Des centaines de manifestants ont défilé à Niamey, le 16 novembre 2024, à l’appel de la Synergie des organisations de la société civile pour soutenir le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) et la confédération de l’AES. La manifestation, qui a rassemblé des membres du CNSP, ceux du gouvernement, des leaders d’associations qui soutiennent le CNSP et de nombreux curieux, a débuté à la Place Toumo avant de se diriger vers la Place de la Concertation, où un meeting a eu lieu. L’intervention du gouverneur de la région de Niamey a créée des réactions surprises parmi certains supporters du CNSP. Plus d’un analyste se demande si la junte n’est pas en train de céder aux chants de sirène anachronique visant à instrumentaliser le droit souverain du peuple nigérien à choisir ses dirigeants. N’est-ce pas surréaliste de voir des personnes assez ‘’civilisées’’ battre le pavé pour dire non aux élections ?
L’absence de certains membres de l’establishment à cette manifestation suscite quelques interrogations sur la collégialité de cette initiative qui engage sans conteste le CNSP. On le sait, les meetings de soutien constituent un stratagème pour usurper la souveraineté du peuple pour donner l’impression que l’initiative vient de ce même peuple. On a en mémoire l’activisme du Comité de soutien à Ibrahim Mainassara Baré (COSIMBA), le tazarce, à l’époque du président Mamadou Tandja, pour attribuer au peuple la responsabilité d’une aventure. Sauf qu’un meeting de soutien ne vaut pas un référendum, serait-on tenté de répliquer à certains zélateurs qui croient agir en terrain conquis. Mais une chose est sûre, en mobilisant l’appareil d’Etat pour s’assurer un succès retentissant à la ‘’manif non aux élections’’, la responsabilité de la junte est pleinement engagée. Ce faisant, elle renvoie comme message aux citoyens que leur choix est une quantité négligeable. Le moins qu’on puisse dire, il y a une volonté d’infantiliser le peuple nigérien par quelques-uns. C’est un précédent dangereux que des acteurs de la société civile s’associent aux militaires pour contester les élections comme voie universelle d’accès au pouvoir.
Un pied de nez à l’ancien président Issoufou
Les propos du gouverneur de la région de Niamey, qui semble désormais vouloir élargir le consensus autour du pouvoir militaire tout en prenant ses distances avec l’ancien président Issoufou Mahamadou, soulèvent de nombreuses questions quant à l’avenir politique du pays et à la véritable nature de cette transition. C’est un secret de polichinelle que la junte nigérienne a bénéficié d’un certain soutien de la part d’Issoufou, stipulant une connivence tacite qui s’est manifestée à travers des stratégies plus ou moins harmonisées.
Cependant, le récent discours du gouverneur de la région de Niamey, qui déclara « seul Dieu et le peuple Nigérien peuvent trancher sur les futures élections », reflète une volonté de distanciation. C’est un truisme de le rappeler, l’ancien président Issoufou est l’adepte d’une courte transition avec à la clé son retour aux affaires. Par ces mots, le gouverneur non seulement conteste l’héritage d’Issoufou mais également signale une désaffection envers un ancien président dont la gouvernance a été marquée par des critiques. En déconstruisant le slogan emblématique de ses précédents mandats, « Vous avez fait, on a vu, et nous vous en remercions », il a non seulement pris position contre tous ceux qui soutiennent l’ancien président mais également remis en question les résultats du passé, en affirmant que « kayi mun gani, ka bata » autrement dit « tu as fait, nous avons vu et tu as gâté ».
Cette déclaration, loin d’être un simple coup de théâtre, pourrait signifier une intention stratégique de la part de la junte. En ciblant l’ancien régime de la septième République, elle donne le signal à une population en quête de changement, tout en se positionnant comme le champion d’une rupture avec les pratiques du passé. Les analystes s’interrogent alors : cette volonté de renier Issoufou est-elle réellement ancrée dans une aspiration à la transparence démocratique ou s’agit-il d’une manœuvre destinée à détourner l’attention des critiques sur la gestion chaotique de la transition en cours ? Les sceptiques de la junte, dont les voix se multiplient, pourraient interpréter cette rupture comme un stratagème pour gagner en légitimité face à une population désillusionnée.
Un autre enjeu préoccupant est de savoir si le gouverneur de Niamey a agi avec l’assentiment du général Tiani et des autres membres du CNSP. Les mots prononcés ont créé une onde de choc non seulement parmi les partisans d’Issoufou, mais aussi à l’intérieur de la junte elle-même. Cela pourrait signaler une discordance ou une lutte de pouvoir au sein de l’appareil militaire, qui, historiquement, est souvent sujet à de tels conflits. Si cette déclaration était effectivement avalisée par Tiani, cela marquerait un tournant radical dans la politique nigérienne où le retour à une démocratie équitable serait pris en otage parce que le peuple ne sait pas ce qu’il veut, comme qui dirait. Mais à bien lire entre les lignes, on est à mille lieues entre les propos du gouverneur de Niamey et ceux du colonel Ibro Amadou qui a parlé au nom du général Tiani. Le moins qu’on puisse dire, le colonel Ibro n’a pas été clair. Le gouverneur de Niamey aurait-il joué au fou du roi ? La question reste posée.
La réaction des partisans d’Issoufou, qui aspirent à une transition courte et à un retour à l’État de droit, sera cruciale. Entre désillusions et attentes frustrées, ces partisans pourraient être conduits à réévaluer leur stratégie politique. En effet, certains d’entre eux pourraient y voir une provocation destinée à raviver les tensions, tandis que d’autres pourraient tenter de rassembler leurs forces pour reprendre le contrôle du récit politique. La capacité de la junte à gérer cette crise de confiance au sein de ses propres soutiens est un facteur déterminant pour son avenir.
Les récents événements au Niger, et particulièrement les déclarations controversées du gouverneur de Niamey, soulèvent des questions fondamentales sur la stabilité politique du pays et la nature de la transition en cours. L’éventuelle rupture entre la junte et l’ancien président Issoufou, bien que n’étant pas encore pleinement matérialisée, semble de plus en plus plausible. À l’heure où les regards se tournent vers l’avenir, le comportement des acteurs politiques clés, tant du côté de la junte que parmi les partisans d’Issoufou, déterminera le chemin que prendra le Niger dans les mois à venir. Les réponses à ces questions nous en apprendront davantage sur la direction politique que le pays choisira de suivre. On saura bientôt si c’est une résolution de la junte à s’émanciper de ‘’son Autorité morale’’. Wait and see.
La rédaction
L’Autre Républicain du jeudi 21 novembre 2024