Au fil du temps, le colonel Ibro Amadou, chef d’Etat-major particulier du chef de la junte, est devenu la vedette des meetings-commandes organisés en soutien au Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP). En langue Hausa, il parle si librement et sur un ton populiste qu’il reçoit des applaudissements nourris de son auditoire. C’est le cas de ce meeting organisé par des Organisations de la société civile en soutien au CNSP, ce vendredi 21 juin, à Niamey.
Sans doute que les organisateurs de cette énième manifestation avaient espéré faire place comble. Malheureusement pour eux, les manifestants avaient brillé par leur absence. Lassitude ou signal fort au CNSP pour exprimer une sorte de désenchantement après plusieurs manifestations de soutien sans que les lignes ne commencent à bouger réellement. C’est toujours la même rengaine ; que des discours de victimisation alors que les Nigériens attendent du concret à savoir la sécurité, la fin de la cherté de la vie, l’emploi, un cap pour la transition, des projets de développement, une gouvernance de qualité, etc.
Le colonel Ibro a pris goût à des prises de parole publiques improvisées car son public n’a pas besoin d’être convaincu de ses propos ni d’annonces fortes pour un mieux-être des populations. Ce sont des militants acquis à la cause du CNSP et donc disposés à avaler tout ce qui leur sera dit sans aucun esprit critique.
Et le colonel Ibro sait jouer à ce jeu. Vendredi dernier, il n’a pas dérogé à la tradition. Après avoir présenté les salutations du général Tiani, Ibro a donné le ton en avertissant qu’«on ne peut pas faire le danbé (NDLR : la boxe traditionnelle)sans retrousser ses manches ». Pour lui, le combat ne fait que commencer, un combat qui doit être engagé contre plusieurs cibles qui rament à contre-courant des desseins de la junte.
Morceaux choisis
Pour la circonstance, le colonel Ibro a bien choisi ses sujets. Ce sont des sujets qui mobilisent autour du CNSP : les puissances étrangères, les partisans pro Bazoum, les opérateurs économiques, l’emploi des jeunes.
Dans l’esprit de l’orateur, les contreperformances de la junte sont le fait des autres. Les puissances étrangères qui ont déjà quitté le Niger ou qui sont entrain de partir ne laissent pas les Nigériens profiter de leurs richesses. La menace est claire : tout celui qui ne respecte pas la souveraineté du Niger quittera le pays, qu’il soit nigérien ou étranger.
Aveu d’impuissance : ceux qui nous font la guerre ont des grands moyens. C’est pourquoi, seules les invocations peuvent nous sortir d’affaire. Les invocations constituent la principale arme contre ceux qui nous font la guerre, a-t-il indiqué, sans préciser s’il faisait allusion aux groupes terroristes ou aux puissances étrangères notamment la France accusée de vouloir attaquer le Niger à partir du territoire béninois.
Les partisans du président Mohamed Bazoum sont aussi dans le viseur, qu’ils soient en exil ou sur le territoire national. Ils constituent des blocages à l’action « révolutionnaire » de la junte. La prière de Ibro est que Dieu dévoile leurs ennemis internes. Au titre de ces ennemis, les partisans de Bazoum qui sont en réalité des partisans de la démocratie. Un avertissement à leur endroit : ceux qui sont restés au pays auraient dû suivre ceux qui sont partis en exil.
Les partisans de Bazoum doivent avoir des atomes crochus avec les opérateurs économiques. Selon le colonel Ibro, ce sont ces opérateurs économiques qui entretiennent délibérément la cherté de la vie depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023. Même s’il reconnait que la cherté de la vie est un fait réel, vécu au quotidien par les Nigériens, et les efforts déployés par le CNSP pour la juguler, sans préciser lesquels, Ibro pointe du doigt l’hypocrisie des opérateurs économiques. Ces derniers jouent double jeu avec le CNSP. Ils travaillent pour le régime renversé afin de susciter des mouvements de rue, et discréditer la junte en montrant son incapacité à satisfaire le quotidien des Nigériens. Tout cela parce que ces commerçants ne sont pas avec la junte, accuse le colonel Ibro.
Quelles sont les mesures concrètes que le CNSP a prises pour éradiquer la vie chère ? Rien, ce n’est pas le sujet de ce meeting. Par ses accusations, il livre les opérateurs économiques à la vindicte de la rue laboussaniste. Cela rappelle les contrôles inopinés que le ministre du Commerce et de l’Industrie a organisés en compagnie des activistes de la société civile favorables à la junte, il y a quelques mois, dans les magasins des commerçants, à Niamey, sur fond d’humiliation de ces derniers.
Faute de solutions concrètes à la cherté de la vie, Ibro et la junte cèdent au fatalisme : « Seul Dieu peut mettre fin à la cherté de la vie ».
Arrive le temps de promesses avec l’emploi qui sera offert aux jeunes. Selon le colonel Ibro, les jeunes auront de l’emploi. Seule illustration, c’est la construction de quelques salles de classes où 400 jeunes reçoivent 2.000 FCFA par jour. Pour l’orateur, ces 2.000 F versés aux jeunes ouvriers ne sont pas rien. S’ils doivent prendre un taxi ou un autre moyen de transport et payer leur déjeuner sur les sites, il n’est pas évident qu’ils rentrent chez eux avec même de quoi poser le thé.
Selon lui, un bloc de 3 classes leur coûte 20.800.000 F par le Génie Militaire parce que l’Etat ne dispose pas de ressources financières suffisantes. En régime démocratique, cela pourrait avoisiner les 30 millions. Pourquoi ne donne-t-il pas le montant exact ? Il oublie sciemment de dire que les coûts dépendent de la zone géographique. Il ne dit pas non plus ce que les entrepreneurs payent comme charges à savoir les différents impôts versés à l’Etat comme la TVA, les frais d’enregistrement, les charges d’exploitation de l’entreprise, etc. Les contrats attribués au Génie militaire sont-ils exonérés de toutes taxes ? A cette allure, de quoi vivront nos entreprises de construction de bâtiments ?
Une autre promesse alléchante porte sur le recrutement prochain de 10.000 soldats en deux vagues. Et c’est tout ? Oui, rien de plus en termes d’emploi pour les jeunes. Ibro s’est répandu en réquisitoire contre les jeunes diplômés qui attendent tout de l’Etat même s’il prétend qu’il y a du travail sauf pour ceux qui n’en veulent pas. Pourtant, Ibro, vous avez pompeusement annoncé que les jeunes auront de l’emploi comme si par le passé, et notamment avec le régime du président Bazoum ou même la Renaissance Actes 1 et 2, ce n’était pas le cas. Ces jeunes diplômés ont aussi droit à l’emploi. N’est-ce pas ?
En conclusion, et dans une vision manichéenne, il proclame qu’il vaut mieux être avec le CNSP que contre. Avis aux opposants de la junte.
La rédaction
L’Autre Républicain du jeudi 27 juin 2024