L’Association Nigérienne de Lutte contre la Corruption, section de Transparency International (ANLC-TI) a publié son Rapport 2025 sur la situation de la gouvernance et des droits humains au Niger dont une copie est parvenue à la Rédaction de L’Autre Républicain. Sans complaisance, ce Rapport fait le point de la gouvernance politique, économique et sécuritaire, la lutte contre la corruption et la situation des droits humains au Niger. Ce Rapport est le deuxième du genre après celui de 2024.
Dans l’avant-propos de ce Rapport de 28 pages basé sur des informations et des données provenant de sources diversifiées, M. Maman Wada, président de Transparency International Niger a déclaré que : « Conduire la gouvernance, c’est donc connaitre parfaitement toutes ces réalités, toutes ces préoccupations et se servir de la rigueur de l’esprit, de la raison pour prioriser les besoins existentiels des citoyens nigériens dans ce contexte multiforme et plein d’adversité pour garantir la sécurité, la paix et le bien-être des Nigériens ». Ce qui suppose, selon M. Wada, « une vision claire, une mission pas du tout ambiguë, et des objectifs précis, observables, mesurables, quantifiables » avec un prince et son gouvernement dotés de « qualité supérieure, débarrassés de tout populisme, de toute démagogie ».
Transparency International Niger a rappelé que les raisons avancées par la junte pour justifier le coup d’Etat sont la mal gouvernance et l’insécurité. Comme pour accompagner les engagements des nouvelles autorités, TI-Niger les a interpelés dans 27 communiqués « au respect des principes de bonne gouvernance, de la lutte véritable contre la corruption et la protection des droits humains et des libertés individuelles et collectives en se conformant aux instruments juridiques internationaux et régionaux ratifiés par le Niger ».
De la gouvernance politique
« Depuis sa mise en place par les militaires suite au coup d’Etat du 26 juillet 2023, le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) est le seul organe dirigeant du pays. Il cumule les pouvoirs exécutif et législatif. La gouvernance du pays est régie essentiellement par les ordonnances prises par le Président du CNSP », a fait observer TI-Niger. Dans ce contexte de pouvoir sans partage, TI Niger d’ajouter que c’est « en cette période d’exception militaire que le pouvoir judiciaire a connu des traitements qu’on peut qualifier de dégradants ». A preuve, les déconvenues des magistrats aux prises avec la police à Konni et à Tillabéri, les propos du ministre de la Justice et sa lettre circulaire, l’arrêté du ministre de l’Intérieur sur la dissolution des syndicats du secteur de la justice et l’ordonnance du 14 août 2025 portant discipline du magistrat en période de refondation avec comme conséquence la radiation du corps de la magistrature du secrétaire général du Syndicat Autonome des Magistrats du Niger (SAMAN) et de son adjoint.
Une autre anomalie de la gouvernance politique relevée par Transparency Niger, c’est le fait que « l’administration déconcentrée et décentralisée se trouve également dans les mains des officiers supérieurs de l’armée… De ce fait, une bourgeoisie militaire s’est installée tournant ainsi le dos à la sécurisation des citoyens et de leurs biens et excellant dans l’accumulation des richesses par la pratique de la corruption et de l’affairisme ». Et pour comme se protéger, a fait observer l’ANLC, : « Des textes excessivement répressifs et hautement ‘’corruptogènes’’ sont pris en cascade pour détruire l’espace civique, empêcher l’expression libre d’idées divergentes, le contrôle citoyen de l’action publique et pervertir les règles en matière de passation des marchés publics ». Il s’agit de six ordonnances rapportées avec leurs références précises par l’ANLC.
Par ailleurs, Transparency Niger dénonce également le maintien de la fermeture de la frontière avec le Bénin, les difficultés dans la circulation des personnes et de leurs biens entre le Niger et le Nigeria, le retrait du Niger de la CEDEAO, la dénonciation tous azimuts des accords et autorisations d’exercer de plusieurs partenaires multilatéraux et bilatéraux, et des organismes internationaux dans un climat de soupçons et de populisme.
Selon Transparency Niger, « c’est dans ce climat délétère que les Assises dites Nationales ont été convoquées à la hâte à Niamey du 15 au 19 février 2025 pour semble-t-il refonder l’Etat du Niger ». Mais cet évènement est loin d’être inclusif, a fait observer l’ANLC. « … Des complices ont été choisis et invités à la messe pour applaudir les conclusions qui y seront sorties les unes plus antidémocratiques que les autres et qui n’engagent en rien la totalité des citoyens Nigériens », a déploré l’ANLC qui considère que tout cela s’est passé en violation flagrante de la proclamation du CNSP en date du 28 juillet 2023 pour une transition n’excédant pas trois ans.
De la gouvernance économique
Chiffres à l’appui, Transparency Niger relève un endettement inquiétant en dépit de la tendance à la baisse sur injonctions du FMI et de la Banque mondiale. Le FMI note que les risques de détresse de la dette externe que globale restent élevés, même si la dette est jugée soutenable à moyen terme, alors que la Banque mondiale signale également un risque de surendettement pour le Niger début 2025 notamment en raison des difficultés à mobiliser les recettes solides et de l’accumulation des arriérés, renseigne Transparency Niger.
Malgré nos richesses naturelles, 44,1% des Nigériens vivent sous le seuil de pauvreté, situation aggravée par une croissance démographique record (3,8%/an) qui compromet systématiquement les gains économiques.
TI Niger constate que « les défis structurels persistent. En premier lieu, la gouvernance économique pâtit de l’opacité des dépenses sécuritaires (40% du budget 2024) et d’une dette publique en hausse (50% du PIB, +8 points depuis 2023). En second lieu, des dépendances critiques subsistent : 70% des besoins alimentaires sont couverts par des importations, et le gel de l’aide européenne prive le pays de financements extérieurs ».
En substance, selon Transparency Niger, « l’économie nigérienne navigue dans une survie stratégique, tiraillée entre urgences humanitaires (sanctions, climat, terrorisme) et reconfiguration géopolitique ».
De la gouvernance sécuritaire
Transparency Niger entend par gouvernance sécuritaire « la manière dont les autorités organisent la sécurité nationale, les moyens mis à la disposition des Forces de Défense et de Sécurité, la qualité des hommes utilisés face à l’ennemi, leur dévouement, les résultats obtenus et les conséquences multiples et multiformes engendrées par l’insécurité ». En dehors de la frontière algérienne, toutes les autres frontières du Niger connaissent des attaques régulières des Groupes armés non-étatiques (GANE), constate l’ANLC. Et d’ajouter avec indignation que « les défis sécuritaires sont multiformes face auxquels fait face l’armée dégarnie de ses officiers supérieurs plus expérimentés et mieux formés ». Ce qui est plus inquiétant, selon TI Niger, c’est le fait que l’insécurité a gagné les grandes villes où il y a une forte présence des FDS à l’image de Tillabéri, chef-lieu de région, qui a fait l’objet d’une attaque terroriste le 10 septembre 2025. Ce qui dénote le niveau de détérioration de l’appareil sécuritaire du pays.
De la lutte contre la corruption
Transparency Niger constate que malgré l’existence des instruments juridiques et des institutions de lutte, le phénomène de la corruption résiste et se développe au Niger. Des efforts remarquables observés à partir de 2022 sous le régime de Mohamed Bazoum ont été remis en cause sous la junte militaire en porte-à-faux avec son discours sur la gouvernance. Le remplacement de la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HALCIA) par la Commission de Lutte contre la Délinquance Economique, Financière et Fiscale (COLDEFF) est une régression en ce sens que celle-ci est seulement dédiée aux recouvrements sans action judiciaire. « En tout cas, depuis l’arrivée des militaires au pouvoir, la justice n’est pas suffisamment impliquée dans la lutte contre la corruption », s’indigne l’ANLC.
« La junte militaire a procédé à la capture de l’Etat, particulièrement ses ressources pour accumuler des richesses à son propre profit. Une ordonnance n° 2024-05 du 23 février 2024 vient légaliser toutes les pratiques corruptives surtout dans la passation des marchés publics où les commandes du secteur de la défense, les services y afférents, les constructions de la Présidence, des résidences officielles, la prise en charge des personnes déplacées de force (suite à l’insécurité) échappent à la législation sur les marchés publics, à la comptabilité, au contrôle à priori et à postériori, bénéficient d’exonérations, le tout en violation des directives n°1, n°4, n°5 et n°7 de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) », déplore Transparency Niger.
Pire, des scandales politico-militaro-financiers éclatent régulièrement sans que cela ne soit accompagné de poursuites judiciaires, fait observer l’ANLC. « La lutte contre la corruption a reculé au Niger, elle n’est pas à l’ordre du jour, elle n’est pas une préoccupation des autorités politiques et militaires actuelles engagées dans la course aux galons et à l’enrichissement », s’indigne l’ANLC TI-Niger.
De la situation des droits humains
Transparency a relevé une kyrielle de décisions et mesures liberticides dont les ordonnances du Chef de l’Etat pour mettre au pas les opposants et mal-pensants. « Plusieurs condamnations à des peines fermes sans oublier ceux qui sont sous mandat de dépôt dans l’attente d’un jugement sous couvert de cette ordonnance (NDLR : portant cybercriminalité) », rapporte l’ANLC citant l’Association des Jeunes Avocats du Niger (AJAN). Et pour ne rien arranger, les juntes sahéliennes viennent de se retirer de la Cour Pénale Internationale (CPI), ce qui témoigne de la prise de conscience par elles des graves violations des droits humains en dépit de leur engagement de respecter les textes internationaux ratifiés par leurs pays, déplore Transparency Niger.
« L’Etat est devenu lui-même un grand violateur des droits civils et politiques, plusieurs hommes politiques sont volontairement arrêtés et détenus souvent indéfiniment comme le président Bazoum et sa famille, le ministre de l’Intérieur Hamadou Adamou Souley et des militaires ». Des journalistes et défenseurs des droits de l’Homme sont arrêtés pour avoir exprimé leur opinion ou fait leur travail de journaliste. Plus scandaleux encore, c’est l’arrestation de Moussa Tchangari, Secrétaire Général de l’Association Alternative Espace Citoyen, et son incarcération à la prison civile de Filingué.
Aujourd’hui encore, des personnes sont déportées et d’autres soumises à l’exil forcé nonobstant les dispositions de l’article 9 du pacte international relatif aux droits civils et politiques qui dispose que : « nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu, ni exilé ». D’autres citoyens sont rendus apatrides c’est-à-dire privés de leur nationalité d’origine, rapporte Transparency Niger.
TI-Niger dénonce également l’instrumentalisation de la justice dans le traitement fait dans l’affaire des cigarettes et le celle du ‘’marabout tueur’’ où Ibrahim Yacouba a été insidieusement impliqué.
En conclusion, selon Transparency Niger « la gouvernance aussi bien politique, économique que sécuritaire s’est totalement dégradée depuis le 26 juillet 2023 du fait qu’il n’y a pas de vision et de programme clairs. La conduite des affaires va dans tous les sens donnant ainsi l’impression d’une improvisation au quotidien… ». Le coup d’Etat du 23 juillet 2023 n’a pas réglé les problèmes de gouvernance et de sécurité. Au contraire il les a aggravés et compliqués, a martelé Transparency Niger.
La rédaction