiers sont réalisés de façon manuelle comme le curage des caniveaux dans le centre ville. Cette ville doit être aussi appuyée par l’expertise de PIDUREM car les inondations de l’année 2024 avaient causé des dégâts considérables dans certains quartiers de la ville par manque de grands collecteurs d’évacuation des eaux de pluie. Il faut noter que la ville est serpentée par la maggia, un cours d’eau local. Les techniciens manquent. La supervision est aléatoire. L’ingénieur local avoue : « Il nous faudrait au moins trois fois plus de moyens pour sécuriser la ville. »
Face à cette carence, les relais communautaires s’activent. Les chefs de quartiers organisent des campagnes d’information. Des jeunes volontaires curent les caniveaux, collectent les ordures. L’engagement citoyen est admirable.
Des leaders religieux consacrent leurs sermons à la prévention. Des femmes s’organisent pour collecter les plastiques bloquant les évacuations. Mais tout cela reste fragile sans appui structurel.
Dans les zones les plus vulnérables, comme Rougga, des habitants refusent d’évacuer. « Je suis né ici. Où voulez-vous que j’aille ? », lance un vieil homme. Sa maison est fissurée, le sol instable. Il le sait. Mais il reste. C’est sa terre, son histoire.
Sommes-nous prêts pour l’épreuve des pluies ?
L’analyse est sans appel : Tahoua est méthodique, Maradi est inventive, Konni est courageuse. Mais toutes révèlent une prise de conscience inédite. Le pays commence à comprendre que l’eau n’est plus seulement une question de nature, mais de gouvernance.
Cette riposte n’aurait jamais été possible sans l’écoute de l’alerte météorologique, la réactivité des Mairies, l’engagement de PIDUREM, et la collaboration avec les communautés. C’est un modèle qu’il faut institutionnaliser. Des experts plaident pour la création d’un « Haut-Commissariat aux urgences climatiques » doté de ressources, de compétences et de pouvoir d’intervention rapide.
Il est temps pour le Niger d’inscrire la résilience urbaine au cœur de sa politique de développement. La création d’un fonds spécial inondation, l’intégration des données climatiques dans l’urbanisme, et la mise en place d’un système d’alerte communautaire sont autant de pistes urgentes.
En définitive, on retient que face aux pluies dévastatrices, Tahoua, Maradi et Konni ont choisi la lucidité et l’engagement. À travers le fracas des machines, les mains d’ouvriers, les sermons de prévention et les solidarités locales, se dessine une riposte collective contre l’inacceptable fatalité. Ce combat n’est pas seulement contre l’eau, mais pour la dignité, la vie et la résilience. Le Niger prouve qu’en écoutant les alertes, en agissant tôt et en s’appuyant sur ses forces vives, il peut conjurer la tragédie. Mais ce n’est qu’un début. Seule une volonté politique durable fera de cette vigilance un modèle ancré.
Motions de remerciement
Nous exprimons notre gratitude :
- Aux autorités locales de Tahoua, Maradi et Konni pour leur disponibilité.
- Aux responsables du Projet PIDUREM pour leur transparence et leur engagement.
- Aux représentants des entreprises contractuelles pour leur accueil sur les chantiers.
- Aux ingénieurs du cabinet Lamco pour leur professionnalisme.
- À nos confrères journalistes de la presse locale pour leurs précieuses informations.
- À l’École Supérieure des Sciences de la Communication et des Médias (ESSCOM) pour la mise à disposition de matériel audiovisuel de haute qualité ayant permis de documenter cette enquête dans les meilleures conditions.
Enquête réalisée par Mahamadou Tahirou