Dans une réflexion philosophique, le professeur Mahamadé Savadogo pose une préoccupation : celle de savoir si le sens de la dignité conduit-il à l’engagement ? Ou serait-ce plutôt l’initiation à l’engagement qui suscite le sens de la dignité ?
Au terme de sa réflexion, le philosophe burkinabé retient que : « la dignité n’est pas un but extérieur à l’engagement mais une valeur qui s’affirme à travers les différents niveaux de l’engagement ». Cette conclusion pose à son tour la problématique de la manifestation de la dignité comme valeur nécessaire dans l’engagement citoyen, notamment en tant qu’acteur de la société civile, éloigné des enjeux politiques.
Dans le cas du Niger, il est indéniable que la société civile est de plus en plus imprégnée par des enjeux politiques avec des prises de position, certaines plus saisissantes que d’autres. La politique, tel un jeu périlleux, peut happer tout acteur qui ose s’aventurer sur son terrain. Puisque la société civile n’a pas pu s’en éloigner, elle est aujourd’hui, absorbée par la politique avec pour conséquence immédiate : la perte de dignité et la crédibilité. Les figures de proue de cette société civile se complaisent dans l’illusion de leur engagement, se cachant derrière des idées abstraites et rêvant d’une révolution imaginaire. Le rêve de mener une révolution reste le privilège exclusif de leur esprit car c’est la seule façon de faire valoir une certaine dignité. Cette revendication n’est pas anodine, elle puise sa légitimité dans l’élan des jeunes mobilisés par ces acteurs de la société civile pour réclamer le retrait des forces françaises et américaines, tout en s’opposant vigoureusement à une intervention militaire de la CEDEAO. Ils estiment que leur engagement en soutien à la junte a été décisif pour lui assurer une assise. La junte leur doit beaucoup et cette interprétation de la situation n’est pas complètement dénuée de sens. En revendiquant une révolution, ces acteurs de la société civile cherchent à influencer la prise de décision et au-delà contrôler les faits et gestes de la junte. Ils occupent les réseaux comme relais de la junte contre ceux qui s’opposent aux coups d’Etat militaires et réclament le retour à l’ordre démocratique. Cette société civile qui souhaite remplacer la classe politique, pense qu’il est grand temps de la mettre au rebut. Ainsi, l’entente tacite avec la junte qui repose sur une convergence d’intérêt est née de la situation politique volatile du pays. En effet, la société civile et la junte entretiennent une relation d’interdépendance, chacune tirant avantage de l’autre, bien que poursuivant des agendas différents. Ce jeu de dupes a toujours été une caractéristique dominante de la scène politique au Niger, et c’est pourquoi il est difficile de voir la dignité dans ce genre de jeu malsain.
En organisant des manifestations de soutien à la junte, en critiquant le système démocratique et en plaidant pour l’établissement d’un régime militaire permanent, la société civile démontre au monde qu’elle a perdu son âme. De plus en plus incarnée par des personnages controversés qui ne cherchent qu’à se réaliser socialement, la société civile nigérienne n’est plus digne de confiance. Elle demeure caractérisée par une volatilité persistante, une division marquée, des intérêts variés et une allégeance sans faille envers les plus généreux. Habitués des subsides des occidentaux, il n’est pas surprenant que certains acteurs de la société civile s’en prennent à la junte lorsque cette dernière ne pourra plus subvenir à leurs besoins.
Plombée dans une liaison dangereuse, la société civile est désormais perçue comme un outil usé à double tranchant, suscitant une méfiance généralisée. Dans ces conditions, chaque protagoniste a la propension à établir sa propre société civile, qu’il met ensuite à profit en fonction des enjeux auxquels il est confronté. Pour éviter une généralisation qui sonne désagréable, il est plus cohérent de parler de la société civile de la junte, de la société civile de Issoufou Mahamadou, de la société civile pro démocratie, de la société civile digne, de la société civile indigne etc.
La diversité des sociétés civiles met en lumière la complexité qu’impliquerait la tentative pour un individu ou un groupe de devenir le souverain incontesté du Niger. Nul ne détient l’exclusivité de la nigeriennété, encore moins cette société civile issue de la junte qui lutte pour retrouver ne serait-ce qu’un soupçon de dignité.
La rédaction
L’Autre Républicain du jeudi 21 novembre 2024