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14 février, 2025
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Lutte contre la corruption au Niger : La volonté politique, le talon d’Achille !

Pour une gouvernance vertueuse, le pays s’est doté d’institutions et de mécanismes de lutte contre la prévarication. La Cellule nationale de Traitement des Informations financières (CENTIF), la Cour des comptes, le Pôle économique et financier, La Haute Autorité de la lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HALCIA), l’Autorité de régulation de la Commande publique (ARCOP), l’inspection d’Etat, l’Inspection des Finances, la déclaration des biens par les plus hautes autorités du pays… Tout cela n’a donné que des résultats mitigés tant les citoyens sont restés sur leur soif de voir l’embellie dans la gestion des affaires publiques. Tous les scandales connus demeurent impunis. Sauf quelques menus fretins ont été miroités au peuple comme pour noyer le poisson dans l’eau. D’aucuns disent d’ailleurs avec la volonté politique, la justice pourrait prendre en charge la lutte contre la corruption. C’est dire que sans réelle volonté politique, la lutte contre la corruption se réduira à des litanies voire une simple profession de foi. La junte aux commandes est-elle prête à inverser la tendance ?

De passage à Paris, entre autres, pour préparer la campagne présidentielle de Mahamadou Issoufou, Mohamed Bazoum, alors ministre d’État à la Présidence du Niger et président du PNDS avait confié à Jeune Afrique : « Le deuxième mandat de Mahamadou Issoufou sera plus propice à la lutte contre la corruption ». C’est le même optimisme qui animait les Nigériens après le coup d’Etat du général Tiani estimant que la période de la transition est plus favorable à la lutte contre ce phénomène qui gangrène le pays. Autant le président Issoufou, en son temps, n’attendait pas un autre mandat du peuple autant on pourrait penser que les militaires doivent assainir et retourner dans leurs casernes.

Quand on s’intéresse véritablement à lutter contre la corruption, on se rend à l’évidence que ce phénomène n’a pas de couleur politique ni de terre d’élection. Il y a qu’hier comme aujourd’hui elle sévit sur le pays : les individus s’enrichissent en appauvrissant l’Etat et par ricochet aggravent les conditions de vie déjà très insupportables de notre peuple.

A la question de Jeune Afrique de savoir si la lutte contre la corruption serait un des atouts de son candidat Issoufou Mahamadou, Bazoum avait rétorqué : « Elle est au contraire un des points faibles du mandat. Après son élection, Mahamadou Issoufou a d’abord essayé de rester en place et de ménager les uns et les autres. Il est clair que le deuxième mandat sera plus propice à la lutte contre la corruption : Issoufou n’aura plus rien à attendre de personne ». Ce qui s’est traduit malheureusement par cette triste réalité : d’une part la propagande sur la lutte contre la corruption et d’autre part, le laisser-aller voire la gabegie dans la gestion de l’Etat sous Issoufou était de mise. De temps en temps, le chef de l’Etat Issoufou Mahamadou amusait la galerie à l’image de feu le président Mamadou Tandja en brandissant des inspections d’Etat pour tenir en respect alliés et adversaires politiques ; il modifiait les textes de la Haute Autorité de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HALCIA) sans lui donner une véritable autonomie ; il initia l’opération dite ‘’Maiboulala’’ ou ‘’Ba sa ni ba sa bo’’ pour faire espérer les Nigériens. Le 3 août 2016, Issoufou Mahamadou a même osé une fois animer un échange interactif avec les citoyens sur Twitter. A cette occasion, en réponse à un internaute qui voudrait savoir qu’en est-il de l’opération Mai Boulala, le président Issoufou a répondu en ces termes : « L’opération se poursuit. La corruption est une véritable plaie pour notre société. Des efforts sont faits. Le Niger est passé de la 134e à la 99e place dans le classement de Transparency International ». Cette réponse du président Issoufou rappelle une autre. En effet, face à la presse en 2015, répondant à la question d’un confrère sur la lutte contre la corruption, le président Issoufou a dit : « Je n’abandonne pas ce combat, mais je le fais avec plus de patience et d’intelligence ». En d’autres termes, face à la réalité, le président s’est rendu compte du fossé entre le rêve et la réalité.

Et depuis quelque temps, plus d’un citoyen a l’impression que cet autre chantier du président Issoufou qu’est la traque des gestionnaires indélicats est plombé. On ne peut que prendre acte du repli tactique du président si c’en est un. Mais ce qui inquiète les citoyens comme cet internaute, c’est surtout ces ‘’dossiers brûlants de la République’’ passés sous silence malgré la détermination annoncée du président à combattre la corruption et les infractions assimilées.

S’il y a en tout cas un dossier sur lequel Issoufou Mahamadou était attendu à l’orée de son second mandat, c’était bien celui de la lutte contre la corruption et les détournements des deniers publics. D’abord en tant qu’opposant, l’ancien leader du PNDS-Tarayya s’était toujours posé en champion de la lutte contre l’enrichissement illicite au Niger. On se rappelle encore de ses fameux discours où il disait que ‘’le Niger n’est pas pauvre mais il est mal géré’’. On se rappelle encore de ce refrain : ‘’Issoufou mai maganin masu handama’’, autrement dit : « Issoufou, le bourreau des détourneurs des deniers publics ». En tant que président en exercice ensuite, il en a fait son cheval de bataille, mettant en place dès son premier mandat la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HALCIA). Malgré la bonne volonté des présidents et membres successifs de cette structure, les lignes n’avaient pas bougé parce que la HALCIA n’avait pas de réelle autonomie. C’est comme qui dirait, de la poudre aux yeux, une manière pour les autorités de l’époque de masquer leur impuissance à éradiquer ce fléau.

Toutefois, avec un peu plus de volonté politique sous Bazoum, la HALCIA a donné des résultats probants où des indélicats y compris ceux du parti au pouvoir ont pu être écroués pour leur mauvaise gestion des biens publics. Dès son investiture, le président Bazoum avait donné le ton en réaffirmant la tolérance zéro et en donnant plein pouvoir au juge pour assainir la gouvernance du pays. D’ailleurs d’aucuns disent que cette volonté politique de Bazoum pour exiger la reddition des comptes a eu raison de son mandat.

La COLDEFF ferait-t-elle mieux que la HALCIA ?

Chaque régime militaire met en place une commission d’enquête pour rassurer le peuple de son intention de purger et assainir la gestion des affaires sans réel succès d’inverser la tendance.  Le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) a créé la Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale (COLDEFF) avec une mission très noble. Après plus d’un an de gestion controversée, contre toute attente, il y a trois semaines le général Tiani a dissout le Bureau de la Coldeff. En effet, les syndicats des magistrats et avocats s’étaient très tôt opposés au mode opératoire de la Coldeff qui risque, selon eux, de laisser à l’Etat une kyrielle de contentieux. Le résultat mitigé de la Coldeff donne l’impression que le Bureau sortant avait atteint ses limites objectives empêtré lui-même dans une mauvaise gestion. A l’annonce de la Coldeff des 57 milliards recouvrés, les esprits avertis avaient demandé combien relève du recouvrement des deniers publics détournés et combien du redressement fiscal asséné contre certaines sociétés et entreprises ?

Quand on sait que la gouvernance était le second argument utilisé par le CNSP pour justifier la démolition des institutions de la 7ème République, n’est-ce pas un revers pour la junte militaire de n’avoir presque rien fait jusqu’ici sur les grands scandales attendus par les Nigériens portant sur la grande corruption ?

Pire, durant ses 18 mois de gestion, plusieurs scandales sont annoncés et restés impunis. On peut citer entre autres :  le scandale sur l’or qui a transité par l’aéroport international Diori Hamani avant de se retrouver à Addis Abeba, l’affaire de la société ZIMAR, la commande de 3,8 milliards de francs CFA de fournitures scolaires par le Ministère de l’Education nationale, des contrats de la Société Nigérienne de Pétrole (SONIDEP) dénoncés, le recrutement jugé suspect d’agents à la Caisse Autonome des Retraites du Niger (CARENI)…

Pire encore, on lit régulièrement des dénonciations de scandales et abus de toutes sortes par des acteurs majeurs de la transition. Le comble de la méprise, c’est qu’en dépit de la gravité des faits reprochés aux mis en cause, c’est l’omerta. Il n’a pas tort celui qui a dit que la dictature est le terreau de la corruption en ce sens que les contre-pouvoirs sont censurés ou tenus en respect. Les scandales financiers et de corruption présumée secouent le pays, donnant le sentiment que la triche et la fraude font partie du sport national, à tous les niveaux. Les Nigériens ont l’impression que certains tenants du régime actuel sont en compétition pour assurer leurs arrières, comme qui dirait. Et très malheureusement, personne n’a osé exiger une quelconque déclaration des biens aux personnalités aux commandes de la transition militaire à leur entrée en fonction.

Mais très tôt, des acteurs de la société civile et des médias avaient dénoncé l’Ordonnance n°2024-05 en date du 23 février 2024 qui a placé dans le secret défense un certain nombre de dépenses comme l’achat des équipements militaires et services, la construction des bâtiments de la Présidence et des résidences officielles, la prise en charge des réfugiés. « Le comble, c’est que les marchés passés sous l’empire de cette Ordonnance échapperont à la législation sur les procédures de passation des marchés publics, et à tout contrôle à priori et à postériori. Dans tous les cas, l’Autorité de Régulation de la Commande Publique (ARCOP) qui est sous l’autorité du Premier ministre Ali Lamine Zeine est-elle aussi brinquebalante faute d’organes de contrôle et de direction depuis de longs mois », a martelé l’Association Nigérienne de lutte contre la corruption (ANLC), section de Transparency International Niger. En substance, avec cette Ordonnance, on ne parle plus de taxes et d’impôts à percevoir sur les marchés passés. Ce qui fait dire à l’ANLC que cette Ordonnance est un ‘’boulevard ouvert à la grande corruption’’.

La suite est connue, les Nigériens ont vite déchanté avec une forte impression que la lutte contre la corruption ce n’est pas pour demain. Ceux qui ont pensé que la Coldeff allait renflouer les caisses du trésor public doivent attendre. Le challenge de la volonté politique reste et demeure entier pour faire bouger les lignes.

Elh. M. Souleymane

L’Autre Républicain du jeudi 13 Février 2025

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