Un Fonds de solidarité est une belle idée en soi. A condition de lui assigner des objectifs clairs et pertinents et faire jouer les règles de la bonne gouvernance qui supposent rigueur dans la gestion, transparence et redevabilité. Dans la pratique, le Fonds de Solidarité pour la Sauvegarde de la Patrie (FSSP) mis en place par la junte n’obéit pas aux exigences d’une gestion orthodoxe. Une lanceuse d’alerte a récemment mis le pied dans le plat.
Ses révélations ont ouvert les yeux sur des pratiques qui donnent le tournis. Comment peut-on comprendre qu’un Fonds de solidarité se mette à financer des mémoires d’étudiants, débourser de l’argent au profit des oulémas pour lire le Coran et faire des prières Al qunut, qui devraient être faits au nom d’Allah, payer des connexions internet avec des factures ahurissantes, etc.
On pensait que les prières Al qunut contre l’impérialisme et les « ennemis internes et externes » étaient faites fissabilillahi. On se rend compte que non. Elles sont plutôt rémunérées parce qu’elles ont coûté 20 millions FCFA. Le FSSP a soutenu des mémoires d’étudiants à hauteur de 2.400.000 F sans que l’on ne sache si cette dépense était éligible et les critères sur la base desquels ces mémoires ont été sélectionnés.
Entre août et décembre 2024, le Fonds avait payé 43 858 000 F de connexion internet. De façon détaillée, on apprend que 28.788.000 F ont été payés pour installer internet avec un an d’abonnement, le 02 août 2024, et 15.070.000 F pour une connexion internet, le 26 décembre 2024. Le même jour, des matériels informatiques ont été payés à 15.070.000 F. Comme par hasard, c’est le même montant que pour la connexion internet. Son site web lui a coûté 20 millions de francs alors que sur la plateforme il est écrit que ledit site a été offert gracieusement par la société IFITUR. Qu’en est-il des montants indiqués pour financer la couverture médiatique alors que les médias n’ont rien perçu ?
On se rappelle que le FSSP avait déjà financé un projet d’éducation des masses de l’Union des Scolaires Nigériens (USN) dénommé « Illlimi da Nassiha A Missali », en 2024, un projet pour un changement de comportement par la communication, l’information et la sensibilisation. L’USN n’a pas vocation à initier et gérer des projets.
C’est sur les ressources du Fonds qu’une centaine de véhicules ont été payés, en un temps deux movements, au profit des forces de sécurité. Y a-t-il eu un appel d’offres ? Motus et bouche cousue. Par contre, le fournisseur était, lui, connu pour sa proximité avec la junte.
Nombreux étaient les Nigériens qui pensaient que les fonctions de membres du directoire du Fonds étaient assumées « patriotiquement ». On apprend que 3% du montant collecté sont accordés aux membres du bureau du Fonds pour le fonctionnement.
Revenir aux fondamentaux d’une gouvernance vertueuse
Il faut rectifier le tir. Car de la même façon que la Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale (COLDEFF), une autre trouvaille de la junte, a fait l’objet d’une inspection d’Etat qui a découvert des choses ahurissantes aux antipodes d’une gouvernance vertueuse, de cette même façon le FSSP doit être audité. Car cette structure apparait de plus en plus comme une caverne d’Ali Baba. Cela est contraire à l’engagement du général Tiani sur la bonne gouvernance, un des prétextes qui a motivé son coup d’Etat du 26 juillet 2023.
Selon Dr Adamou Issoufou, juriste, « techniquement, le FSSP est soumis au même régime juridique que les autres opérations portant sur les deniers publics notamment en matière de contrôle. Malheureusement, en lisant l’ordonnance le régissant, des insuffisances sautent à l’œil ».
Le constat qu’un autre expert a fait est que « dans le fond et la forme, il (NDLR : FSSP) reste contraire aux règles de la comptabilité publique…La présidente ou le vice-président reçoit des deniers publics en l’absence de toute régie de recette ».
C’est dans ce chaos organisé que la présidente du Fonds, Mme Réki Hassane Djermakoye, envisage d’élargir les opportunités d’alimentation du Fonds en prospectant de nouvelles niches. Une des pistes est de faire payer encore les travailleurs des secteurs public et privé. C’est cela qui a justifié sa rencontre avec les représentants des syndicats, il y a quelques jours. Les salariés vont-ils continuer à payer pour honorer des dépenses souvent fantaisistes ?
La rédaction
L’Autre Républicain du jeudi 13 Février 2025