Au lendemain du coup de force militaire balayant le président Mohamed Bazoum, élu par le suffrage universel, le 26 juillet 2023, une marée humaine déferlait dans les rues de Niamey, timidement suivie dans d’autres villes. Un « soutien populaire » brandi comme un bouclier de légitimité par les nouveaux maîtres du Niger. Mais derrière cette ferveur apparente, une autre manœuvre, plus sournoise, se jouait déjà. Celle de la confiscation pure et simple de la voix du peuple par une caste d’opportunistes assoiffés du pouvoir tapis sous le couvert de la société civile.
L’euphorie initiale, savamment orchestrée et naïvement accueillie par les non-avertis, a rapidement laissé place à une amère désillusion. Le masque est tombé. Ce qui fut présenté comme un élan civique spontané révèle aujourd’hui sa véritable nature : une chasse effrénée aux prébendes et aux postes par des individus habiles à naviguer dans l’ombre des baïonnettes. Sous le fallacieux prétexte de soutenir la « refondation » promise par la junte, ces prétendus « acteurs de la société civile » ont méthodiquement œuvré à enterrer la démocratie qu’ils prétendaient servir.
Rappelons que, dans une démocratie saine, la société civile constitue un pilier essentiel. Elle est ce contre-pouvoir indépendant, cet ensemble d’organisations et de citoyens engagés qui observent, alertent, défendent les droits, promeuvent les causes d’intérêt général et tiennent les gouvernants, élus, redevables de leurs actes. Elle est le garde-fou, pas le pouvoir.
Or, ceux qui se sont engouffrés dans la brèche ouverte par les putschistes ne répondent en rien à cette noble définition. L’observation minutieuse dévoile une réalité crue. Ces « civils » ne sont autres que des politiciens recyclés, souvent issus des rangs d’une opposition historique incapable, par les urnes, de rivaliser avec les forces politiques établies. L’accession au pouvoir par la voie démocratique leur étant barrée faute de suffrages, le coup d’État militaire a soudain représenté la solution parfaite, la voie royale contournant le verdict des urnes.
Leur calcul machiavélique a porté ses fruits. Nommés conseillers au sein du Conseil Consultatif de la Refondation (CCR), présenté comme une assemblée transitoire, ils ont obtenu ce qu’ils n’auraient jamais conquis démocratiquement : un siège au « perchoir » du pouvoir, ou du moins son illusion. Pire, ils jouissent désormais, sans la moindre légitimité populaire, des avantages matériels, des privilèges et des prérogatives réservés aux représentants élus du peuple. Un scandale en soi.
Car que fait un député élu ? Il représente une circonscription, porte la voix de ses électeurs, légifère après débat, contrôle l’action du gouvernement, interpelle les ministres, vote le budget. Un travail exigeant, théoriquement soumis au contrôle et au renouvellement par le peuple. Ces membres du CCR, eux, ne font rien de tout cela. Ils siègent. Ils perçoivent. Ils profitent. Ils sucent, comme le souligne amèrement un analyste politique, les maigres ressources de l’État nigérien sans mandat, sans compte à rendre, sans avoir jamais « mouillé le maillot » sur le terrain électoral.
Leur stratégie de prise de pouvoir illégitime atteint son paroxysme dans leur recommandation à la junte, celle qui a consisté à la dissolution des partis politiques, actée lors des assises nationales de février dernier. Cette manœuvre, présentée sous des atours « refondateurs », n’a en réalité qu’un seul objectif, celui d’éliminer définitivement tout obstacle potentiel à leur mainmise. Les partis, avec leur base militante et leur capacité (même affaiblie) à structurer la compétition politique, représentaient le dernier rempart contre leur ascension sans gloire. Désormais, le champ est libre pour leur pseudo-assemblée non élue.
Quel sinistre paradoxe ! Voilà ceux qui, hier encore, accablaient les élus de critiques virulentes, les traitant de corrompus ou d’incapables, les voilà aujourd’hui installés confortablement dans les fauteuils du pouvoir, s’octroyant avec avidité les mêmes privilèges qu’ils dénonçaient, sans jamais avoir subi le test de la légitimité populaire. Leur hypocrisie est monumentale. Leur présence au cœur des institutions transitoires est une offense à la démocratie et aux aspirations profondes du peuple nigérien.
Pauvre Niger, en effet, pris en étau entre une junte non élue et des conseillers autoproclamés, tous aussi illégitimes les uns que les autres. « La souveraineté appartient au peuple qui lui seul peut la déléguer à ses représentants élus ». Cette vérité fondamentale, pierre angulaire de tout contrat démocratique, doit résonner plus fort que jamais. L’inertie n’est plus permise. Il revient aux véritables forces démocratiques, à la société civile authentique et au peuple nigérien dans son ensemble, de peser de tout son poids de façon démocratique et d’exiger le retour à l’ordre Constitutionnel. La légitimité ne se décrète pas dans les palais ; elle se forge dans les urnes. Trêve d’illusions, place à la reconquête du droit inaliénable du peuple à choisir librement ses dirigeants.
Mahamadou Tahirou