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14 octobre, 2025
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   Point de vue :   Normaliser la violence : la mobilité criminalisée

Ce n’est pas un hasard. La déportation des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile s’est étendue à la même vitesse que la mondialisation des marchandises et des capitaux. Dans de nombreux pays occidentaux et, progressivement, dans le Sud du monde également, les camps de rassemblement, d’identification, de transit et d’expulsion se sont multipliés. Faire ensuite appel à des pays tiers considérés comme « sûrs » en matière de respect des droits humains est une pure fiction juridique sans fondement. Les violences inhérentes aux sinistres opérations mentionnées, en raison de leur omniprésence et surtout de leurs collusions avec les pouvoirs politiques, sont depuis longtemps « normalisées ». Elles ne font pas la Une des journaux, ne provoquent pas de scandale, ne constituent pas une pierre d’achoppement, ne font pas honte, ne suscitent pas de réactions notables, ne génèrent pas de confusion et ne laissent, apparemment, aucune trace.

Ce n’est pas un hasard. La mobilité, en raison de son caractère intrinsèquement subversif, a été « criminalisée ». Elle revendique une réserve inépuisable d’avenir à inventer pour des sociétés dont l’une des caractéristiques fondamentales est précisément le contrôle des citoyens. Il devient insupportable, pour le système dominant, de sortir des schémas qui ont créé des frontières armées pour faire face à l’arrivée des « barbares ». Pour les Grecs, les barbares étaient ceux dont les paroles étaient incompréhensibles, peut-être n’étaient-ce pas des paroles mais seulement des sons sauvages dont il fallait se distinguer. La liberté de mouvement, c’est-à-dire la mobilité, bien qu’affirmée au numéro treize de la Déclaration universelle des droits humains, est notoirement réservée à une partie seulement des personnes qui peuplent la terre.

Ce n’est pas un hasard. En effet, à y regarder de plus près, le monde est divisé entre ceux qui peuvent voyager et ceux qui doivent se soumettre à une résidence surveillée. Tout dépend de l’endroit où l’on naît et de qui l’on est, tout est là. Le reste n’est que des corollaires que la nature elle-même a jugé bon de cataloguer. Il y a les voyageurs honnêtes qui se déplacent pour le travail, les touristes, les pèlerins et les peuples nomades. Viennent ensuite ceux qui, voyageant sans demander la permission aux frontières, sont qualifiés de clandestins, d’illégaux, d’irréguliers et, sans aucun doute, de criminels. Les personnes qui devraient disparaître en silence là où le destin les a placées, se rebellant ouvertement contre la sédentarité, deviennent ainsi la cible favorite des pouvoirs en place. Elles sont considérées comme une menace permanente pour l’ordre établi.

Ce n’est pas un hasard. Et, en fait, il n’y a rien de pire dans la vie que de s’habituer, de normaliser, de « naturaliser » l’exclusion systématique de ceux qui apportent un nouveau souffle au présent. Considérer comme un fait chronique et fastidieux la disparition de milliers de chercheurs de nouveaux mondes ne peut qu’encourager une culture vouée à la mort. Ce serait une erreur de croire que l’on peut passer indemne de la « banalisation » de la violence dont les camps de détention et les frontières armées sont l’expression. Toute société qui utilise la violence comme moyen de détourner, de freiner et, en fin de compte, de trahir la mobilité, perdra irrémédiablement le sens de la vie et la stérilité sera son destin. Ce n’est que si nous prenons conscience que nos vies sont liées les unes aux autres que nous pourrons, peut-être, nous aider à rêver d’un autre monde.

   Mauro Armanino, Turin, octobre 2025

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