A-t-il eu l’impression qu’il n’a pas été audible lors de son message à la Nation du 25 juillet dernier pour sentir la nécessité d’organiser un entretien avec la télévision publique, un peu plus d’une semaine après ? Qu’y a-t-il du nouveau qui n’aurait pas été déjà dit dans le message à la Nation ? Ce sont des questions que les Nigériens se posent après l’entretien accordé à Télé Sahel par le général Abdourahamane Tiani, le 3 août, qui correspond au 64è anniversaire de la proclamation de l’indépendance du Niger.
Le général Tiani semble avoir pris goût à cet exercice presque solitaire qui consiste à faire face à un journaliste de la télévision publique dans un entretien en Français, Hausa et Zarma.
Plusieurs sujets d’actualité ont été évoqués par le général Tiani pendant plus de deux heures de temps : sanctions internationales suite au coup d’Etat, sécurité, cherté de la vie, actes de déstabilisation de la France, relations avec le Bénin, dialogue national, exploitation pétrolière, etc.
Le général Tiani, qui s’est référé à Dieu, à plusieurs reprises, prétend être investi d’une mission par le peuple en parlant de « nouvelles responsabilités que le peuple nous a confiées » sans dire à travers quel mécanisme. Les grilles de lecture peuvent différer d’un individu à un autre. On a toujours pensé que ce n’est pas le peuple qui a renversé le régime du président Mohamed Bazoum mais la garde présidentielle dont le chef assume depuis le 26 juillet 2023 les fonctions de chef de l’Etat. Or le peuple exerce sa souveraineté à travers ses représentants élus. Pour l’instant, il n’y a pas d‘élections pour que le peuple désigne ses représentants qui doivent agir en son nom. Si le CNSP pense représenter le peuple, on voit bien pourquoi il prend ses décisions en fonction de ses propres perceptions et en toute liberté.
Sécurité, cherté de la vie et pétrole
Dans cet entretien, le général Tiani est parti à l’offensive, en s’exprimant par moments sans gants. Son discours sur les sanctions qui ont suivi son coup d’Etat n’ont pas varié. La tonalité est restée la même en fustigeant la CEDEAO et la France qui ont mis en œuvre des sanctions « iniques, irresponsables et inhumaines ».
Il a donné moins de détails sur la lutte contre l’insécurité, une des préoccupations qui a justifié son coup d’Etat. Nous sommes toujours au stade de montée en puissance de nos forces qui seront renforcées par l’enrôlement de 10.000 soldats par vagues et la réorganisation du dispositif de défense et de sécurité. Au regard des échos qui sont distillés ici et là sur les pertes enregistrées dans le rang de nos forces en une année, et l’avancée progressive des groupes armés non étatiques, on aurait souhaité entendre le général Tiani avec davantage de détails. Il aurait pu dresser un bilan des actions mises en œuvre depuis l’avènement du CNSP au pouvoir. Est-ce que la situation de chaos qui serait celle du Niger d’avant le 26 juillet est aujourd’hui derrière nous ?
On pensait que cet entretien à Télé Sahel est un exercice de redevabilité où les Nigériens doivent être largement informés de l’état de la Nation à date. Les 200 véhicules qu’il a annoncés avoir été achetés sur les ressources collectées par le Fonds de solidarité pour la sauvegarde de la patrie l’ont-ils été suivant les procédures régulières de passation des marchés publics ou en application de l’ordonnance de février 2024 que nombre de Nigériens dénoncent ?
Le général Tiani s’est félicité du niveau de mobilisation des ressources internes, ce qui a permis de faire face aux dépenses de souveraineté comme le paiement des salaires de la Fonction publique, et les arriérés de bourses et frais d’études des étudiants. Si derrière chaque agent, se trouve tout un village, que dira le chef de l’Etat sur le cas des contractuels de l’administration mis dans la rue sans que leurs droits légaux ne leur soient versés, à cette date, pour certains d’entre eux ? Qu’en est-il de tous ces nigériens qui ont perdu leur emploi suite au coup d’Etat ?
La cherté de la vie est depuis le coup d’Etat une préoccupation quotidienne des Nigériens. Le coût de la vie est insupportable pour les familles. Les réponses du gouvernement ne sont pas à la hauteur des souffrances qu’endurent les populations. A travers l’Office des Produits Vivriers du Niger (OPVN), le gouvernement veut constituer des stocks destinés à la distribution gratuite et la vente à prix modéré. La précédente opération de vente à prix modéré avait tourné court parce qu’elle était limitée dans le temps, localisée seulement à Niamey, et sans compter que l’accès aux vivres était un véritable parcours de combattant.
Deuxième réponse, c’est la révision de certaines taxes pour permettre aux « commerçants humains », pour reprendre l’expression du général Tiani, de baisser les prix des produits. Enfin, le gouvernement compte sur les productions de l’opération grande irrigation qui vient d’être lancée. On sait déjà que pour les productions vivrières locales comme le riz, la hausse des prix est comprise entre 50 et 100% comparativement à la période d’avant le coup d’Etat.
Si les produits coûtent chers, c’est la faute aux français, qui ont fait fermer la frontière du Bénin. Mais depuis 6 mois, c’est le Niger qui ferme sa frontière avec le Bénin. La faute à qui alors ?
Sur l’exploitation du pétrole, on a senti le général Tiani jeter la pierre dans le jardin de la Renaissance Actes 1, 2 et 3 incarnée respectivement par les présidents Issoufou et Bazoum. Le général Tiani se félicite de ce que le CNSP a fait ce qu’aucun dirigeant n’a fait à savoir la baisse du prix du carburant. Il a également accusé les acteurs de la Renaissance, sans les nommer, d’avoir fait une « exploitation familiale des revenus » du pétrole et d’avoir endetté le Niger pour « des besoins privés ». Qui a eu la haute main sur la gestion du pétrole depuis la mise en service de la raffinerie de Zinder en 2011 ? Qu’en est-il de l’audit du secteur pétrolier annoncé par le ministre du pétrole du gouvernement CNSP ?
Les révélations de Tiani
La France et le Bénin étaient dans son viseur. Nul doute que cette partie de l’entretien du général Tiani était destinée à la consommation locale et aux deux pays précités. Sa conviction est que la France est toujours dans une logique de déstabilisation du Niger pour laver l’affront. Avec force détails, il décrit le repositionnement des agents de la DGSE française expulsés du Niger au Bénin et au Nigeria. Il s’est attardé sur le cas d’un agent, qui serait basé à Abuja avec des fréquents séjours à Kaduna et Sokoto, dont il a même fait la biographie. Ce, pour prouver qu’il est très informé sur l’identité de ces agents « subversifs » et leur mouvement.
Il annonce que la France a armé les terroristes du groupe Boko Haram, dans le lit du lac Tchad, pour mener des attaques en territoire nigérien. Il précise que la France dispose des relais dans plusieurs localités de notre pays, à travers des ONG et des agences de sécurité. Les français sont aussi présents au Bénin où, selon le général Tiani, ils ont pris possession de la partie béninoise du parc du W. Il nous apprend également qu’à Fada, au Burkina, ils forment des terroristes à l’utilisation des engins explosifs improvisés, sur les techniques de combat et la recherche des renseignements. Il annonce également que la France a instruit les groupes terroristes à vider tous les villages agricoles de la région de Tillabéri.
En somme, la France nous fait la guerre par procuration. Le moment venu, sans préciser quand, il a promis de rendre publiques les preuves de toutes ces manœuvres de déstabilisation du Niger.
Le Bénin apparait comme un pays hostile parce qu’il abrite des agents de la DGSE française. C’est à partir du territoire béninois qu’une action militaire contre le Niger avait été projetée, en août 2023, sous l’instigation de la France. « Ce n’est pas des bataillons, ce n’est pas des compagnies mais ce sont des groupes d’agents subversifs qui évoluaient en tenue civile et avec des Forces armées béninoises elles-mêmes en tenue civile », précise le général Tiani. Pourtant, le capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso était convaincu qu’il existe des bases françaises au Bénin. Il en est de même du Premier ministre de la junte qui a prétendu qu’il existe des bases au Bénin où, dans certaines d’entre elles, on entraine des terroristes qui doivent venir déstabiliser notre pays.
La junte attend le jour où elle saura qu’il n’y a aucune menace du côté du Bénin pour amorcer un retour à la normale, à commencer par la réouverture de la frontière du Niger avec ce pays. « Il y a des perspectives de reprise mais elles sont conditionnées par les mesures de sécurité », a indiqué le général Tiani qui a loué l’engagement des anciens présidents béninois Nicéphore Soglo et Yayi Boni. Un premier signe du dégel des relations entre les deux pays, c’est la présentation des copies figurées des lettres de créance du nouvel ambassadeur du Bénin près la République du Niger au ministre des Affaires étrangères, mardi dernier.
Le chef de la junte n’a pas maille à partir qu’avec la France et le Bénin. En évoquant le dialogue national, il a épinglé aussi les acteurs politiques. « Ceux qui sont là à dire qu’ils attendent 1 an, 2 ans que la transition parte, qu’ils reviennent reconduire les mêmes attitudes, alors ils ont du pain sur la planche parce qu’ils attendront longtemps », avant d’ajouter que « le peuple nigérien prendra des dispositions pour que ceux qui sont partis par la petite porte ne puissent revenir même par la fenêtre. Ça c’est un serment ». Il faut alors s’attendre à ce que le forum national censé être inclusif soit plutôt exclusif pour avoir le boulevard nécessaire pour disqualifier certains acteurs politiques, en particulier ceux du régime renversé. Il n’est pas aussi exclu, dans cette perspective, que la junte prolonge son bail, à l’instar de ce qui s’est passé au Mali et au Burkina Faso. On attend de voir si les dispositions dont il parle seront soumises à la sanction du peuple à travers un référendum ouvert ou actées par simple Ordonnance.
La rédaction
L’Autre Républicain du jeudi 8 aout 2024