27.2 C
Niamey
6 décembre, 2024
spot_img

Débat : l’ordonnance portant déchéance de nationalité au peigne fin

Une journée de réflexion sur l’espace civique au Niger, s’est déroulée ce jeudi 28 novembre à Alternative Espace Citoyens (AEC), sous le thème général : “L’ordonnance 2024-43 du 27 août instituant un fichier (FPGE) : quelles implications pour l’Etat de droit et les libertés des citoyens ?” Trois juristes et un acteur de la société civile ont décrypté l’ordonnance portant FPGE. Il s’agit de Dr Hassan Boubacar, enseignant chercheur et ancien ministre de la justice, Ibrahim Diori, juriste (Doctorant), Mamane Wada, Transparency International section Niger et Me Rabiou Oumarou, avocat à la Cour sous la modération du journaliste Albert Chaibou d’AEC.

Dr Hassan Boubacar a présenté une communication sur le sous-thème : “La déchéance de nationalité instituée par l’ordonnance 2024-43 à travers le prisme du droit de la nationalité et de l’apatridie”. Après avoir relevé le défaut de concordance entre l’ordonnance de 1984 et celle de 2024. A bien comprendre le juriste, le code pénal nigérien ne prévoit pas la déchéance de nationalité même en matière criminelle. Il renseigne que l’ordonnance de 1984 n’a que trois entrées contre 20 pour celle de 2024. Selon Dr Hassan Boubacar dans l’esprit de l’ordonnance de 1984, il est question de perte de nationalité à la différence de déchéance de nationalité. La perte de nationalité concerne les personnes qui ont acquis la nationalité à la différence de ceux qui ont la nationalité d’origine telle que commettre un crime contre l’Etat avant 10 ans d’acquisition de la nationalité. Il va sans dire selon le conférencier que la perte de nationalité ne concerne pas les citoyens nigériens d’origine encore moins la déchéance de la nationalité concoctée dans l’ordonnance 2024-43. En d’autres termes, selon Dr Hassan Boubacar, le code pénal nigérien fait une distinction entre la perte de nationalité et la déchéance de la nationalité, entre la nationalité d’origine et la nationalité acquise. Mieux, à en croire le juriste, même après avoir acquis la nationalité, après 10 ans on ne peut être objet de déchéance de nationalité.

Plus grave, selon le conférencier, cette ordonnance que les juristes ont qualifiée de ‘’sui generis’’ (qu’on ne peut comparer à rien d’autre), ‘’ne vise ni le code de la nationalité ni le code de procédure pénal’’. Ce qui lui fait dire qu’il y a comme qui dirait ‘’détournement de procédure’’ voire ‘’bouleversement de l’ordonnancement juridique du pays’’. L’ex garde des sceaux a fait observer que l’ordonnance 2024-43 porte atteinte au principe de non-discrimination avant de se demander sur l’efficacité d’une telle mesure ou que gagnerait le pays. “Quelle raison peut amener un Etat à jeter en pâture ses citoyens”, se demande-t-il avant de prôner le ‘’dialogue comme voie unique pour accéder à la paix’’ car selon lui “les lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour les lois”.

Le Doctorant Diori Ibrahim a mis en évidence la non-conformité de l’ordonnance 2024-43 aux engagements internationaux du Niger, ce qui expose le pays a des sanctions internationales. Les conférenciers ont relevé le non respect de la junte de respecter les engagements et pactes internationaux souscrits par le Niger. En substance pour Diori Ibrahim “l’ordonnance est inconventionnelle’’, elle consacre une ‘’véritable mort civile’’ avec en toile de fond le risque de son instrumentalisation contre les acteurs civiques. Cet aspect a été bien mis en évidence par Mamane Wada pour qui l’objectif de cette ordonnance vise à faire taire les citoyens notamment la société civile pour asseoir un pouvoir où tout serait permis. ‘’Le but annoncé c’est de lutter contre le terrorisme mais surtout de lutter contre les citoyens qui sont tentés de prendre leur liberté pour dénoncer les abus”, a martelé le philosophe Wada. Il a rappelé à l’assistance dans une boutade que “même les sawabistes (NDLR : militants du parti Sawaba de Djibo Bakari) qui ont pris des armes contre l’Etat sont morts nigériens” !

Me Rabiou Oumarou avait commencé sa communication avec une citation qui dit en substance que sous une époque agitée il n’y a pas de solutions simples avant de se demander comment on a pu s’asseoir pour sortir un tel texte d’une nature juridique insaisissable. Selon lui, ‘’en l’état c’est un texte à revoir’’.

 Cette idée d’améliorer l’ordonnance a été corroborée par Dr Amadou Hassan Boubacar (constitutionnaliste) dans sa contribution où il parle de ‘’cavalier législatif’’ en dénonçant le caractère hâtif de l’érection de l’ordonnance portant FPGE. Selon ce constitutionnaliste, cette ordonnance est non conforme à la constitution, même à la ‘’petite constitution’’ à savoir l’ordonnance 02 du général Tiani portant organisation des pouvoirs pendant la transition.

Le Procureur de la République, présent à cette journée de réflexion a pris la parole pour participer à ce débat scientifique entre juristes. Selon lui, l’ordonnance 2024-43 est “un texte pris dans un contexte particulier, un contexte que le Niger n’a jamais connu auparavant”. Selon le Procureur la publication de ce texte a eu des conséquences positives en faisant allusion au dépôt des armes par certains rebelles avant de reconnaitre que le texte comporte, comme toute œuvre humaine, des lacunes à améliorer.

L’ancien garde des sceaux a répliqué au Procureur de la République qu’il est certes dans son rôle mais il importe de relever que ‘’le ministère de la justice est aussi en charge des droits de l’homme”.

Il s’en est suivi un fructueux débat où magistrats, acteurs de la société civile, étudiants et journalistes ont exprimé leurs opinions sur l’ordonnance portant FPGE. Certains demandent son retrait pur et simple alors que d’autres demandent son amélioration en tenant compte de l’intérêt général.

EMS

Related Articles

Stay Connected

0FansJ'aime
3,912SuiveursSuivre
0AbonnésS'abonner
- Advertisement -spot_img

Derniers Articles