Déjà un peu plus d’un an qu’ils gardent prison. Ils sont tous accusés du même délit : atteinte à la sûreté de l’Etat. Ils partagent le même acte d’accusation avec le président Mohamed Bazoum. Fait singulier : ils ont été arrêtés séparément. Ils sont ministres du gouvernement Bazoum, président du PNDS, députés, ambassadeur, officiers supérieurs, soldats, agents administratifs, etc.
Ces personnalités sont détenues dans différentes prisons : Foumakoye Gado, président du PNDS, le député Daouda Marthé, et l’ambassadeur du Niger au Nigeria, Alat Mogaskiya, détenus à Niamey, Hamadou Adamou Souley, ministre de l’Intérieur à Kollo, Ibrahim Yacoubou, ministre d’Etat chargé de l’Energie, à Ouallam, Mahaman Sani Mahamadou, ministre du Pétrole, à Filingué, Abdou Rabiou, ministre du Plan, à Birni N’Gaouré, le député Kalla Moutari et Ahmat Djidoud, ministre des Finances, à Say, des officiers et soldats, à Ouallam et Koutoukalé, etc. Il en est aussi des étudiants, parents du président Bazoum et de son épouse, interpellés dans la maison où ils sont hébergés, et depuis lors incarcérés sans en connaitre les raisons véritables.
L’atteinte à la sûreté de l’Etat mise en avant n’a pas été suivie d’effet. Presque tous avaient été arrêtés à leurs domiciles. Le ministre de l’Intérieur a été arrêté au même moment que le président Bazoum. Comment ont-ils pu alors se concerter pour attenter à la sûreté de l’Etat ? Ont-ils tenté de passer à l’action ? Non. Leur action a-t-elle eu d’effet ? Non.
L’opinion s’interroge sur la nature de leur dossier. Est-il judiciaire ou politique ? A plusieurs reprises, leur demande de liberté provisoire n’a pas prospéré du fait de l’opposition du commissaire du gouvernement. Le dernier acte, c’est la liberté provisoire accordée par le juge en faveur des ministres Hamadou Adamou Souley, Ibrahim Yacoubou, Abdou Rabiou et Ahmat Djidoud mais bloquée par le parquet du tribunal militaire. Or on sait que celui-ci est assujetti au politique. On comprend dès lors que le politique n’était pas favorable à leur libération.
C’est, du reste, le même scénario lorsque l’immunité du président Bazoum a été levée dans des conditions sujettes à caution. On se rappelle que ses avocats n’ont pas eu la possibilité de présenter leurs arguments, à plus forte raison entendre le président Bazoum lui-même. De même, ils n’ont pas eu l’autorisation de rencontrer leur client pour bien préparer sa défense. Les droits de la défense ont été royalement bafoués alors que le CNSP a fait le serment de respecter les droits humains fondamentaux et les principes de l’Etat de droit.
Le 10 mai dernier, se rappelle-t-on, le collectif des avocats du président Bazoum s’est prononcé, en ces termes : « Les avocats restent déterminés et demandent aux autorités de fait et à la Cour d’Etat de :
– Faire cesser immédiatement la séquestration illégale du Président Bazoum et de son épouse Hadiza Bazoum, détenus depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023, tel qu’ordonné par la Cour de justice de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) le 15 décembre 2023,
– Permettre aux avocats de rencontrer leur client sans aucune restriction,
– Donner accès aux avocats à l’intégralité du dossier,
– Permettre à l’ensemble des avocats du Président Bazoum de présenter leurs arguments contre la levée de l’immunité à la prochaine audience ».
Les avocats n’ont pas été entendus, et la Cour d’Etat, mise en place par la junte, a décidé de lever l’immunité du président Bazoum.
L’heure n’est pas encore à la détente
Depuis un an, aucun acte de décrispation n’a été posé par les nouvelles autorités. La détention des personnalités du régime renversé se poursuit suivant des pratiques qui jurent avec l’Etat de droit. Alors qu’ils présentent toutes les garanties de représentation, les détenus continuent de garder prison. Ce sont des hommes d’Etat qui ont une haute idée de l’Etat pour l’avoir géré pendant des années.
Qu’est-ce qui fait courir tant la junte pour ne pas accéder à la libération provisoire de ces détenus ? N’a-t-elle pas actuellement toute la plénitude du pouvoir ? Ne dit-on pas que le coup d’Etat est déjà consommé ?
Ce sont là autant de questionnements qui laissent plus d’un nigérien perplexes et qui rappellent le CNSP à ses engagements de respecter les principes de l’Etat de droit et toutes les conventions internationales relatives à la protection des droits humains fondamentaux.
L’entretien que le général Tiani a accordé à la télévision publique, le 3 août dernier, jette un froid au sein de l’opinion quant au respect des droits politiques.
En évoquant la tenue prochaine du dialogue national, le général Tiani a épinglé aussi les acteurs politiques. « Ceux qui sont là à dire qu’ils attendent 1 an, 2 ans que la transition parte, qu’ils reviennent reconduire les mêmes attitudes, alors ils ont du pain sur la planche parce qu’ils attendront longtemps », avant d’ajouter que « le peuple nigérien prendra des dispositions pour que ceux qui sont partis par la petite porte ne puissent revenir même par la fenêtre. Ça c’est un serment ». Il faut alors craindre que le forum du dialogue national censé être inclusif promeuve la discrimination contre ces concitoyens dont le tort est d’avoir géré l’Etat sous un régime démocratique que le CNSP a renversé. Ce qui ouvrira le boulevard pour disqualifier certains acteurs politiques, en particulier ceux du régime renversé, et consacrera la rupture d’égalité des citoyens.
Dans ce contexte de défis multiformes auxquels le Niger est confronté, la décrispation est la clé de la solution pour y faire face dans l’unité des cœurs et des esprits. L’escalade verbale ou le manichéisme perfide entre patriotes et apatrides auxquels nous assistons ne pourront que creuser le fossé entre Nigériens et retarder l’union sacrée nécessaire pour sauver le pays de l’impasse.
La rédaction
L’Autre Républicain du jeudi 15 Aout 2024