Décidément, la junte du général Tiani adore le forcing même si cela se conclut par des revers judiciaires. On ne jongle pas avec le droit. Les incarcérations extrajudiciaires du fils du président Bazoum, du chef de groupement arabe de N’gourti, de Abdourahamane Ben Hameye et de Mohamed Mbarek, qui se sont soldées par des décisions de justice visant à les libérer sont là pour dire à la junte que le droit c’est le droit. Pourtant, la junte n’a eu de cesse de proclamer urbi et orbi que le Niger est un Etat de droit, c’est-à-dire un Etat régi par les règles de droit.
Manifestement, la junte n’a rien appris de ses revers judiciaires. Elle vient d’engager la levée de l’immunité du président Mohamed Bazoum pour haute trahison. La Cour d’Etat, saisie de cette demande, devrait statuer ce vendredi 5 avril.
En droit, la requête de la junte est irrecevable car l’Ordonnance qui créé la Cour d’Etat parle d’anciens chefs d’Etat alors que le président Mohamed Bazoum n’est pas ancien chef d’Etat. Il ne l’est pas parce qu’il est dans l’exercice du mandat que le peuple souverain lui a confié lorsqu’il a été séquestré de façon illégale. Même si, par extraordinaire, il démissionne, il n’y a pas d’autorité légale habilitée à constater sa démission en raison de la dissolution, par les putschistes, de la Cour constitutionnelle.
Il n’est pas non plus dans le cas du président Mamadou Tandja puisqu’il n’a pas terminé son mandat légal. Ce qui n’était pas le cas du président Tandja. Aussi, lorsqu’on parle de haute trahison, dans la Constitution, c’est un motif pour interrompre le mandat d’un Président, et non pour le poursuivre. Il y a une procédure pour constater la haute trahison (cf article 142 de la Constitution ci-dessous) qui permet de mettre fin au mandat d’un Président de la République. Or, dans le cas d’espèce, il n’y a pas de Constitution ni de Cour constitutionnelle.
En outre, même dans le Code pénal nigérien, la notion de haute trahison n’existe pas comme crime ou infraction.
En un mot comme en cent, le constat est clair : sur toute la ligne en droit, la requête de la junte tendant à la levée de l’immunité du président Mohamed Bazoum est irrecevable. La junte tente une nouvelle diversion non seulement pour détourner les populations nigériennes de leurs préoccupations de survie quotidiennes vers un sujet croustillant mais aussi faire l’impasse sur le cas de l’ancien président Issoufou Mahamadou, qui cristallise l’attention d’une partie de l’opinion publique.
Aucune forme de ‘’Koskorima’’ n’est possible pour satisfaire les désidératas de la junte qui piaffe d’impatience de ternir l’image du président Mohamed Bazoum. Il n’y a aucune incrimination juridiquement constituée ni aucun texte sur lequel se fonder pour justifier la levée de l’immunité du président Bazoum. Sauf si on fait abstraction du droit, et là, la Cour d’Etat ne peut pas se permettre un tel déni de droit. Ce sont de hauts magistrats qui ont juré loyauté au droit et au peuple.
Sans doute, ils sont très nombreux les Nigériens qui espèrent voir la Cour d’Etat du Niger s’inspirer de la leçon de courage et de loyauté vis-à-vis du peuple du Conseil Constitutionnel du Sénégal. Ce dernier, on se rappelle, a opposé un niet catégorique au président Macky Sall qui a voulu l’instrumentaliser pour assouvir des desseins personnels sur fond de règlements de comptes politiques. Si nos hauts juges veulent inscrire leurs noms en lettres d’or dans l’Histoire, ils doivent dire le droit et rien que le droit, qui suppose dans le cas d’espèce dire non au général Tiani et son CNSP.
La rédaction
Ce que dit l’article 142 de la Constitution du 25 novembre 2010
Art 142 de la Constitution du 25 novembre 2010 dit clairement : « Le président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. Il est jugé par la Haute Cour de Justice.
Il y a haute trahison lorsque le président de la République viole son serment, refuse d’obtempérer à un arrêt de la Cour constitutionnelle, est reconnu auteur, coauteur ou complice de violations graves et caractérisées des droits humains, de cession frauduleuse d’une partie du territoire national, de compromission des intérêts nationaux en matière de gestion des ressources naturelles et du sous-sol et d’introduction de déchets toxiques sur le territoire national.
Lorsque le président de la République est reconnu coupable du crime de haute trahison, il est déchu de ses fonctions. La déchéance est constatée par la Cour constitutionnelle au terme de la procédure devant la Haute Cour de Justice conformément aux dispositions de la présente Constitution.
La Haute Cour de Justice est compétente pour juger les membres du Gouvernement, en raison des faits qualifiés crimes ou délits commis dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ; ».