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Niamey
3 août, 2025
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       Point de vue : Un retour explosif du Sahel

Le départ définitif vers la patrie, après 14 ans d’absence, se ressent dès l’entrée de l’aéroport international Diori Hamani, premier président de la République du Niger. Les agents des douanes observent avec quelques commentaires les cadeaux reçus avant le départ et rangés dans la valise. S’empilent les petits tableaux représentant le drapeau du pays avec les croix bien connues d’Agadez, entrecoupés de t-shirts, de tissus locaux, de porte-monnaie et de ceintures en cuir, pour finir par des bijoux pour la famille et les amis. Une fois les formalités passées, il reste un temps d’attente avant l’embarquement, qui se remplit de souvenirs et de lectures des messages d’adieu et d’au revoir des amis et connaissances. Puis l’avion décolle et les lumières de la capitale Niamey, plus nombreuses que d’habitude, s’éloignent jusqu’à disparaître, comme pour rappeler que la même chose s’est produite dans le pays ces dernières années. Lumières et ténèbres cohabitent au Sahel, où le malaise politique et économique et les groupes armés semblent s’être donné rendez-vous.

Dans l’avion à destination d’Istanbul, le siège à ma gauche est occupé par un Nigérien qui avoue se rendre à Hambourg, en Allemagne, où il réside depuis des années pour travailler et se former. Il confirme le malaise d’une partie croissante de la population à l’égard de la junte militaire qui, bien sûr, ne peut tenir les promesses faites lors du coup d’État « de palais » il y a deux ans. Il désapprouve les restrictions imposées par le pouvoir à ceux qui osent exprimer une opinion différente de celle officielle et déplore la trahison de certaines figures importantes de la société civile. On a l’impression d’être face à un horizon qui s’éloigne à mesure qu’on s’en approche, comme une utopie perdue dans le désert. Le nouvel aéroport d’Istanbul est, comme le dit la publicité, une plaque tournante mondiale et toutes les destinations semblent y converger. Depuis la zone de transit, on accède aux portes d’embarquement et, dans les longs couloirs, on constate la victoire du marché mondial.

On est encerclé, observé et suivi par des lumières, des vitrines, des serveurs élégants et séduisants, de la musique, des sons et surtout des marchandises à acheter rapidement. Le même spectacle que l’on peut voir dans les aéroports d’une certaine importance. Par exemple celui de Rome Fiumicino, où je suis arrivé l’après-midi du lendemain. Trois ans s’étaient écoulés depuis mon dernier départ et j’avais oublié qu’il y avait encore, loin du Sahel, tant de personnes de la même couleur de peau que moi. Réhabituer mes yeux aux « blancs » qui saturent le paysage après avoir été une minorité « ethnique » pendant tant d’années a été une expérience de réappropriation tout à fait inattendue et déconcertante. Dans l’énième salle d’attente et de transit, j’entends à nouveau la langue qui m’habite et qui a, au moins en partie, défini le récit de mon monde. Demander des explications requière une bonne dose de courage, car on craint que la langue connue ne corresponde plus à celle qui est parlée à ce moment-là.

Sans le vouloir, on écoute les commentaires et les échanges entre les personnes et les membres d’une même famille. Un enfant, assis à côté, certainement pris de compassion, m’offre un biscuit. Il dit à son père assis à côté de lui qu’un peu plus tôt, un monsieur voulait faire de même et qu’il n’a pas accepté parce que le biscuit pouvait être empoisonné. À ce stade, j’ai naturellement refusé le biscuit en invoquant la même excuse. Puis, au moment d’atteindre la porte d’embarquement, un dernier obstacle. Une femme élancée en tenue militaire m’a intimé de montrer la paume de mes mains. Elle y a apposé une sorte de petit pansement blanc, puis a fait de même sur mes deux chaussures. À ma grande surprise, après avoir demandé à l’autre militaire la raison de ce contrôle inhabituel, on m’a répondu qu’il s’agissait de contrôles occasionnels visant à vérifier si la personne ne transportait pas de substances explosives.

Avant de prendre congé, j’ai avoué à la dame qu’en réalité, je suis explosif, mais pas dans le sens où l’entendait le contrôle effectué. En effet, à ma connaissance, il n’y a rien de plus explosif qu’un Dieu pris au sérieux. L’atterrissage de l’avion à Gênes, destination finale, a été l’occasion de faire connaissance avec mon voisin de voyage, qui s’est révélé être un carabinier à la retraite et fermement opposé aux manifestations de soutien au peuple palestinien. Dans la zone de retrait des bagages de l’aéroport, la photo du pesto trône à gauche et celle de la célèbre focaccia de Gênes à droite.

  Mauro Armanino, Casarza Ligure, aout 2025

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