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10 novembre, 2025
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   Point de vue :   Fragilité, blessures et avenir possible

Les systèmes de surveillance les plus sophistiqués, les zones sous vidéosurveillance, la géolocalisation ou les contrôles faciaux ne suffiront pas. La vie est et reste fragile pour tout le monde, et ce n’est qu’une question de temps. Quelques années, tout au plus. La métaphore du sable ou de la poussière n’est jamais déplacée, et probablement encore moins lorsqu’on recherche des certitudes et qu’on feint l’impression de pérennité. Il suffit de peu pour déstabiliser les plans, les projets et la linéarité. Dans cette fragilité que les années, les maladies, les événements inattendus nous imposent comme inéluctable, apparaît quelque chose de grand qui, en général, reste caché lorsque tout semble aller bien. Comme on le sait, les mots en disent long sur nos sentiments actuels, car ils révèlent (et cachent en même temps) ce que nous mettons réellement au premier plan ou ce que nous avons perdu. L’un de ces mots est « sécurité », qui, depuis des années, s’impose comme la clé de lecture de toute politique qui se respecte. Rien de nouveau sous le soleil. Quelqu’un a dit dans une parabole que le propriétaire, rassasié de ses affaires, voulait agrandir ses greniers pour enfin profiter de la vie. « Insensé », dit le récit, « cette nuit même, on te demandera ta vie. À qui profitera ce que tu as accumulé ? ». Ainsi finit celui qui accumule pour lui-même et non pour la vie.

Les personnes âgées, les malades et ceux qui s’entourent de solitude dans les maisons de retraite. Des gens avec une canne, poussant un fauteuil roulant ou souvent accompagnés d’une étrangère qui néglige parfois sa propre famille pour s’occuper des malades ailleurs. Tout cela cache une grande vérité et une blessure silencieuse. La vérité, car c’est précisément dans les moments de faiblesse et de fragilité que se dévoile ce qui se cache lorsque tout semble aller bien et que les forces donnent l’illusion, comme le font les monuments, de l’éternité. Alors que la blessure est ce qui permet à l’humain caché d’émerger. Les blessures, nous le savons, sont en réalité des « brèches » à travers lesquelles s’infiltre l’humain qui avait été confisqué, précisément, par l’apparente « sécurité » du moment. Les blessures, dans nos sociétés, sont innombrables et largement censurées par un système pour lequel toute faiblesse, en tant que symptôme de mortalité, doit être effacée comme une intruse. La trahison récurrente des politiciens (ou des militaires) au pouvoir. Une économie conçue pour exclure les faibles. Une école créée pour perpétuer le système et un service de santé qui élimine les plus démunis. Tout cela et bien d’autres choses encore concourent à faire de la faiblesse, de la pauvreté et de toute forme d’indigence quelque chose de honteux dont il faut parler le moins possible.

Car, au fond, il ne reste qu’une seule question qui traverse la fragilité et les blessures qui y sont associées. La question qui se pose comme l’horizon de toute culture, philosophie, religion ou projet politique. On pourrait la formuler comme un avenir caché dans le présent ou un présent qui contient et génère déjà l’avenir. Quel type de monde sommes-nous en train de créer lorsque les exclusions, les éliminations et les destructions se multiplient en direct sur les écrans de télévision comme un spectacle macabre quotidien d’impuissance face au mal ? Un monde de tranchées, de barrières, de barbelés, de ponts impraticables ou fermés à dessein pour perpétuer un système de pouvoir qui, nous le savons par expérience, est porteur de mort et de désolation. Un monde où les invisibles doivent le rester et où les cris et la mobilité de ceux qui ne veulent pas disparaître sans laisser de traces sont assimilés au terrorisme. Un monde où ceux qui bafouent les droits et la dignité des pauvres sont déclarés bienheureux. Quel genre de monde avons-nous hérité et quel genre de monde laisserons-nous aux générations futures ? C’est la seule question qui mérite d’être traduite dans de nombreuses langues, puis confiée à eux, les fragiles et ceux qui sont jugés indignes de prendre la parole. Ce n’est qu’à partir du silence, écouté, de leurs blessures ouvertes qu’un monde nouveau pourra renaître.

  Mauro Armanino, Gênes, septembre 2025

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