16 septembre 2024. Cette date marque le 1er anniversaire de la création de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) par le Burkina Faso, le Mali et le Niger. C’est suite à la signature de la charte du Liptako Gourma que cette organisation a vu le jour avec comme mandat la défense de leurs territoires contre le terrorisme et la criminalité transnationale. Depuis le sommet des chefs d’Etat tenu à Niamey, le 6 juillet dernier, le mandat de l’AES devenue Confédération a été élargi à la diplomatie et au développement. Un an après, quels sont les résultats obtenus au profit des populations sahéliennes ?
Pour Choguel Maiga, Premier ministre du Mali, dont les propos ont été rapportés par la télévision publique nigérienne, lundi 16 septembre dernier, chaque homme ressortissant de l’AES doit avoir trois épouses : une burkinabé, une malienne et une nigérienne. Faut-il en rire ou en pleurer ? Comment réduire l’intégration des Etats à une affaire de ménages ? Ce propos anecdotique traduit la vision étriquée qu’ont certains dirigeants de l’orientation qu’il faut donner à nos pays. Dites-nous Monsieur le Premier ministre ; qu’en sera-t-il le jour où l’AES va s’élargir à d’autres pays, sauf à ne considérer que quelles que soient les circonstances, l’AES va se résumer à ces seuls trois Etats ? Drôle d’intégration des peuples.
Une autre faiblesse de taille que nous avions relevée dans une de nos précédentes éditions, c’est le fait que l’AES reste limitée au seul Sahel, qui est un espace géographique bien déterminé. Aucun autre pays africain, hors Sahel, ne peut intégrer cette organisation. Curieux pour des régimes qui revendiquent le panafricanisme, eux qui ont préféré une organisation plus circonscrite à une plus large, plus ouverte et qui présente beaucoup plus d’opportunités, à savoir la CEDEAO.
Bilan sécuritaire mitigé
L’AES peut-elle être pertinente alors que les trois pays partagent déjà une organisation commune à savoir l’Autorité du Développement Intégré du Liptako Gourma (ALG) qui s’intéresse à la gestion concertée des ressources naturelles de cet espace, à la sécurité et au développement ? Si l’AES était conçue comme une force militaire conjointe qui a vocation à combattre le terrorisme dans la zone du Liptako Gourma, appelé zone des trois frontières, cela aurait été concevable. Mais force est de relever que la mutualisation des moyens pour lutter contre le terrorisme reste une perspective alors que c’est la raison d’être de l’AES. En effet, la force militaire conjointe prévue depuis 7 mois tarde visiblement à être opérationnelle. Un motif de satisfaction : les armées nationales se partagent les moyens logistiques et les renseignements.
Dans son discours de circonstance, le colonel Assimi Goïta, chef de la junte malienne et chef de file de l’AES, a indiqué que des progrès ont été faits sur la situation sécuritaire. « Grace à cette alliance stratégique (NDLR : AES), nos forces de défense et de sécurité ont enregistré d’importantes victoires sur le terrain affaiblissant considérablement les groupes armés terroristes », avait-il déclaré, le 15 septembre dernier. Comme pour démentir cette déclaration, des assaillants non identifiés ont attaqué, deux jours après, l’école de gendarmerie située dans la ville de Bamako. Le ministre malien de la Sécurité a indiqué que la situation est sous contrôle, et annoncé la poursuite des ratissages sans autre précision notamment sur le bilan tant du côté des forces maliennes que des assaillants. Dans la journée, c’est le JNIM, le groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans, qui a revendiqué l’attaque, en donnant son bilan des pertes subies par le Mali.
La question sécuritaire reste toujours centrale au niveau de ces trois pays en raison notamment de l’activisme, de la violence et de la facilité de mobilité des groupes terroristes. A cela, il faut ajouter ce risque accru de voir le conflit russo-ukrainien se transposer au Sahel. La revendication par l’Ukraine de son appui aux groupes indépendantistes du nord Mali en guerre contre le gouvernement de Goîta et la présence des mercenaires du groupe russe Wagner aux côtés du Mali et du Burkina donnent une autre dimension à la question sécuritaire dans le Sahel. Cette situation est grosse de périls pour la région sahélienne.
Sans parvenir à régler la question sécuritaire commune aux trois Etats, les pays de l’AES ont décidé de créer une Confédération paraphée lors du 1er sommet des chefs d’Etat le 6 juillet dernier, à Niamey, avec un mandat élargi à la diplomatie et au développement. « Qui trop embrasse mal étreint », dit le proverbe.
Que retenir d’autre ?
Pas grand-chose que des projets et l’espoir d’un lendemain qui chante. Une banque d’investissement et un Fonds de stabilisation seront créés, une web télé sera lancéepour déconstruire le narratif des puissances hostiles, un passeport biométrique AES sera délivré alors que le Burkina a déjà déclaré avoir produit son propre passeport sans le logo de la CEDEAO, des projets culturels, éducatifs et sportifs seront bientôt lancés, la connectivité des territoires sera assurée, etc. Ce sont des projets que porte l’AES sans aucun timing. L’AES semble vouloir faire tout en même temps, pour apparaitre aux yeux des populations comme une bonne substitution à la CEDEAO que les juntes sahéliennes ont décidée de quitter, dans le secret de leurs bureaux.
Pendant ce temps, de quels instruments ou directives dispose-t-on sur le commerce, la libre circulation des personnes, des biens et des services, le transport, le droit d’établissement, la tarification des prix ?, etc.
Il est bien que les trois pays fassent entendre leur voix commune sur la scène internationale, et conçoivent et exécutent des projets structurants et intégrateurs. Mais il est mieux que les peuples soient associés à la démarche. Car on ne peut pas reprocher à la CEDEAO d’être une organisation des chefs d’Etat, et ignorer les opinions des peuples du Burkina, du Mali et du Niger dans la définition des orientations stratégiques qu’on leur impose dans le cadre de l’AES.
La rédaction
L’Autre Républicain du jeudi 19 septembre 2024