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Niamey
12 octobre, 2024
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          Point de vue :  Vérité et fiction dans le Sahel d’aujourd’hui

Un ami journaliste l’a avoué aujourd’hui. Il a répondu en retenant son souffle lorsqu’on lui a demandé pourquoi, si soudainement, les journaux, les stations de radio et les journalistes établis s’étaient alignés sur le nouveau régime militaire au pouvoir au Niger. On fait semblant », a-t-il répondu. Et ce, afin d’éviter d’éventuels problèmes à l’avenir et de se garantir du pain et une vie plus tranquille. Lui qui a récemment démissionné du journal pour lequel il travaillait depuis des années n’exclut pas que certains le fassent par conviction. Comme toujours dans la vie réelle, les frontières entre les héros, les saints, les navigateurs et les lâches ne sont pas faciles à tracer.

D’un autre côté, admettons-le. Ce qui se passe dans les pays voisins et au Niger apparaît comme particulier et singulier dans le contexte de l’insécurité qui règne sur cette « rive » appelée Sahel. Des régimes militaires qui, avec le soutien réel et apparent d’une partie importante de la population, concluent entre eux des alliances militaires, économiques et politiques. Ils démantèlent par des décrets, des ordonnances ou des lois promulguées pour l’occasion l’ancien système. Les arrangements diplomatiques, militaires et juridiques des régimes précédents sont renégociés ou simplement modifiés. Tout cela, bien sûr, sans l’aval de l’Assemblée nationale, dissoute par le coup d’État du 26 juillet.

Le Niger, semble-t-il, réalise avec une créativité incontestable les différentes options et possibilités des républiques et des démocraties telles qu’elles sont appliquées et vécues aujourd’hui. Des coups d’État militaires se produisent chaque décennie. Des périodes intenses de transition, d’exception et de confusion. Assassinat d’un chef d’État par sa propre garde présidentielle et, actuellement, assignation à résidence du président reconnu par la communauté internationale. Le tout est dans les mains des militaires et des corps spéciaux formés notamment par les États-Unis et l’Occident.  La conclusion ne laisse aucune place au doute. Les contextes politiques et économiques ont placé les militaires en position d' »arbitres » du jeu.

Finis les temps forts de la jeunesse, enfants et adultes saturant le stade et les drapeaux nationaux dans le vent sablonneux des tricycles conduits par des jeunes casqués et vêtus de T-shirts aux couleurs du Niger. Moments forts autour des ronds-points ou de la place de la Résistance nouvellement baptisée près de l’ancienne base militaire française de l’aéroport. Ils passent à autre chose en attendant la concertation nationale promise qui doit dicter les lignes du futur pays sous le sceau de la « souveraineté » sans concession. Après avoir suspendu les émissions radiophoniques de Radio France Internationale, familièrement RFI, c’est maintenant au tour du son site web à disparaitre.

Rien d’étonnant à ce que même l’administration de la justice apparaisse, comme toujours, indissociable du pouvoir en place. Plusieurs ministres de l’ancien régime sont en détention et il n’y a aucune perspective de procès à leur encontre. Le climat social est affecté par la gravité de la crise économique et, surtout, par la « tristesse » d’une pensée unique qui semble se dessiner dans le paysage politique du pays. Il est difficile de penser à un échange pacifique, démocratique et pluraliste lorsque l’autocensure, facilitée par le contexte actuel, semble favoriser une seule et unique direction dans le pays.

La vérité et la fiction traversent partout des frontières poreuses, et le Sahel n’échappe pas à la règle. Terre de présence et de conquête pour les multinationales, les groupes armés, les bandits, les contrebandiers, les politiciens corrompus, les soldats héros et les millions de déplacés, de réfugiés et de migrants qui imaginent leur vie ailleurs. Des idéologies et des analyses dépassées et sans rapport avec la réalité se mêlent, comme la poussière au vent, aux récits d’une souveraineté reconquise au prix fort. Pendant ce temps, au Niger et ailleurs, se perpétuent une famine et une précarité récurrentes que le quotidien traduit par une douleur muette. Seul notre peuple sablonneux saura retrouver le chemin, perdu,  de la dignité.

    Mauro Armanino, Niamey, 7 janvier 2024

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