Le Directeur Général du Centre National de Coordination du Mécanisme d’Alerte Précoce et de Réponses aux Risques sécuritaires (CNAP), Monsieur Ibrahim Garba Birmaka, et l’un de ses collaborateurs, le Colonel Major Boubacar Hassane, ont été placés sous mandat dépôt à la prison de Say après un peu plus de 40 jours de détention à la gendarmerie nationale.
Quels sont les torts imputés à ces deux hauts fonctionnaires de l’État ?
Certes, pour beaucoup d’observateurs, cette question n’a pas sa place dans un contexte de régime d’exception, mais il est crucial de veiller à ce que les faits ne se dérobent pas à la mémoire collective car la vérité finit toujours par jaillir des ténèbres.
Les faits
Le 19 août 2024, Ibrahim Garba Birmaka a été appréhendé sur son lieu de travail par les agents de la DGDSE. Pendant une semaine, ni sa famille ni ses collaborateurs n’ont reçu de nouvelles de lui : rien sur son lieu de détention ni sur ses conditions de rétention. C’est finalement le 26 août 2024 qu’il a été transféré à la brigade de recherche de la gendarmerie nationale et c’est seulement à cette occasion que sa famille a pu le voir pour la première fois et s’enquérir de son état de santé.
Il aurait été auditionné par les gendarmes le 31 août pendant presque toute la journée et en l’absence de son avocat. Une deuxième audition aurait eu lieu le 3 septembre, mais toujours sans son avocat.
Il semblerait qu’au début, Monsieur Ibrahim ignorait toujours les raisons de son interpellation et les accusations qui pèsent contre lui. D’après certaines sources, le CNAP qu’il dirigeait a été soumis à une perquisition par la DGDSE le 21 août 2024, durant laquelle tout l’équipement informatique a été saisi, de même que les téléphones des experts qui y travaillent. L’un d’entre eux, le Colonel Major Boubacar Hassane aurait été appréhendé par la brigade de recherche de la gendarmerie le même jour de la perquisition.
Les mêmes sources affirment que Ibrahim aurait été auditionné par les agents de la DGDSE, entre autres sur la nature de la collaboration de son service avec certaines chancelleries accréditées au Niger comme l’Ambassade d’Espagne, celle des Etats-Unis, de l’Allemagne etc.
Dans la foulée de l’interpellation de Monsieur Ibrahim et de son collaborateur, il semblerait qu’un décret est intervenu le jeudi 22 août 2024 pour dissoudre le CNAP. Cette précipitation à dissoudre un tel Centre à vocation régionale suscite beaucoup de questions.
Par ailleurs, les attributions du DG sont clairement précisées par le décret, notamment à son article 14 qui stipule que : « le directeur du CNAP coordonne et contrôle les activités du Centre et rend compte au Président du Conseil d’Orientation et de Suivi. Il prépare les réunions du Conseil d’Orientation et de Suivi et dresse le compte rendu. Il représente le CNAP dans ses relations avec les tiers, les usagers, les services publics et les organisations internationales. Il assure la production et la diffusion des informations, des notes, des alertes, des mesures d’urgences ou des rapports approuvés par le Conseil d’Orientation et de Suivi. Il est l’ordonnateur du budget du centre ».
A ce niveau aussi, les dispositions ne souffrent d’aucune ambiguïté. S’il y’a une faute commise, il existe des procédures administratives pour sanctionner surtout que le CNAP est placé sous la tutelle de la Primature, et le Premier ministre en est le président du Conseil d’Orientation et de Suivi.
Ce Conseil est composé de 18 ministres selon les dispositions du décret, presque tous les membres du gouvernement.
D’après les informations que nous avions eues, le Directeur Général du CNAP a été finalement inculpé et placé sous mandat dépôt le 9 octobre 2024.
Les questionnements
Quels sont les chefs d’accusations retenus contre Monsieur Ibrahim et le Colonel Major Boubacar Hassane ? Qu’est qui est reproché au CNAP en tant que service de l’Etat ? Quelles sont les restrictions administratives et juridiques associées aux publications du CNAP ? Est-ce que les analyses du CNAP sont explicitement classifiées confidentiel-défense, secret-défense ou très secret-défense ? De quelle manière le DG d’un service public qui reçoit les directives de 18 ministres peut-il commettre une infraction pénale ? Quel est le règlement interdisant au CNAP de collaborer avec les chancelleries accréditées au Niger, telles que les Ambassades mentionnées précédemment ? Pourquoi le DG du CNAP et son collaborateur n’ont-ils pas été sanctionnés administrativement en cas de faute professionnelle ? Étant donné que les analyses réalisées par le CNAP sont accessibles au public, on peut légitimement se demander quelles raisons poussent la junte à engager des poursuites pénales à l’encontre de ces deux experts ?
Les questions ne tarissent pas face à cette situation inédite dans notre pays où des fonctionnaires de l’Etat sont incriminés dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions.
Force est de constater qu’en vertu du décret instaurant le mécanisme d’alerte précoce et le CNAP, Monsieur Ibrahim dispose d’attributions assez larges qui le protègent administrativement. Le CNAP n’est pas un service de renseignement, ce n’est pas non une structure militaire soumis à des droits de réserve strictes. Le Premier ministre en est normalement le premier responsable.
Avant tout, le CNAP est un service public qui collecte des informations et données publiques accessibles à tous et qui produit des analyses et des bulletins à travers des méthodes scientifiques notamment la triangulation des données.
La base de données du CNAP et ses rapports sont de même nature que ceux d’ACLED DATA, de WANEP, de INSO, de l’UNDSS, de OCHA etc.
N’étant ni militaire ni officier de renseignement, le DG du CNAP n’est en mesure de détenir aucune information confidentielle susceptible de compromettre la sûreté de l’Etat et la défense nationale. En outre, le DG du CNAP ne peut partager aucune information qui ne relève pas de ses prérogatives et ses attributions.
D’ailleurs, le CNAP dispose d’un plan d’action 2022-2024 du CNAP adopté par son conseil d’orientation. Ce plan précise les projets, programmes et toutes les activités à réaliser, le budget consacré à ceux-ci, ainsi que les partenaires intervenants.
Cumulativement, le DG du CNAP exerçait aussi les fonctions de Secrétaire Exécutif de la Stratégie Nationale de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent. Grâce à sa capacité à endosser deux rôles importants simultanément, il occupe une position essentielle dans le processus de stabilisation de la région.
Tout ce que l’on sait, c’est que Monsieur Ibrahim est le frère cadet de l’ancien conseiller spécial du président Bazoum et ancien directeur adjoint du Centre National d’Etudes Stratégiques et de Sécurité (CNESS), Dr Abdoul Azizou Garba Birmaka. Est-ce que c’est ce dernier qui est la véritable cible ?
La rédaction
L’Autre Républicain du jeudi 17 octobre 2024
Quelques informations sur CNAP
Il faut rappeler que le CNAP est l’organe d’exécution du Mécanisme National d’Alerte Précoce et de Réponse aux Risques sécuritaires, créé par le décret N° 2020-184/PRN/PM en date du 06 mars 2020. Ses principales missions, telles qu’énoncées à l’article 2 dudit décret, consistent à :
- Recueillir en temps opportun des informations relatives aux menaces réelles et potentielles à la bonne gouvernance, à la sécurité, à la paix, à la santé, à l’alimentation ;
- Alerter le gouvernement sur la nature et l’ampleur des menaces identifiées ;
- Suggérer des réponses et/ou approches de solutions adaptées aux menaces ;
- Suivre et, au besoin, coordonner la mise en œuvre des réponses par le gouvernement ainsi que celle apportées par des organisations sous-régionales, régionales et internationales ;
- Prendre les mesures nécessaires afin de réduire aux maximum le temps de réaction entre l’alerte sur les menaces identifiées et les réponses à apporter ;
- Contribuer au renforcement de l’architecture paix et sécurité de la CEDEAO.
Selon l’article 4 du décret, le CNAP décide de la publication de ses notes d’analyses sur la situation sécuritaire du Niger. Selon l’article 11 du décret, le CNAP a pour mission de :
- Collecter, centraliser et analyser les données et renseignements fournis par les services de l’Etat, les collectivités territoriales, les organisations nationales et internationales de la société civile ou par toute autre source d’information ;
- Produire et diffuser les notes, les bulletins ou les rapports de traitements et d’analyses des informations et renseignements recueillis ;
- Veiller à la prévention en temps opportun et à la résolution rapide des conflits en proposant au gouvernement toutes réponses appropriées à l’analyse effectuée ;
- Veiller au développement de synergies entre les services chargés de la lutte contre l’insécurité et les crimes organisés ;
Suivre, évaluer et, au besoin, coordonner la mise en œuvre des réponses proposées aux menaces identifiées en rapport avec les services de l’Etat, les collectivités et les organisations nationales et internationales de la société civile.