Il faut lire la presse béninoise de cette semaine pour mieux comprendre l’état de délitement des relations entre le Niger et le Bénin. La dégradation de ces relations a atteint un nouveau cran avec le refus de la junte de Niamey de rouvrir la frontière avec le Bénin alors que ce dernier l’a fait depuis la levée des sanctions de la CEDEAO en janvier dernier.
En guise de réplique, Patrice Talon a attendu le dernier moment pour mettre la mise en service du pipeline export du brut nigérien sur la balance. Connaissant l’enjeu économique particulièrement important que représente l’exportation du brut pour les autorités militaires de Niamey, le gouvernement béninois a frappé là où ça va faire extrêmement mal. En prévision de cette exportation, se rappelle-t-on, la junte a contracté un prêt de 400 millions de dollars sur 12 mois avec un taux d’intérêt de 7% avec la Chine.
On peut lire dans la presse béninoise des titres comme : « Patrice Talon tient enfin le général Tiani au bon endroit ? », « Talon saisit les deux grosses boules du général Tiani : Niamey va maintenant comprendre que c’est avec le cerveau qu’on réfléchit », « La réplique de Talon à Tiani ? », etc.
Une délégation officielle nigérienne conduite par le conseiller spécial du général Tiani en hydrocarbures avait séjourné à Cotonou, pour sans doute faire les derniers réglages. La décision du gouvernement béninois de bloquer le transit du brut nigérien, en date du 6 mai dernier, avec le véto sur les prélèvements par les navires à partir de la station terminale de Sémé-Podji, reporte à plus tard l’embarquement du brut nigérien. Tout porte à croire que la mission de la junte n’a pas abouti aux résultats escomptés.
Il ne fait pas aussi de doute que le Bénin joue la carte de son intérêt. Comme on le sait, c’est le principe de l’intérêt qui caractérise les relations entre Etats loin des humeurs et des états d’âme qui rythment la vie des individus. La frontière avec le Niger constitue un gros enjeu économique et financier pour le Bénin. C’est à travers cette frontière que les pays de l’hinterland comme le Niger et le Tchad voire même le nord du Nigeria s’y approvisionnent. Perdre cette frontière équivaut à un important manque à gagner tant pour le trésor béninois que des pertes d’emplois. Le tout mis ensemble pourrait largement dépasser ce que le transit du brut est susceptible de leur rapporter. Peut-on blâmer le Bénin qui entend défendre ses intérêts ? Logiquement non.
A nous aussi de faire prévaloir les intérêts fondamentaux des populations. Aujourd’hui, ils sont nombreux à la fois les consommateurs et les citoyens qui demandent avec insistance la réouverture de la frontière avec le Bénin d’où ils tirent leur pain quotidien. C’est dire que la fermeture de cette frontière impacte négativement les activités économiques et commerciales de nos compatriotes, et la libre circulation des personnes et de leurs biens. A cette date, aucune raison n’a été officiellement donnée pour justifier le refus de la junte de rouvrir cette frontière. Les Nigériens se contentent malheureusement de la rumeur publique qui justifie cette décision par le fait que le Bénin est hostile au Niger, et que c’est à partir de ce territoire que des français envisageraient d’attaquer le Niger. C’est une rumeur. Il n’y a rien d’officiel. Que de simples conjectures qui alimentent le débat public. Du reste, on ne choisit pas ses voisins. En l’absence d’une communication officielle, les gens se contentent de telles conjectures. Si le Bénin est un Etat hostile, il n’y a donc pas lieu de se plaindre qu’il suspende momentanément l’exportation du brut nigérien. Il faut négocier parce qu’il s’agit de notre intérêt.
Au total, il y a lieu pour le Niger de normaliser ses relations quelque peu tensionnelles avec ses voisins comme le Bénin, le Nigeria et l’Algérie depuis les évènements du 26 juillet 2023. Le Niger doit mettre ses intérêts en avant : le Bénin nous permet d’accéder au port le plus proche pour notre approvisionnement en produits divers et d’exporter notre brut, le Nigeria fait vivre des millions de Nigériens et nous fournit de l’électricité, entre autres, et l’Algérie permet l’’approvisionnement des régions nord. Avant le coup d’Etat, ce pays envisageait même la construction d’un port sec à Agadez.
Comme le dit Batyah Sierpinski, c’est le principe de l’égalité souveraine des Etats ou de « l’égalité en souveraineté » qui prévaut aujourd’hui dans la société internationale contemporaine.
La rédaction
L’Autre Républicain N°007 du jeudi 9 Mai 2024