Les trois pays du Sahel constitués en une alliance ont acté leur sortie de l’espace CEDEAO avec la célébration ce 28 janvier du premier anniversaire de leur retrait effectif. Les 12 mois de latence pour un éventuel revirement n’ont pas suffi à infléchir leur volonté unilatérale de mettre fin à ce projet d’intégration économique régionale.
L’image même si elle est anecdotique est historique avec la baisse des pavillons de ces 3 pays dans la cour du siège de l’organisation régionale à Abuja : c’est une aventure, une communauté de destin de 50 ans qui s’achève, acté par l’article 91 du traité révisé de la CEDEAO. L’organisation naguère vantée pour sa stabilité et des acquis non négligeables ne compte plus que 12 pays (dont 5 anglophones, 5 francophones et 2 lusophones).
Les défis n’ont pas manqué à se poser à cette organisation puisque la Mauritanie a dû quitter la communauté en décembre 1999 pour se rapprocher de ce qu’elle estimait son espace naturel, le Maghreb avec l’Union du Maghreb Arabe (UMA) créée en 1989. Mais la realpolitik s’est imposée à Nouakchott qui a gardé des liens commerciaux et économiques (vu sa proximité géographique avec le Sénégal et le Mali) au point où elle songe à réintégrer l’organisation ouest-africaine face à une UMA moribonde qui n’a jamais réellement fonctionné. Le Maroc en perpétuelles querelles byzantines avec l’Algérie au sujet du Sahara occidental compte suivre le même chemin en déposant une demande d’adhésion le 24 février 2017, candidature encore en examen.
De l’urgence de grands ensembles
Les pays africains ont toujours privilégié les ensembles d’intégration constatant la faible viabilité de certains Etats au sortir de la colonisation. Ces organisations assez restreintes d’ordre politique comme le Conseil de l’Entente mis en place en 1959, agricole comme l’OCLALAV dans la lutte anti-aviaire avant 1960 ou économique, culturel ou social comme l’Organisation Commune Africaine et Malgache (OCAM) en 1965 ont été précurseuses des futures communautés économiques régionales (CER) encouragées par la Communauté Economique Africaine (CEA) en 1991. Bien que certaines organisations aient déjà vu le jour et sont fonctionnelles à l’instar de la CEDEAO.
Des huit CER reconnues par l’Union Africaine[1], la CEDEAO tient la dragée haute de par sa dimension et son impact dans la région ouest-africaine.
De la CEAO à la CEDEAO : une affaire nigérienne
Cette sortie unilatérale ferait comme tout expert averti, retourner dans leur tombe, les 2 premiers chefs d’Etat nigériens qui en ont fait de ces organisations une affaire personnelle.
La Communauté économique de l’Afrique de l’ouest (CEAO) a vu le jour le 17 avril 1973 à Abidjan ratifiée par les 6 Etats francophones : Côte-d’Ivoire, Haute- Volta, Mali, Mauritanie, Niger et Sénégal. Le président Diori Hamani a pesé de tout son poids et de son leadership pour l’avènement de cet ensemble d’intégration, l’un des premiers d’envergure en Afrique. L’intégration justement est au cœur du projet de la CEAO puisque son article 4 évoque de mettre en œuvre « au niveau régional, une politique active de coopération et d’intégration économique », mais aussi d’espace douanier unifié et de « territoire de la communauté ». Le président Diori n’a de cesse de déployer une offensive diplomatique pour faire du Niger un centre de décisions et d’intégration africaine, sans laquelle l’Afrique périra si elle ne s’unit pas, en référence au credo de Kwame Nkrumah.
La CEDEAO qui prend le pas de la CEAO dès 1975 reprend les ambitions de cette dernière en intégrant des pays anglophones qui pourraient être considérés comme des puissances régionales, le Nigeria (qui sortait d’une guerre civile cinq ans plus tôt) et le Ghana. La Côte d’Ivoire et le Sénégal, locomotives francophones enfin réconciliées, complètent le tableau d’une Afrique de l’ouest enfin réunifiée autour d’ambitions communes. Mais des structures nées de la CEAO ont perduré voire consolidé comme l’Accord de non-agression et d’assistance en matière de défense (ANAD) dont son secrétaire général, le général sénégalais Tavares de Souza est très lié au président Seyni Kountché. Cependant la ligne directrice de la CEDEAO s’efforce de développer un espace de libre-échange dont le président nigérien se fera d’ailleurs le chantre.
CEDEAO : entre défis et perspectives
Le marché commun de cette organisation avec un PIB de plus de 630 milliards de $ pour 450 millions de consommateurs (contre moins de 40 milliards $ et 65 millions d’habitants pour l’AES) est une locomotive pour le libre-échange continental à travers la ZLECAf portée en grande pompe sur les fonts baptismaux, le 1er janvier 2021. La CEDEAO possède un beau portefeuille qui pourrait être converti en actifs, suffisants pour se transformer en une puissance régionale en termes d’investissements et de développement.
Autant cette organisation comporte comme tout ensemble multilatéral des lacunes, failles et défis qui peuvent être surmontés par le retour d’expériences. Cinquante ans après, des pays qui ont quitté des organisations cherchent à revenir ou trouvent des parades pour ne pas se désarimer des ensembles auxquels ils ont appartenu (l’exemple de la Mauritanie pour la CEDEAO ou de la Grande -Bretagne pour l’Union Européenne…). Preuve que cette organisation reste l’une des entités (sinon la seule) qui reste encore active et fonctionnelle sur le continent. L’UE en 75 ans d’existence et une intégration réussie devenant le 2è puissance économique et financière mondiale (malgré un Brexit vite digéré) cherche la voie pour conserver cette hégémonie fragile devant l’offensive des BRICS.
La CEDEAO a certes du chemin à faire et perdurera car ces pays ont un potentiel économique et social à faire valoir, mais aussi une crédibilité à négocier des accords avec les grands ensembles économiques mondiaux. D’ici-là la monnaie unique annoncée en 2019 et la « CEDEAO des peuples » constitueront les chantiers majeurs où cette organisation est attendue pour acquérir la plénitude de ses actions. L’autre agenda pourrait être la mise en place d’un mécanisme sur le constitutionnalisme et la limitation des mandats ainsi que la sanctuarisation de la liberté d’expression et de presse dans l’espace CEDEAO.
Les pays de l’AES ne désarimeront de sitôt de l’organisation car leur position d’hinterlands enclavés ne leur permet pas une grande marge de manœuvre car évoluant dans l’espace UEMOA dominé par les pays de la CEDEAO, en cas de prêts ou de levée de fonds par exemple. Ils éviteront de plonger dans une autarcie qui sera préjudiciable aux peuples dans un monde où seuls les grands ensembles ont droit au chapitre.
Mais un an après l’annonce de leur sortie de la CEDEAO, les pays de l’AES n’ont toujours pas convenu avec les autres Etats de l’Afrique de l’ouest des principes de vie commune comme la libre circulation des personnes et des biens, le droit d’établissement, etc. Heureusement que la CEDEAO a annoncé un moratoire pour faciliter la mobilité des personnes et de leurs biens, la validité du passeport CEDEAO détenu par les ressortissants des pays de l’AES. Jusqu’à quand ?
La rédaction
L’Autre Républicain du jeudi 6 Février 2025
[1] L’Union du Maghreb arabe (UMA), le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), la Communauté des États Sahélo Sahariens (CEN–SAD), la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Autorité Intergouvernementale sur le Développement (IGAD), la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC)