Un régime sans contre-pouvoirs est une illusion de stabilité, un édifice sans piliers prêt à s’écrouler au premier souffle de crise. Car aucun pouvoir, aussi vertueux soit-il à ses débuts, n’échappe à la tentation de l’abus. L’humanité a appris à ses dépens que là où les dirigeants ne rencontrent aucune résistance, la tyrannie s’installe, la corruption prospère et le peuple s’étouffe.
C’est pourquoi les contre-pouvoirs ne sont pas un luxe démocratique mais une nécessité vitale. Ils incarnent l’équilibre entre gouvernants et gouvernés. Parmi eux, citons : la justice, le parlement, la presse indépendante, les syndicats, la société civile, les organisations religieuses et traditionnelles, le secteur privé, les instances internationales. Chacun joue un rôle de frein, de régulation et de rappel constant à l’ordre. Mais le plus décisif, le plus universel, demeure la justice.
La justice n’est pas qu’un pouvoir ; elle est la colonne vertébrale d’une nation. Elle protège les citoyens contre les abus des gouvernants, mais aussi les gouvernants contre la colère aveugle des citoyens. Même celui qui a régné par la tyrannie, une fois déchu, mérite la protection de la justice contre la vindicte populaire. Car juger équitablement, c’est punir selon la gravité du crime, non selon l’intensité de la haine. La justice est donc le rempart de tous, y compris des plus honnis.
Se dresser contre la justice, c’est se dresser contre la vérité elle-même. On peut l’ignorer un temps, la manipuler ou la dévoyer, mais tôt ou tard elle rattrape ceux qui se placent hors-la-loi. Rendue au nom du peuple, elle se doit d’être impartiale, ferme et mesurée : ni vengeance, ni complaisance, mais équilibre.
Sans justice indépendante, même les autres contre-pouvoirs s’affaiblissent. Une presse libre devient inutile si ses enquêtes n’aboutissent jamais devant des tribunaux crédibles. Des syndicats courageux s’épuisent si leurs droits sont piétinés sans recours judiciaire. Une société civile dynamique se décourage si elle ne peut obtenir réparation. À l’inverse, une justice forte canalise les tensions sociales et prévient la violence politique. Elle offre un espace où la vérité est dite, où les excès sont corrigés, où l’État retrouve sa légitimité.
Mais la justice elle-même doit être surveillée, car nul pouvoir n’est à l’abri de la tentation. Lorsqu’elle se pervertit, elle devient instrument d’oppression, trahissant à la fois le peuple et l’État. Lorsqu’elle demeure fidèle à sa mission, elle élève la nation au-dessus des rancunes et des règlements de compte.
L’équilibre entre pouvoir et contre-pouvoirs est donc une respiration vitale. Là où il existe, le pouvoir devient service. Là où il disparaît, le pouvoir devient oppression. L’histoire universelle le démontre : l’harmonie d’une nation repose moins sur la force de son dirigeant que sur la solidité de ses institutions.
Comme l’écrivait Montesquieu : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
Mahamadou Tahirou