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12 octobre, 2024
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  Point de vue : Les mots et les choses au Sahel : mode d’emploi

…La réponse de Confucius (VIe siècle av. J.-C.) à l’un de ses disciples qui lui demandait : « Maître, que feriez-vous en premier, si vous étiez chef d’Etat ? » « La première chose que je ferais, répondit Confucius, serait de redresser les noms. »

Les mots sont les routes que nous empruntons chaque jour pour atteindre les autres, nous-mêmes et la réalité. Les mots sont des graines que le vent transporte et qui, parfois mystérieusement, portent des fruits insoupçonnés. Les mots sont des pierres qui blessent ou des barbelés qui divisent comme des frontières armées. Les mots trahissent la vie ou sont comme des sources auxquelles on s’abreuve pour continuer à espérer en l’avenir. Les mots nous font et nous faisons les mots. Il y a ceux qui les gardent jalousement et ceux qui les jettent comme des harpons sans importance. Les mots indiquent la direction du chemin et, souvent, les choix que l’on fait. Entre les mots, la pensée et l’action, il existe une étonnante complicité. Aucun mot, on le sait, n’est innocent.

« La perversion de la ville commence par la fraude des mots ».

Cette citation, attribuée au célèbre philosophe grec Platon, véhicule un message difficilement contestable. Celui qui a le pouvoir sur le choix et le sens des mots a aussi le pouvoir sur la définition de la réalité. Il fut un temps où, au Sahel, on appelait « exodants et aventuriers » ceux qui allaient chercher fortune ailleurs. Puis le mot « migrant » s’est viré en « clandestin », et l’illégalité s’est déguisée en irrégularité et enfin en criminalité. La transformation des mots et la maîtrise du sens qu’ils contiennent ont conduit à un changement de la vision de la réalité des migrants.

Quelques années ont passé et le dictionnaire sociopolitique de notre espace nigérien a été traversé par des mots, des concepts et des orientations qui l’ont marqué. L’indépendance, la Constitution, les Conférences Nationales Souveraines, les élections et les mandats présidentiels. La renaissance, l’africanisation des cadres, le développement endogène, le partenariat gagnant, la démocratie et la croissance compatible. Le pouvoir pour se servir du peuple, le pluralisme et la transhumance des partis pendant que les Nigériens Nourrissent les Nigériens. Ces mots et d’autres ont marqué la vie sociale de notre pays au cours des dernières décennies. Les coups d’état à répétition ont révélé et en même temps caché leur importance et leur drame. Car la politique n’est rien d’autre que la tentative de traduire ou de trahir les mots qui portent les projets de société des gouvernants du moment.

Grâce à la « prise de pouvoir » du Parti, elle est passée de la langue d’un groupe social à la langue d’un peuple.  Elle a investi tous les domaines de la vie privée et publique : la politique, le droit, l’économie, la science, l’école, le sport, la famille, les jardins d’enfants et les chambres à coucher.

 (Victor Klemperer, L.T.I).

L’auteur susmentionné, philologue de formation, a écrit son journal pendant la dictature nazie en Allemagne. Juif et donc persécuté, il a conservé la lucidité nécessaire à sa survie grâce à sa « déconstruction » du langage dictatorial du régime en place. C’est une leçon à retenir par cœur en toutes circonstances et sous tous les régimes, y compris l’actuel régime d’exception. L’attention aux mots et à leur usage devrait être la première tâche des intellectuels qui méritent ce titre. Ceux-ci, comme les citoyens ordinaires, ne doivent déléguer à personne le devoir de prendre les mots au sérieux et de les utiliser avec circonspection, en connaissant leur impact sur la réalité quotidienne.

La patrie et sa sauvegarde, la souveraineté politique, économique, alimentaire, culturelle et humanitaire, le nationalisme, le retour aux sources, la dignité, le caractère sacré des frontières, les ennemis, le complot et la sécurité totale font partie du nouveau lexique politique. On sait combien les mots cités, et d’autres semblables, peuvent contenir des éléments de vérité et des possibilités de dérives et de divisions avec ceux qui leur donneraient un contenu différent.

Le risque est souligné, entre autres, par Philippe Breton, politologue, … Le discours manipulé est une forme de violence : d’abord contre la personne à qui il s’adresse et ensuite contre le discours lui-même, qui est le pilier central de notre démocratie.

Mauro Armanino

L’Autre Républicain du jeudi 19 septembre 2024

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