Après la démolition des institutions intervenue avec le coup de Jarnac du 26 juillet 2023, entre autres mesures, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) avait pris le soin de suspendre les partis politiques. Depuis lors, les leaders politiques sont en hibernation, une sorte de laxisme en comptant sur le bon vouloir de la junte pour leur remettre le pouvoir sur un plateau d’argent. Même quand la junte de connivence avec une certaine société civile battent le pavé pour dire ‘’Non aux élections’’, cela n’a fait ni chaud ni froid à ceux-là dont la vocation est de conquérir et d’exercer le pouvoir ! A quand les leaders politiques vont-ils se tirer de leur sommeil dogmatique ?
A bien d’égards, cette inertie de la classe politique nigérienne ne se justifie pas quand on sait que celle-ci n’est pas à son premier coup d’essai face aux régimes d’exception. Plus d’un analyste se demande à quoi rime le silence assourdissant de l’élite politique du pays face à une situation qui s’apparente au nœud gordien qu’il importe de trancher. Nous avons dénoncé à travers nos précédentes éditions la lâcheté, la complicité voire l’infâmie de certains acteurs politiques dans la survenue des événements du 26 juillet 2023. D’ailleurs, il est fort à parier que la posture actuelle des leaders politiques n’a d’autre explication que la complicité de quelques-uns et l’opportunisme d’autres leaders au sein du gotha politique nigérien.
Dans un échange avec un analyste politique sur la rumeur de dissolution de certains partis politiques, très surpris, notre interlocuteur a réagi en ces termes : “Stratégiquement quel est l’intérêt de dissoudre des partis qui ont tout fait pour accompagner la junte dans sa démesure ? C’est un secret de polichinelle, tous ces partis politiques ont fait des appels de pieds à la junte qui les a ignorés”.
Et notre interlocuteur d’ajouter, “normalement même par dépit, ils devront réagir face aux agissements de la junte et ses larbins lorsque ces derniers rabâchent que le Niger n’a pas besoin de démocratie. A quoi servent les partis sans espace civique ? A la place de la junte je ne ferai pas l’honneur de les dissoudre puisqu’ils se sont suicidés eux-mêmes.” En d’autres termes, ce serait un acte contreproductif, tirer sur une ambulance que de prêter attention à ceux qui se sont reniés.
Du fait du laxisme des leaders politiques, le processus démocratique est en passe d’être altéré par des nouveaux acteurs opportunistes qui sont en train de pousser la junte à la faute. Nombre de ces acteurs laboussanistes feront corps avec ceux qui ont la force aujourd’hui c’est à dire les militaires quelle que soit leur option. Pour ces derniers, selon leur logique, c’est la fin de la démocratie. Les militaires qui continuent avec ou sans élections font leur affaire. Le seul hiatus pour eux, c’est comment cohabiter chez les militaires avec le clan Issoufou Mahamadou qui est leur bête noire.
Quand Issoufou navigue à vue…
Dans la posture actuelle de certains leaders politiques, d’aucuns voient la manœuvre de l’ancien président Issoufou Mahamadou alias ‘’l’autorité morale de la junte’’. Celui qui serait le parrain de la forfaiture du 26 juillet aurait joué plusieurs rôles pour la consolidation de la situation ainsi créée. Il aurait convaincu certains de ses anciens alliés de ne rien entreprendre pour contrarier la transition car au finish, les militaires allaient lui rendre l’ascenseur. A propos des manœuvres de l’ancien président, un acteur politique qui a requis l’anonymat nous a confié : “ma conviction est que Issoufou Mahamadou n’a aucune stratégie par rapport au PNDS Tarayya si ce n’est sauvé sa propre personne. Toute sa stratégie était basée sur la démission du président Bazoum et une transition de 6 mois pour revenir au pouvoir. Dès que cela a capoté, il navigue à vue. Lui et ses soutiens naviguent au gré des évènements tout en montrant qu’ils constituent le rempart du CNSP contre Bazoum et les labousanistes”. C’est dire qu’en panne de stratégie, Issoufou Mahamadou fera corps avec la junte quelle que soit l’orientation de cette dernière. C’est un truisme de dire que lui et ses sbires vivent au gré des évènements. Ceux qui ont par cynisme plongé le pays dans l’imbroglio actuel n’ont aucune vision aujourd’hui de sortie de crise en dehors de celle de sauver leur peau.
A l’épreuve des faits, de la démocratie, Issoufou et son clan n’ont en tête que l’aspect conquête du pouvoir; l’aspect Etat de droit ne les a jamais préoccupés. Sa posture pendant ses deux mandats en dit long sur la situation des libertés fondamentales au Niger. Dans la petite logique de T3, puisque c’est Tiani qui a le pouvoir et que les marchés de gré à gré continuent pour ses amis quelle stratégie va-t-il avoir ? Juste pour son confort, avoir quelques obligés qui vont le défendre sur les réseaux sociaux s’il est attaqué. Son ami Foumakoye Gado, malgré le poids de son âge, son fils Abba et les autres doivent prendre leur mal en patience en continuant à garder prison.
De ce qui précède, il va sans dire que l’inertie de la classe politique nigérienne est inhérente à l’activisme et la complicité de certains ‘’grands leaders’’. En plus de certains opportunistes de la société civile, il y a une liaison dangereuse entre la junte et une partie de l’élite politique notamment des leaders proches du président Bazoum.
C’est justement ce qu’écrit l’Ambassadeur Liman Tinguiri dans sa lettre à paraitre lundi prochain aux éditions Kartala dans l’ouvrage collectif ‘’ 26 lettres au Président Mohamed Bazoum’’ : “M’expliquer ce qui s’est passé ce 26 juillet a développé chez moi une sorte de tropisme pour les livres de sciences politiques. C’est ainsi que je suis tombé sur les travaux d’une équipe de chercheurs menée par Bruce Bueno de Mesquita. Leur ouvrage, « the logic of political survival, MIT Press, 2005 », propose une explication rationnelle de ce que, avec beaucoup d’autres, nous avions perçu intuitivement : le putsch du 26 juillet est le fait de tes amis politiques”.
Elh. M. Souleymane
L’Autre Républicain du jeudi 28 novembre 2024
