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Niamey
8 septembre, 2025
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Point de vue :  Avec ce qui reste du monde

Après le retour définitif du Niger et 14 ans passés dans le Sahel, malmené par des groupes armés qui utilisent la mort et la terreur comme stratégie. Après que les frontières se soient armées de toute part et que les murs aient poussé partout dans le quotidien. Après les morts des migrants qui cherchent un autre monde dans le monde. Après que les armes et les guerres qui les utilisent pour les perfectionner semblent désormais être la diplomatie entre des pays aux intérêts divergents. Après que les empires reviennent montrer avec arrogance le visage cynique du pouvoir qu’ils n’avaient jamais abandonné. Après que les illusions du progrès illimité et de la mondialisation heureuse aient été réalisées. Après que la justice sociale semble avoir été trahie et vendue pour quelques deniers de « cohésion sociale ». Après que les grands récits de l’histoire aient cédé la place à l’actualité quotidienne. Après les coups d’État militaires qui promettent tout refonder pour que rien ne change. Après tout cela, on devrait se demander quoi faire de ce qui reste du monde.

Après l’hypocrisie du droit international dont l’application est variable. Après la démocratie exportée de force et mystifiée à la source par la soif de pouvoir et d’argent. Après avoir mutilé le mystère de la personne humaine à la seule dimension du commerce et de la consommation. Après avoir continué à creuser le fossé qui sépare les mondes entre ceux qui peuvent voyager librement et ceux qui sont destinés à disparaître comme superflus. Après avoir déclaré et immédiatement confisqué l’affirmation que tous les êtres humains naissent égaux en dignité et en possibilités. Après avoir lutté pendant des années pour les acquis du travail et les avoir vus se diluer dans l’exploitation programmée et l’exclusion dès la naissance. Après les idéologies qui ont emprisonné la réalité en en falsifiant les contours et la portée subversive. Après avoir cru à la rédemption par le sacrifice violent des innocents. Après avoir menti pendant des années sur le sens de l’histoire pour se retrouver dans une histoire sans sens. Que faire de ce qui reste du monde.

Après l’époque coloniale, l’époque impériale et enfin celle du néant ou du nihilisme. Après que les marchandises et le marché soient devenus tout et que tout soit devenu marchandise, y compris le corps humain. Après que les mots aient été dévalorisés, vidés de leur sens, offensés, manipulés et déformés par des imposteurs. Après que la violence ait été banalisée. Après que la frontière entre le vrai et le faux soit devenue négociable en fonction des intérêts. Après que la justice se soit progressivement transformée en charité, puis soit devenue l’apanage de l’ambiguïté humanitaire. Après que les riches et les puissants ont façonné le monde à leur image et à leur ressemblance. Après que les religions se sont rangées aux côtés du pouvoir pour en garantir la durée et la stabilité. Après que l’information a été gérée par des mercenaires à la solde du dictateur en place. Après que la paix a été confondue avec la domination du mensonge. Après qu’il semble impossible de croire encore qu’un autre monde est possible. Que faire de ce qui reste du monde.

Recoudre, nettoyer, renouveler, recréer et redonner statut et dignité aux mots. Régénérer la politique et la replacer avant les choix économiques. Restaurer le sens de la démocratie substantielle à partir des oubliés, des marginalisés et des trahis. Réécrire l’histoire avec et pour les humiliés, les appauvris, les abandonnés et les vendus du système. Recommencer à écouter le silence perdu dans la douleur des mères et des pères. Redonner de l’espace aux rêves et aux visions des jeunes, seuls à imaginer un monde qui n’est pas encore entrevu. Réconcilier l’utopie du désarmement sans défilés militaires, sans usines d’armes et sans ogives nucléaires. Se rééduquer pour effacer du vocabulaire toute trace de nationalisme armé parce qu’il exclut l’autre. Ressusciter la vérité enfouie dans les larmes des exilés lorsqu’ils trouveront un refuge. Réparer les ponts abandonnés et détruits par l’indifférence. Reconstruire ce qui reste du monde pour confier au vent, chaque matin, les poèmes des enfants.

                                                  Mauro Armanino, Casarza Ligure, septembre 2025

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