Peut-on parler de République sans libertés, l’égalité de tous devant la loi et sans participation citoyenne ? Cette préoccupation a été solennellement exprimée par la Bâtonnière Me Kountché Adji Fati à l’occasion de la rentrée judiciaire du 12 décembre dernier lorsqu’elle a déclaré, devant le Général Tiani : « Cette justice doit s’appliquer à Tous car personne n’est au-dessus de la loi, et une justice sélective conduit tout simplement à l’injustice. C’est en respectant nos lois et en les appliquant de manière rigoureuse et impartiale que nous affirmerons notre souveraineté ». Que dire d’une République où le juge craint de dire le droit selon son intime conviction ? Quel sort réserve-t-on au suffrage universel consacrant ‘’le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple’’ que rabâchaient certains acteurs de la société civile abonnés aujourd’hui à ce que le politologue Rahmane Idrissa appelle savamment ‘’la fachosphère’’ ?
Les Nigériens viennent de fêter le 67ème anniversaire de la proclamation de la République. A travers les réseaux sociaux cette fête a été célébrée de façon mitigée. Ceux qui s’attachent à la République et à ses valeurs ont publié des messages de bonne fête tout en déplorant le recul net des libertés fondamentales dans notre pays. « J’avais pris l’habitude de souhaiter bonne fête de la République à mes concitoyens sur ce réseau social mais aujourd’hui je m’interroge si le Niger est une République. La constitution et les institutions sont suspendues. Peut-on donc parler de République ? », s’est interrogée l’ancienne ministre de la communication, Mme Aminata Boureima, sur sa page Facebook. Sans aucun doute, pour les démocrates ce fut une journée d’amertume.
Certains fossoyeurs de la démocratie, soutiens du coup de Jarnac du 26 juillet 2023, ont publié timidement, pour leur part, des messages assez insipides. Les plus engagés d’entre eux ont fait l’impasse sur cet événement à l’image des autorités en place. Le traditionnel message à la nation n’a pas été livré. Le général Tiani a renié la République. Son silence est assourdissant ! Son silence relève d’une étrange ambiguïté quand on sait qu’il est le seul putschiste à avoir sollicité et accepter d’être justement Président de la République sans avoir jamais été élu.
Il va sans dire qu’on ne peut célébrer la République dans un pays où le Procureur de la plus haute juridiction du pays a été limogé pour avoir dit le droit.
On ne peut célébrer la République dans un pays où le syndicat des magistrats a été dissous et des magistrats radiés pour des raisons syndicales.
On ne peut célébrer la République lorsque les prisons regorgent des prisonniers politiques et d’opinion.
Le Niger à vau-l’eau
Il est assez courant d’entendre les nigériens s’adonner à la comparaison entre l’état du pays avant le 26 juillet et la situation actuelle sous le général Tiani. La sentence est sans appel : il y a comme qui dirait un gâchis, une régression généralisée de la gouvernance, une incertitude sur l’avenir. Une écrasante majorité des Nigériens considèrent que ce pays est méconnaissable tant les autorités de fait sont en passe de le refonder sur fond de contre valeurs.
Qui peut admettre au 21ème siècle que la prise d’otage, la déportation, la séquestration des citoyens sur la base de machinations abjectes puissent avoir droit de cité dans notre pays ? C’est pourtant la triste réalité que nous vivons aujourd’hui au Niger. Les citoyens attendent toujours des explications sur les détentions du président Mohamed Bazoum et son épouse, Hamadou Adamou Souley, Moussa Tchangari, Ibrahim Yacoubou, les journalistes Oumarou Kané Abdou, Seriba Youssouf, Ibro Chaibou pour ne citer que ceux-là. « Dans cette période de Refondation, on ne doit plus assister à des enlèvements arbitraires, à des séquestrations, à l’obstruction de l’exercice de la profession d’avocat », a déploré la Bâtonnière Me Kountché Adji Fati qui est convaincue que « Dans un pays où la justice est corrompue, il n’y a pas d’Etat ». En vérité, dans ce pays ceux qui nous dirigent ont détruit la justice. Elle ne sert principalement qu’à régler des comptes politiques. C’est malheureusement un indicateur de fonctionnement des dictatures.
Très tôt, nous avons qualifié le putsch du général Abdourahamane Tiani de ‘’coup de Jarnac’’. En d’autres termes, un coup porté de façon tout à fait inattendue à notre processus démocratique sous un ciel tranquille. Avec le recul, la réalité a fini par s’imposer aux esprits les plus incrédules : le coup d’Etat du 26 juillet 2023 n’est qu’un pacte faustien, un complot visant simplement à écarter le président Mohamed Bazoum mettant ainsi le Niger dans l’œil du cyclone. Le reste, tout le reste n’est qu’une tragique mise en scène avec un coût humain, social et économique élevé pour notre pays .
Notre pays jadis cité en exemple par la communauté internationale est aujourd’hui une caricature, un pays déconsidéré. En effet, la triste réalité c’est que le pays est engagé dans le scénario indéchiffrable et périlleux. Même certains zélateurs du régime en place commencent à dire que depuis le 26 juillet 2023, le Niger est plongé dans la tourmente, le pays est bloqué : « Les gens veulent nous embarquer dans une pensée unique pour leurs seuls intérêts. Quel est le nigérien qui se satisfait de notre situation actuelle ? Seul un petit groupe tire profit d’une situation qui se complique de jour en jour. Non, dire la vérité ce n’est pas détester Tiani, c’est lui demander de changer de trajectoire pour un Niger meilleur », écrit Bounty Diallo, ancien professeur de philosophie, sur son profil Facebook.
Dans la gestion d’une entreprise comme celle d’un Etat, dresser un bilan, évaluer les actions constitue le procédé le plus rationnel. Après la mise entre parenthèses des institutions au Mali, au Burkina Faso et au Niger, peut-on dire aujourd’hui que les objectifs annoncés en grandes pompes par ces régimes militaires ont été atteints ?
Très malheureusement, les citoyens de ces pays qui ont cédé au populisme sont en train de déchanter : ils ont sacrifié les libertés fondamentales pour se retrouver dans l’impasse. Nous n’avons ni pain, ni libertés, ni sécurité. Même les emplois civils sont militarisés au Niger. Tout se fait aux antipodes des valeurs républicaines. On comprend aisément pourquoi le général Tiani s’est interdit de célébrer le 18 décembre. Pourtant l’histoire n’a pas commencé le 26 juillet et ceux qui ont renversé la République ne peuvent la réécrire dans leur seul sens. Ils partiront un jour et ils feront ainsi partie de la longue liste de ces militaires qui ont renversé la République, avec chacun son bilan et son passif, avant de s’effacer. C’est la loi inéluctable du pouvoir et de l’histoire.
Des contre-pouvoirs fossoyeurs de la République
Dans le processus de démolition des institutions républicaines intervenu le 26 juillet 2023, certaines organisations dites de la société civile (OSC) y ont délibérément contribué. Ces structures et acteurs de la société civile ont été bien récompensés d’avoir agi à contre-courant de notre processus démocratique. L’Union des scolaires nigériens (USN), le Mouvement Patriotique pour une Citoyenneté Responsable (MPCR) de Nouhou Arzika et le M62 ont reçu chacun la médaille de Souveraineté Sarouniya Mangou pour services rendus à la Nation ! Ces OSC, filles de la démocratie, ont révélé au grand jour que leurs dirigeants ne sont que des opportunistes, des ‘’fachos assumés’’ qui suivent la direction du vent. Quelles leçons retiendront ‘’les jeunes esprits en formation’’ d’une structure progressiste comme l’USN ? Peut-on être démocrate à un certain moment et fasciste à un autre ?
On se rend à l’évidence que derrière le discours populiste et souverainiste, les masques continuent de tomber. Après le putsch ‘’sous un ciel tranquille’’, plusieurs acteurs ont subitement changé de fusil d’épaule en offrant leurs services ou contre valeurs à la junte. A tous les niveaux de la société, les analystes ont observé çà et là, des opportunistes de tout acabit sortir du bois sans vergogne, souvent face aux caméras pour rivaliser dans la déconstruction des acquis démocratiques. Les valeurs démocratiques, ils n’en ont cure puisqu’ils ont sacrifié les valeurs de la République au profit d’une dictature rampante à l’occasion des assises nationales.
On l’aura compris, ces ‘’fachos assumés’’ comme les appelle Moussa Tchangari, Secrétaire général de l’Association Alternative Espaces Citoyens, sont dans une autre perspective ; par conséquent, ils ferment les yeux sur la situation sécuritaire et les pratiques corruptives actuelles. Le chant de sirène ‘’labo sanni no’’ a eu raison de leur engagement républicain, si jamais ils en ont eu sincèrement.
Les voix discordantes sont tenues en respect par la prison ou la menace de perdre leur nationalité. Un républicain ou démocrate est considéré comme un ennemi interne ou apatride ! Une des figures emblématiques de notre processus démocratique, Moussa Tchangari vient de passer un an à la prison civile de Filingué mais ‘’circulez y’a rien à voir’’, semblent dire ses anciens compagnons de lutte tapis dans la société civile laboussaniste.
L’insécurité judiciaire…
Notre confrère malien Mohamed Attaher Halidou a écrit : « Si les libertés sont confisquées, c’est parce que l’opinion publique applaudit sans comprendre les dérives totalitaires et les injustices de tous ordres. Si les libertés sont confisquées, c’est parce que les artistes n’ont plus d’inspiration et préfèrent plaire avec des discours démagogiques loin de leur art, le beau, au service du public. » Est laid en art, tout se rit sans motif. Si les libertés sont confisquées, c’est parce que les intellectuels rasent les murs et ont accepté le règne de la pensée unique, en se rendant complices de la mort de la pensée et de la réflexion dans le pays. »
C’est ainsi qu’avec la complicité de tous, les militaires aux commandes du pays ont conçu et imposé des mesures scélérates pour imposer leur autoritarisme. Tout le monde est mis au pas. Mais le plus inquiétant c’est le jeu trouble dans le secteur de la justice notamment le fait d’empiéter à l’indépendance des magistrats. Cette insécurité juridique flagrante n’est que la conséquence de la faiblesse du pouvoir du juge dépouillé de son indépendance et même de sa personnalité et qui, comme par fatalisme et défaitisme, s’en remet au bon vouloir du prince. Dans ces conditions où le juge, à tous les niveaux, peut être sanctionné pour avoir fait son travail, comment pourrait-il être le rempart contre l’arbitraire ? Sans être violent ou radical, le Nigérien commence à considérer que la justice au Niger ne « sert plus à grand-chose’’, sauf à réprimer les « mauvaises personnes ». Aujourd’hui, des citoyens sont déportés sans autre forme de procès, détenus de façon extrajudiciaire ou accusés sur la base d’allégations fallacieuses. Jamais, dans toute notre histoire récente, le citoyen ne s’est senti en insécurité juridique que sous cette ère dite de Refondation.
Au 21ème siècle où le respect des droits et libertés des citoyens fait partie intégrante des critères de bonne gouvernance, on trouve des citoyens assez ‘’civilisés’’ pour nous présenter cette régression des droits humains comme un progrès pour notre pays. En vérité tant que cela ne les concerne pas, certains esprits perdus ont tendance à se sentir indifférents ou même à se réjouir des injustices humaines. C’est une aberration.
Dans un monde où le multilatéralisme s’impose à tous, il faudrait savoir raison garder. Aucun pouvoir n’est éternel. Aucune situation n’est permanente et l’heure des comptes ne prévient jamais. Sachons donc toujours raison garder et préserver la justice, la dignité et la liberté des Nigériens. Cultivons la paix et la justice pour tous et en tout temps. « Les cimetières sont pleins de gens irremplaçables, qui ont tous été remplacés », comme dirait Georges Clemenceau.
Pourquoi certains dossiers sont traités de façon expéditive et d’autres font l’objet de ping-pong entre la police judiciaire, la justice et le ministre de la justice ? Tout cela est terriblement symptomatique de l’insécurité juridique dans notre pays.
Selon les jurisconsultes : « L’insécurité juridique peut se définir comme l’insuffisance de garantie des droits fondamentaux et des libertés individuelles ». Nul n’a besoin d’un dessin pour se faire une idée de l’état des droits humains au Niger. « La sécurité juridique est la garantie des droits. Or, l’article 16 de la Déclaration de 1789 dispose que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation de pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Qui peut garantir les droits ? C’est le juge ».
Il est évident que tout notre problème au Niger est inhérent au fait que la séparation des pouvoirs n’est plus d’actualité. Jamais dans une architecture institutionnelle on a donné autant de pouvoirs à un seul homme, et qui plus est n’est pas un élu. Même la dictature romaine avait un contre-pouvoir, aujourd’hui en s’auto-confiant tous les pouvoirs, le Chef de l’Etat met l’ensemble de l’édifice institutionnel et notamment la justice dans une précarité inouïe ce qui juge d’avec l’esprit de la République.
Aujourd’hui, c’est un truisme de dire que les pouvoir exécutif, législatif et judiciaire se confondent. Ils sont concentrés entre les mains d’un seul homme et l’histoire n’a pas produit d’exemple où une telle concentration de pouvoirs a permis de créer les conditions de justice, de libertés et de progrès. En vérité, une telle situation est une anomalie politique et humaine. C’est cette double anomalie qui est à l’origine de cette justice à double vitesse, avec la crainte de la sanction du Chef de l’Etat comme une épée de Damoclès sur les têtes des magistrats.
Mais face à ce sombre tableau, il y a des résistants qui restent vent debout pour restaurer les valeurs républicaines. Il y a quelques rares OSC qui qui refusent de se renier pour la défense et la restauration de la démocratie. L’Association nigérienne de lutte contre la corruption, section de Transparency international au Niger, Alternative Espaces Citoyens et l’Association des jeunes avocats du Niger (AJAN) ont dénoncé la recrudescence de violations des droits humains à travers les arrestations extrajudiciaires et l’impossibilité pour les avocats de défendre leurs clients. Les jeunes avocats dénoncent également l’incapacité de la justice à faire respecter et exécuter ses propres décisions. Le Barreau à travers la Bâtonnière Me Kountché Adji Fati vient de donner de la voix au cri de cœur des citoyens en insécurité judiciaire criarde. Selon la Bâtonnière, à la différence de la loi de la jungle, l’avocat doit être le ‘’bouclier entre les plus forts et les plus faibles’’. Très belle leçon face à une gouvernance erratique et anachronique où le gouvernant a tendance de décider de la liberté des uns et des autres en lieu et place du juge.
La Rédaction





