Le communiqué du 14 juillet 2025 de la Confédération Démocratique des Travailleurs du Niger (CDTN) pourrait bien marquer un tournant décisif dans les relations jusque-là relativement contenues entre les syndicats et la junte au pouvoir depuis juillet 2023. En dénonçant sans détours les retards dans le paiement des salaires des mois de mai et juin mais aussi des pensions des retraités et des pécules des contractuels, la CDTN ne se contente pas seulement de tirer une sonnette d’alarme : elle révèle au grand jour une vérité que beaucoup soupçonnaient déjà, celle d’un État financièrement à bout de souffle, qui peine à remplir ses engagements les plus élémentaires vis-à-vis de ses fonctionnaires.
Le constat est implacable. Depuis deux ans, les autorités militaires ont multiplié les annonces de réformes budgétaires, opérant des coupes drastiques dans les dépenses de fonctionnement pour, dit-on, prioriser le paiement des salaires. Mais à quoi bon prioriser si, à la fin, la promesse n’est pas tenue ? Si malgré toutes les restrictions budgétaires imposées, les salaires ne tombent plus à terme échu ? L’alerte de la CDTN suffit-elle à démontrer que l’État, aujourd’hui, a atteint les limites de sa résilience financière ? Tout laisse à le penser.
L’on savait déjà que les caisses de l’État étaient à sec. Mais ce que révèle implicitement le communiqué de la CDTN, c’est l’ampleur de l’incapacité de l’État à honorer ses engagements financiers. L’isolement diplomatique du Niger depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023 a occasionné le gel des appuis budgétaires. Les maigres recettes internes, fondées essentiellement sur la fiscalité devenue très pressante actuellement et quelques exportations sous tension, ne suffisent plus à soutenir les charges de fonctionnement de l’État.
La fin de l’état de grâce avec les partenaires sociaux ?
Jusqu’ici, les syndicats avaient fait preuve d’une relative compréhension, embarqués par la rhétorique de souveraineté et les promesses d’assainissement financier. Mais ce dernier avertissement de la CDTN laisse entrevoir une rupture de confiance imminente. Si les salaires ne peuvent plus être payés à terme échu, malgré les priorités affichées, que restera-t-il du contrat social entre l’État et ses agents ? Peut-on encore espérer préserver la paix sociale dans un contexte où les travailleurs vivent déjà sous le poids d’une inflation galopante, d’un panier de la ménagère inaccessible et d’un avenir incertain ?
Le gouvernement est désormais face à un dilemme : ou il trouve rapidement une solution durable à la crise de trésorerie, ou il s’expose à une explosion sociale difficilement maîtrisable. Car l’histoire du Niger, comme celle de nombreux pays africains, enseigne que le retard cumulé de salaires est souvent source de tensions sociales dans un pays.
Si le mois de juillet se clôt sans paiement effectif des salaires, le Niger entrera alors dans un cycle d’arriérés. Et ce n’est pas qu’un simple problème administratif, c’est plutôt une bombe sociale à retardement. L’expérience montre que lorsqu’un État commence à accumuler des retards de salaires, il devient difficile d’en sortir sans réformes structurelles douloureuses, parfois imposées de l’extérieur notamment du FMI.
Dans les couloirs feutrés des Ministères, certains hauts cadres confient déjà leur inquiétude. “Nous faisons face à des arbitrages impossibles entre le paiement des salaires et le service de la dette, entre le maintien des services publics et l’approvisionnement en carburant”, souffle un responsable sous anonymat.
Le gouvernement peut-il encore trouver une échappatoire ? Les prochains jours seront cruciaux. La réalité est là : l’optimisme est de plus en plus rare dans les rangs des fonctionnaires, tout comme dans les bureaux des syndicats. La CDTN, en prenant “l’opinion nationale à témoin”, se prépare à hausser le ton. Elle sait qu’à travers le salaire, c’est la dignité même des travailleurs qui est en jeu.
Dans cette tempête qui se profile, une chose est sûre, la patience a des limites. Et les travailleurs du Niger semblent être à bout.
Mahamadou Tahirou