Samedi 6 juillet 2024. Les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) à savoir le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont tenu leur 1er sommet des chefs d’Etat comme par hasard, la veille de celui de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qu’ils ont quittée en janvier dernier. Le sommet de Niamey a fait des annonces accrocheuses comme cela est courant lors de telles messes.
Elle était perçue au départ comme une alliance pour lutter contre le terrorisme ; aujourd’hui, l’AES veut apparaitre comme une institution d’intégration qui promeut la liberté de circulation des personnes et des biens, la création des structures communes à vocation économique comme la banque d’investissement (sans préciser comment le capital social sera-t-il mobilisé), etc. Le sommet de Niamey n’a pas franchi le Rubicon qu’attendaient bien des soutiens souverainistes des juntes sahéliennes à savoir la création d’une monnaie commune pour acter le décrochage du franc CFA présenté comme une monnaie coloniale. Enorme déception dans le camp des souverainistes.
L’AES, un doublon…
SI beaucoup avaient soutenu l’idée de la création de l’AES, c’est parce qu’ils piaffaient d’impatience de voir les Etats du Sahel se mettre ensemble pour combattre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée. La sécurité est, en effet, le socle du développement. Aujourd’hui encore, personne n’a oublié que la lutte contre le terrorisme était le prétexte servi aux populations pour justifier la prise du pouvoir du colonel Assimi Goïta, au Mali, il y a 4 ans, du capitaine Ibrahim Traoré, au Burkina Faso, il y a 2 ans, et du général Abdourahamane Tiani, au Niger, il y a 1 an.
A y voir de près, les trois chefs d’Etat du Sahel auraient pu faire l’économie de la création d’une nouvelle institution étant entendu que l’ALG (Autorité de Développement intégré du Liptako Gourma), qui regroupe justement le Burkina Faso, le Mali et le Niger, exerce déjà le mandat qu’on veut donner à l’AES.
Pour rappel, l’ALG a été créée comme une organisation de coopération en matière de développement pour favoriser la mise en valeur des ressources minières, énergétiques, hydrauliques, agropastorales et piscicoles de la région du Liptako Gourma. Depuis le sommet des chefs d’Etat, tenu le 24 janvier 2017, à Niamey, il a été décidé d’insérer désormais cette organisation dans le continuum « développement et sécurité ». Ce, pour apporter une réponse à la montée du terrorisme dans le Sahel, dont les 3 pays membres de l’ALG, en constituaient l’épicentre.
Que de créer une nouvelle organisation pour faire la même chose, n’aurait-il été plus pertinent de consolider l’existant ? Cela aurait évité aux chefs des juntes sahéliennes d’apporter de l’eau au moulin de ceux qui assimilent l’AES à une structure de conservation de leurs pouvoirs, en vue de retarder le plus longtemps possible le retour à l’ordre constitutionnel dans ces pays. Mais aussi de gérer les Etats à huis clos, à l’abri des pressions extérieures qui obligeraient le retour à la normalité républicaine. Leur argument est simple : a-t-on besoin de créer une nouvelle organisation, dans le même espace géographique, avec le même mandat, sauf à créer une inflation institutionnelle qui disperse les moyens des Etats ? L’ALG a capitalisé une forte expertise qui mérite d’être valorisée et poursuivie suivant ses trois objectifs à savoir la réduction de la pauvreté, le développement durable et le renforcement de la sécurité.
Les pays de l’ALG, donc de l’AES, font face actuellement à des défis sécuritaires mais aussi économiques (crise de l’énergie, crise alimentaire, inflation galopante en raison de leur enclavement, etc.) qui sont des facteurs limitants pour le souverainisme et le patriotisme.
On attend beaucoup de l’AES sur le plan de la lutte contre le terrorisme. Mais force est de remarquer que plusieurs mois après l’annonce de la création de sa Force conjointe, c’est un silence assourdissant qui plane. On n’a plus des nouvelles de cette Force. Même si comparaison n’est pas raison, on constate que la Force multinationale mixte, qui intervient dans le bassin du lac Tchad, composée du Cameroun, du Niger, du Nigeria et du Tchad est un modèle de mutualisation des moyens au regard des performances qu’elle enregistre sur les théâtres des opérations.
Dans le Sahel central, on observe toujours que ce sont les pays individuellement qui essaient de combattre les terroristes sur le terrain, en lieu et place de cette Force commune qui aurait eu vocation à mutualiser les moyens humains et matériels ainsi que les renseignements. La recette du président Bazoum aurait pu aussi aider les juntes sahéliennes en ce sens que la lutte contre le terrorisme doit aller de pair avec des actions de développement des zones affectées par les violences, et l’implication des communautés locales dans la gestion de l’insécurité.
Revenons au sommet de l’AES pour remarquer que tout s’est passé pratiquement à la va-vite comme si les organisateurs ont fétichisé la date du 6 juillet. Il fallait tenir le sommet à cette date même si des dispositions opérationnelles qui donneront vie à leur nouvelle organisation ne sont pas prises. Qu’est-ce qui a pu bien les empêcher de disposer à l’avance d’une feuille de route qui tient compte des résultats de l’évaluation des conséquences et implications directes et indirectes du départ de la CEDEAO ? On se rend compte, avec surprise, qu’à cette date, ce travail préliminaire n’a pas été réellement fait.
Au terme de ce sommet, la grande leçon qu’on peut tirer est qu’on ne peut pas se faire passer pour un chantre de l’unité africaine en travaillant à morceler voire à balkaniser des organisations d’intégration comme la CEDEAO pour avoir appliqué son protocole sur la bonne gouvernance.
Quelles implications pour les pays du Sahel
Que l’on veuille ou non, pour des pays de l’hinterland que sont le Burkina, le Mali et le Niger, le départ de la CEDEAO a des implications tant sécuritaires, politiques, économiques que sociales. Comment les pays de l’AES peuvent-ils faire face à l’hydre terroriste sans composer avec les Etats ouest-africains et la CEDEAO elle-même qui développe déjà une initiative sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme qui débouchera sur la mise en place d’une Force en attente ? Qu’en sera-t-il des projets et programmes en cours sur financement CEDEAO ? Quelles seront les conséquences de l’arrêt du financement de la Banque d’investissement et de développement de la Communauté (BIDC) et de la Banque Ouest-africaine de développement (BOAD) ? Avec le temps (lorsque le départ de la CEDEAO sera officiellement acté), les citoyens des pays AES ne seront-ils pas soumis à l’obtention d’un visa pour se rendre dans les pays d’Afrique de l’ouest et de titres de séjour pour les membres de leurs importantes diasporas dans des pays comme la Côte d’Ivoire, le Nigeria le Bénin, le Ghana, le Sénégal, la Guinée, etc. ?
La CEDEAO est un bel exemple d’intégration qui mérite d’être renforcé. C’est pourquoi, elle fait figure de la meilleure communauté économique régionale (CER) d’Afrique. Or l’Union africaine (UA) ne reconnait que les CER comme ses répondants dans les différentes sous régions. On se rappelle que le Maroc et le Tchad frappaient aux portes de la CEDEAO. Aujourd’hui, ils sont considérés comme pays observateurs. Ce, au regard de la trajectoire prise par cette organisation en termes de liberté de circulation des personnes, des biens et des services, de ses mesures de convergence, des facilités accordées aux pays sans littoral comme ceux de l’AES, etc. Si la CEDEAO est inopérante, pourquoi ne pas travailler à la réformer pour qu’elle soit davantage au service des peuples ?
Pour l’heure, la CEDEAO reste dans une posture de poursuivre le dialogue politique avec l’AES. C’est pourquoi, les implications citées ci-haut ne se feront pas sentir pour le moment sur les pays de l’AES et leurs populations. C’est une démarche de sagesse et de bon sens même si du côté de l’AES, on semble dire que le départ de la CEDEAO est irréversible.
L’AES, qui est érigée désormais en Confédération AES, pour mettre en commun certaines politiques publiques, peine à convaincre de sa pertinence et de sa viabilité. Gageons que ce ne soit pas un simple gadget aux mains des juntes pour se maintenir au pouvoir. Si elle était une institution d’intégration, elle aurait pu se dénommer « Alliance des Etats Africains », en intégrant des pays autres que ceux qui sont dirigés par des juntes. Simple avis.
La rédaction
L’Autre Républicain du jeudi 11 juillet 2024