Deux ans après sa prise du pouvoir par la force, le général Abdourahamane Tiani s’est adressé à la Nation dans un discours fleuve où l’autosatisfaction le dispute à la déconnexion. Dans un ton ferme, presque conquérant, le chef de la junte militaire s’est félicité des « avancées » accomplies depuis le 26 juillet 2023, date du coup d’État contre le président démocratiquement élu Mohamed Bazoum. Mais au-delà des formules épiques sur la souveraineté et l’anticolonialisme, le discours du général laisse un goût amer : celui d’un pouvoir enfermé dans sa propre narration, sourd aux réalités tangibles vécues par une population épuisée.
Le Général dresse un tableau manichéen : d’un côté, les « patriotes » du CNSP, porteurs d’un projet de rupture historique avec 65 ans de soumission ; de l’autre, des ennemis extérieurs, la France, la CEDEAO, les puissances occultes accusés d’avoir tenté par tous les moyens de briser ‘’l’émancipation’’ du Niger. Le récit est commode, bien huilé, mais il fait l’impasse sur les questions brûlantes que se posent les Nigériens au quotidien. Pourquoi les salaires sont payés en retard depuis deux mois de cela , les bourses en souffrance, les pensions bloquées ? Que dire de l’effondrement des services publics, de l’inflation étouffante et galopante dans nos marchés qui sont dus à un approvisionnement à haut risque et très coûteux pour les importateurs, du chômage rampant ? Rien. Le Général n’en parle pas.
Plus grave encore, aucune mention n’est faite du président Mohamed Bazoum, toujours arbitrairement détenu dans un isolement total avec sa famille, en violation flagrante du droit national et international. Le silence du chef de la junte sur cette affaire, au cœur de la crise de légitimité du régime, en dit long sur l’état de droit au Niger. Il ne s’agit plus d’un simple oubli, mais d’un déni assumé.
Dans son message, le Général évoque fièrement la mise en place d’institutions transitoires issues des assises de Niamey. Mais peut-on réellement parler d’inclusivité lorsqu’aucune opposition crédible, aucun corps intermédiaire libre, aucune voix discordante n’a eu droit au chapitre ? La « Charte de la refondation » est présentée comme une œuvre consensuelle alors qu’elle est le fruit d’un entre-soi politique orchestré par la junte et ses partisans. C’est une refondation sans contradiction, un théâtre sans spectateurs.
L’un des paradoxes les plus criards de ce message réside dans l’illusion d’une proximité avec le peuple. Depuis deux ans, le Général Tiani n’a jamais mis les pieds dans un chef-lieu de région, encore moins dans les zones rurales, là où pourtant la misère est la plus extrême. Il n’a pas vu les classes sans enseignants, les dispensaires sans médicaments, les paysans ruinés par les pénuries et l’insécurité. Il semble gouverner à travers des fiches aseptisées, des comptes rendus enjolivés, des récits cousus sur mesure par des conseillers zélés. Le pouvoir vit dans une bulle. Le peuple, lui, vit dans la détresse.
Le CNSP continue de clamer que « le peuple le soutient ». Peut-être. Mais ce soutien s’effrite, rongé par les désillusions, les attentes trahies, les promesses non tenues. L’euphorie du changement s’est transformée en résignation amère. De plus en plus de Nigériens, dans le silence et la peur, appellent au retour de la démocratie et à la libération de Bazoum. Ils n’osent pas parler, mais ils pensent, ils souffrent, et ils observent.
Au lieu de verser dans l’autosatisfaction et la propagande, le pouvoir devrait avoir le courage de regarder la réalité en face. Le Niger mérite mieux qu’un discours martial. Il mérite l’écoute, l’humilité et la vérité. Deux ans après le coup d’État, l’heure n’est plus à l’exaltation, mais à l’introspection. Car la souveraineté ne vaut rien sans justice, sans liberté et sans dignité.
Mahamadou Tahirou





