Comme l’écrit Hegel, l’histoire est dialectique et elle ruse de façon très imprévisible avec les consciences et les passions des hommes. Pour ce qui nous concerne, au Niger, les acteurs du coup d’Etat doivent bien se rendre compte qu’ils peuvent être rapidement dépossédés de leur souveraineté si elle n’est pas reconnue par le droit international (régional ou non), et que la prise de pouvoir illégitime, au prétexte d’une insécurité invoquée comme raison de cette violence anomique, est vite devenue une réelle insécurité aux frontières et sur le territoire.
De plus, les raisons au motif de ce coup d’Etat et les prétextes brandis à l’encontre des premiers « colons » français et européens ne peuvent pas constamment être invoqués à tout bout de champ pour être l’alibi de l’incurie socio-économique actuelle et des événements graves qui grèvent à ce jour la sécurité matérielle des nigériens ; qui plus est, il va falloir alors construire le développement du Niger en s’appuyant sur des modèles idiosyncrasiques uniquement militaires et panafricains (confondus avec une rhétorique essentialiste de la Nation africaine) puisque ceux de la démocratie libérale et sociale ne sont plus viables selon la junte du fait de l’argumentaire de la colonialité intrinsèque aux actions occidentales, selon les « théoriciens » de ce panafricanisme étrangement surcolonial dans sa forme et son mode d’action. Ce qui est une régression historique pour le Niger qui a déjà fait l’expérience de nombreux putschs dans son histoire et le pays en connait le prix politique autant que socioéconomique.
Est-ce alors au nom du panafricanisme que la junte dirigerait le pays ? Seulement, le panafricanisme suppose d’avoir une vision continentale, africaine, démocratique et populaire, et au moins régionale pour sortir de la centration nationale et chauvine des États du Sahel : une leçon de géographie et de politique internationale permet de comprendre que le panafricanisme englobe tous les pays du continent de l’Union Africaine (et donc la Cedeao et les pays opposés à la gestion militaire de la chose politique) et non pas seulement ceux des juntes réunies dans l’Alliance des Etats du Sahel, réduite à celle du Liptako-Gourma.
J’aimerais même qu’on m’indique d’où vient le logo du CNSP qui en dit très long sur la culture esthétique des « penseurs » de la junte. On dira peut-être que ce coup d’Etat avait en fait une fonction négative profonde qui a échappé aux acteurs démocratiques sincères. Car il est clair que le Niger, avant le 26 juillet 2023, avançait sur le chemin d’un développement à deux chiffres et que le ciel radieux promettait des essors tous azimuts (sur les plans de l’éducation, des normes sécuritaires, économiques, etc.) qui sont désormais remis en question du fait des arrêts des accords de coopération avec les partenaires du Niger. L’arrêt des travaux du barrage de Kandadji, de l’exportation du pétrole, et de tous les projets importants pour le bien-être des populations, met le pays dans des difficultés socio-économiques réelles.
Il est temps de libérer le président Bazoum, sa femme, sa famille, ses ministres, et de rappeler les exilés pour faire en sorte que le pays devienne plus serein et avance enfin selon un ordre constitutionnel légitime et que les coopérations bilatérales et multilatérales reprennent afin que les croissances de développement reprennent pour créer les conditions de développement du pays. Il est temps d’arrêter de faire souffrir les populations et de les engager dans un développement progressiste et sérieux ; le temps des dictatures éclairées faisant appel à des sauveurs imaginaires pour régler des conflits nationaux est révolu. Les modèles de gouvernance doivent être plutôt ceux de la coopération internationale harmonieuse et des valeurs de coexistence pacifique ; la guerre n’a jamais été la grande santé des peuples.
Il est encore temps pour le Niger, pour l’Afrique de l’Ouest, de proposer des modèles politiques de gouvernance inventifs et vraiment bénéfiques pour tout le monde. Ce n’est pas la haine et le ressentiment victimaires qui font avancer les États et les sociétés mais l’invention et la concorde, l’éducation et le bien-être, la santé et la justice, la paix et la sécurité car les limitations des libertés fondamentales et les décisions de s’en remettre au militarisme revanchard peuvent cacher l’absence d’innovations et d’inventions politiques authentiques.
Quelques médailles en chocolat bien sympathiques ne satisfont que celles et ceux qui se paient de colifichets et de verreries coloniales pour combler leur vide intellectuel et politique. Car la politique se fait avec des Idées et des volontés, et non pas avec des communiqués de presse, des remises de médailles cachant mal les rémanences méprisantes des reconnaissances symboliques octroyées aux populations jadis colonisées.
La rédaction
L’Autre Républicain du jeudi 1er aout 2024