Par Elh. M. Souleymane
Au regard de l’imbroglio qui se passe au Niger autour de l’affaire relative à la transaction des cigarettes par la douane, il y a lieu de se demander pourquoi le directeur de publication du journal Le Courrier, Ali Soumana, continue à garder prison ? Pourquoi tant de rebondissements dans cette affaire ? De façon plus globale, pourquoi ce manque de sérénité observé dans le secteur judiciaire ?
Pourquoi certains dossiers sont traités de façon expéditive et d’autres font l’objet de ping-pong entre la police judiciaire, la justice et le ministre de la justice ? Tout cela est terriblement symptomatique de l’insécurité juridique dans notre pays.
Selon les jurisconsultes : « L’insécurité juridique peut se définir comme l’insuffisance de garantie des droits fondamentaux et des libertés individuelles ». Nul n’a besoin d’un dessin pour se faire une idée de l’état des droits humains au Niger. « La sécurité juridique est la garantie des droits. Or, l’article 16 de la Déclaration de 1789 dispose que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation de pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Qui peut garantir les droits ? C’est le juge ».
Il est évident que tout notre problème au Niger est inhérent au fait que la séparation des pouvoirs n’est plus d’actualité. Jamais dans une architecture institutionnelle on a donné autant de pouvoirs à un seul homme, et qui plus est n’est pas un élu. Même la dictature romaine avait un contre-pouvoir, aujourd’hui en s’auto-confiant tous les pouvoirs, le Chef de l’Etat met l’ensemble de l’édifice et notamment la justice dans une précarité inouïe.
Aujourd’hui, c’est un truisme de dire que les pouvoir exécutif, législatif et judiciaire se confondent. Ils sont concentrés entre les mains d’un seul homme et l’histoire n’a pas produit d’exemple où une telle concentration de pouvoirs a permis de créer les conditions de justice, de libertés et de progrès. En vérité, une telle situation est une anomalie politique et humaine.
C’est cette double anomalie qui est à l’origine de cette justice à double vitesse, avec la crainte de la sanction du Chef de l’Etat comme une épée de Damoclès sur les têtes des magistrats.
Pour ne considérer que la récente affaire des cigarettes et celle du ‘’marabout tueur’’, les commentaires des citoyens vont dans tous les sens sur le traitement de ces affaires par la justice du fait justement de l’ingérence de l’exécutif.
L’affaire des cigarettes n’a visiblement pas fini de rebondir. Qu’en est-il de la responsabilité du Premier ministre qui a apposé sa signature sur le rapport de transaction, donc qui l’a validé ? Pourquoi le journaliste Ali Soumana qui a révélé que le Premier ministre Ali Lamine Zeine a apposé sa signature sur ce rapport garde-t-il toujours prison sur plainte de ce dernier ? Pourquoi le Procureur général près la Cour d’Etat est sanctionné par le ‘’tout puissant’’ ministre de la justice pour avoir dit le droit, pour avoir dit qu’il n’y a pas lieu à poursuivre l’ex directeur général des douanes ? Comment cela soit possible qu’un seul homme soit au-dessus de toute une institution, la justice.
Même constat avec l’affaire du « marabout tueur ». Dans cette sombre affaire, les citoyens ne sont guère rassurés d’apprendre qu’après quatre confrontations l’ancien ministre d’Etat Ibrahim Yacouba et les assassins ne se connaissent ni d’Adam ni d’Eve. Malgré tout, Ibrahim Yacouba est précipitamment envoyé en prison. Pourquoi la présomption d’innocence n’est plus respectée dans ce pays ? Pourquoi la liberté des uns ne vaut rien ? Dans quel pays une telle situation est-elle possible où une personne qui n’a jamais été citée par les meurtriers présumés, qui n’a jamais eu ni contact direct ou indirect avec eux, qui a toutes les garanties de représentation se retrouvent en prison pour …. RIEN ?
Cette insécurité juridique flagrante n’est que la conséquence de la faiblesse du pouvoir du juge dépouillé de son indépendance et même de sa personnalité et qui, comme par fatalisme et défaitisme, s’en remet au bon vouloir du prince. Dans ces conditions où le juge, à tous les niveaux, peut être sanctionné pour avoir fait son travail, comment pourrait-il être le rempart contre l’arbitraire ? Sans être violent ou radical, le Nigérien commence à considérer que la justice au Niger ne « sert plus à grand-chose’’, sauf à réprimer les « mauvaises personnes ».
Aujourd’hui, des citoyens sont déportés sans autre forme de procès, détenus de façon extrajudiciaire ou accusés sur la base d’allégations fallacieuses. Jamais, dans toute notre histoire récente, le citoyen ne s’est senti en insécurité juridique que sous cette ère dite de Refondation.
Au 21ème siècle où le respect des droits et libertés des citoyens fait partie intégrante des critères de bonne gouvernance, on trouve des citoyens assez ‘’civilisés’’ pour nous présenter cette régression des droits humains comme un progrès pour notre pays. En vérité tant que cela ne les concerne pas ,certains esprits perdus ont tendance à se sentir indifférents ou même à se réjouir des injustices humaines. C’est une aberration.
Dans un monde où le multilatéralisme s’impose à tous, il faudrait savoir raison garder. Aucun pouvoir n’est éternel. Aucune situation n’est permanente et l’heure des comptes ne prévient jamais. Sachons donc toujours raison garder et préserver la justice, la dignité et la liberté des Nigériens. Cultivons la paix et la justice pour tous et en tout temps.
« Les cimetières sont pleins de gens irremplaçables, qui ont tous été remplacés », comme dirait Georges Clemenceau.
Elh. M. Souleymane