La troisième guerre mondiale a en fait déjà eu lieu et ne montre aucun signe de fin. Seuls les projecteurs étaient ailleurs, sur des mondes et des morts plus importants. Mourir en République Démocratique du Congo, l’ex. Zaïre de Mobutu Sese Seko, n’est pas la même chose qu’ailleurs, où la statue du soldat inconnu glorifie les héros et les martyrs de la liberté. Rien de tout cela pour les quelque 10 millions de morts et les 500 000 femmes violées au Congo. Le « scandale géologique » de la RDC, qui possède les meilleurs gisements de terres « rares » pour l’électronique et l’informatique, n’a fait que faciliter la poursuite de guerres téléguidées de l’extérieur et chèrement payées à l’intérieur. Les coalitions de différents pays africains et le soutien en argent, en armes et en logistique des grandes puissances ayant des intérêts dans le domaine, ont créé une longue guerre sans fin ces dernières années.
C’est pour cette raison que, comme tant d’autres, Henri a quitté à l’âge de 22 ans l’une des régions les plus malheureuses de son pays, la République démocratique du Congo, et que, depuis lors, il n’est jamais plus revenu. Il a vu le massacre de ceux qui fuyaient le Rwanda tourmenté, puis, chemin faisant, la naissance et le développement de groupes armés à la solde d’entreprises et de puissances étrangères « affamées » de ressources minières. Henri est à Niamey, deux fois plus vieux, depuis l’exode de son pays natal. Il n’est même plus reconnu comme digne de protection par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. Il a cessé d’exister légalement. Il n’est pas « réfugié », il n’est pas « migrant », il n’est pas « déplacé », il n’a pas de travail, pas de famille, pas d’identité, et il ne lui reste que ce qu’il s’obstine à appeler un avenir. Pour arriver au Bénin, où il est resté 11 ans avec le statut de réfugié, il a traversé l’Afrique centrale, le Cameroun et le Nigeria. Finalement, les autorités, pour des raisons politiques, ont estimé que son statut n’était plus tenable et Henri est parti pour le Ghana en pensant qu’il aurait eu plus de chance avec le Haut Commissariat aux Réfugiés basé à Genève, en Suisse.
Il se dit alors qu’il faut qu’il prenne son destin en main et tenter de traverser la mer du Milieu qui observe avec crainte ceux qui osent défier son mystère. Il quitte donc le Ghana et, au terme d’un long périple, atteint l’Algérie, l’une des rives de la Méditerranée. Là, Henri est arrêté, détenu et finalement expulsé vers la frontière avec le Niger et, en 2019, il est accueilli par l’Organisation Internationale pour les Migrations. Comme Henri ne veut pas retourner dans sa région d’origine toujours en guerre, il est confié au Haut Commissariat aux Réfugiés pour des raisons humanitaires. Il passe encore quatre ans comme demandeur d’asile dans un village-camp non loin de Niamey, Hamdallay, pour voir sa demande d’asile finalement rejetée. L’institution lui offre une modeste somme d’argent en guise de « liquidation » et Henri trouve une chambre à louer dans l’un des nouveaux quartiers de la périphérie de la capitale, Niamey 2000.
La vie d’Henri, à la recherche vaine d’une terre d’asile en raison de la guerre qui sévit dans son pays, apparaît comme une métaphore de notre époque. Lui, son pays et des millions de personnes célèbrent, dans le silence complice et assourdissant du monde qui compte, un exil sans fin. Henri vit dans l’un des quartiers du futur de Niamey parce que le loyer y est moins cher.
Mauro Armanino, Niamey, juin 2024
L’Autre Républicain du jeudi 6 juin 2024