L’hypothèse d’un coup d’Etat n’a jamais été écartée dans l’exercice du pouvoir dans les Etats sous-développés. Mais, il a toujours été présenté comme un frein au processus démocratique. Le coup d’Etat est, en effet, perçu comme un acte de nature à entraver l’évolution normale d’un processus démocratique. Généralement, ses auteurs s’appuient sur différents artifices et prétextes, pour renverser le gouvernement et les institutions en place pour atteindre des objectifs souvent éloignés de l’intérêt général et des aspirations légitimes du peuple.
En la matière, le Niger est l’un des pays les plus respectés d’Afrique. Cet acte est même banalisé et pendant longtemps, il ne surprenait presque personne. Cependant, depuis la survenue de ce qui est qualifié « des évènements du 26 juillet 2023 », le Niger vient d’innover. Il a, en effet, inventé un nouveau type de coup d’Etat dont la consolidation pourrait créer un précédent très dangereux.
Avec un peu de recul, en effet, on se rend compte que cette innovation est de nature à nuire au processus démocratique car mettant en péril toute idée de succession démocratique à la tête d’un Etat.
Ainsi, dès le lendemain du 26 juillet, certains esprits avisés auraient bien compris le jeu de l’ancien Président ISSOUFOU et des éléments de l’armée qu’il aurait délibérément et subtilement « placés et légués » au Président BAZOUM pour servir la cause. L’on se souvient, encore, de la tentative de coup d’Etat avortée du 31 mars 2021 dont beaucoup d’acteurs continuent de penser qu’elle aurait été orchestrée pour impressionner le Président entrant et le lier moralement afin de le contraindre à garder le dispositif sécuritaire à lui légué. De nos jours, d’autres langues commencent à se délier après moult hésitations, tellement la situation était invraisemblable. En effet, avec le temps et au fil des actes et faits, la croyance à un coup d’Etat salvateur s’effrite tant du côté des opposants et autres acteurs politiques et sociaux naïfs que du côté des acteurs politiques ayant fermement espéré récupérer le mouvement.
Au même moment, la mort dans l’âme, les militants et certains leaders du PNDS et partis alliés commencent à admettre ce qu’ils avaient tenté de nier jusque-là, c’est-à-dire, la probable implication de l’ancien Président et co fondateur du PNDS à ce vaste complot contre le Niger, contre celui qu’il a toujours présenté comme étant son meilleur camarade et ami ; le Président élu sous la bannière de son parti, une élection qui lui avait, pourtant, valu tous les honneurs et le bonheur de ce bas monde.
Le plan savamment monté et entretenu aurait certainement des répercussions négatives tant sur la perception du pouvoir que sur l’alternance démocratique souhaitée un peu partout.
- Une communauté nationale et internationale naïvement trompée
Il lui avait suffi de déclarer son intention ferme de ne pas modifier la Constitution dans la perspective d’un troisième mandat pour enflammer et encenser une partie de la communauté nationale et pratiquement toute la communauté internationale. A la satisfaction de tous, il avait eu accès à toutes les rencontres internationales et était cité partout où la problématique de l’alternance démocratique était débattue. Il recevait des prix et des trophées de la gouvernance. C’est une évidence ; il a réussi à construire une stature et une réputation susceptible de le placer aux devants de la scène politique internationale et de le mettre à l’abri de tout soupçon.
Mais les bonnes questions qui auraient pu être posées à l’époque étaient celles de savoir, entre autres, s’il disposait vraiment de toutes les recettes juridiques, politiques et sociales lui permettant de briguer un 3e mandat ? Objectivement, pouvait-il réussir là où le Président Tandja avait échoué ? Avait-il réellement renoncé alors qu’il en était capable ou parce qu’il savait qu’il n’avait pas le choix ? Comment comprendre le fait que les premiers soutiens de la junte soient les opérateurs économiques qui lui sont proches et fidèles ? Quid de son refus de condamner ce coup, c’est-à-dire, ce qu’il a toujours fait lorsqu’il s’agissait d’un autre Etat ?
- Un bicéphalisme atypique et malsain de l’exécutif : Un Président de fait, tantôt devant, tantôt « derrière » le Président de droit.
Le Président Issoufou est parti, vive le Président Issoufou. C’est par cette boutade qu’on est tenté de qualifier le comportement du Président Issoufou après avoir passé le témoin au Président Bazoum.
Un peu partout dans le monde et, particulièrement, en Afrique, l’on assiste à une forte personnalisation du pouvoir politique. Ainsi, après avoir exercé le pouvoir pendant un (1) voire deux (2) mandats, l’essentiel des institutions et cadres vibrent au rythme et au pas du Président sortant. Le réflexe naturel est de se tourner vers celui-ci avant de s’habituer au rythme et au style du nouveau locataire de la Présidence. C’est la raison pour laquelle, les Présidents sortants préfèrent s’éloigner des centres du pouvoir pour ne pas gêner leurs successeurs. En a-t-il été, ainsi, du Président Issoufou ? S’était-il placé dans la même situation que les autres Chefs d’Etat ? Où était-il logé et entretenu ? Qui assurait sa sécurité ? Quelle était son influence sur les nominations aux emplois supérieurs de l’Etat, sur le paiement des dettes internes de l’Etat, sur l’organisation et le fonctionnement des institutions et entreprises publiques de l’Etat ? Quid des rencontres avec les délégations internationales qu’il recevrait avant ou après avoir rencontré le Chef de l’Etat en fonction ? En somme, aucun pan de la politique interne ou extérieure ne lui aurait échappé bien que n’étant plus Président en exercice. Sur la forme, il a quitté le pouvoir mais, au fond, il aurait fonctionné comme un Président exæquo, installant par là un bicéphalisme particulièrement gênant à la tête de l’Etat.
- Une alternance démocratique globalement menacée
La leçon qu’il convient de tirer de ces évènements pourrait être la suivante : A défaut de pouvoir se représenter pour autre mandat, un Président en fin de mandat pourrait bien créer les conditions de sa succession et rester en embuscade pour surveiller les actes et faits du nouveau Président.
Ainsi, au moindre malentendu avec le successeur, les éléments et leviers savamment agencés pourraient être actionnés pour tenir en respect, voire, destituer le nouveau Président. En conséquence, l’alternance démocratique tant chantée, adulée et adoubée pourrait s’avérer comme un leurre.
C’est cette hypothèse, jusque-là, invraisemblable qui serait en train d’être expérimentée au Niger. Elle mérite une attention particulière de la part de tous ceux qui croient à la démocratie et à l’éthique dans la gestion de l’Etat.
L’Autre Républicain