Il y a silence et silence. En Afrique de l’Ouest, la « culture du silence » qui couvre, protège, assume, subit et tait ce qui est vraiment important est connue et perpétuée jusqu’à aujourd’hui. Souvent, on dit l’inutile, le superficiel et l’apparent pour taire ce qui pourrait faire soupçonner que quelque chose ne correspond pas à la version officielle des événements. Il y a le silence des humiliés, chargé de douleur, et il y a le silence de ceux qui n’ont plus rien à dire. Le silence de ceux qui résistent et celui de ceux qui se rendent.
Dans les évangiles, on raconte que le Christ se tait face au pouvoir politique qui lui demande des miracles et face au pouvoir religieux qui l’accuse de vouloir détruire le temple. Son silence précaire et infini représente bien la dignité de la vérité qui n’a pas besoin de défense pour se sauver. Son silence est dense de l’attente d’un événement qui percera enfin le voile qui couvrait le pouvoir du mensonge. Ce n’est que plus tard que viendra la parole, voire le cri, qui rappellera au monde que la vérité ne se vend pas.
Il se passe aujourd’hui, au Sahel, ce qui était écrit sur les murs et dans les consciences pendant la propagande de l’ère fasciste totalitaire. ‘Taisez-vous, l’ennemi vous écoute’ ! L’auteur a vu de ses propres yeux la phrase citée sur un mur délabré et abandonné du village de son enfance. Le temps finissait par tout effacer et, dans l’enfant que j’étais, l’écriture est restée longtemps. Les adultes m’avaient expliqué qui était l’ennemi et, ne l’ayant pas vu en personne, je me souviens qu’à partir de ce moment-là, me taire était un défi pour moi.
On peut se taire par peur des conséquences de l’expression de ses pensées par des mots prononcés, écrits ou seulement imaginés. L’écrivain irlandais Oscar Wilde a dit à juste titre que « la société pardonne souvent au criminel, mais jamais au rêveur ». En effet, la première chose que tout totalitarisme tente de contrôler, de mutiler et de réduire au silence, ce sont précisément les rêves, c’est-à-dire la capacité trop humaine d’imaginer un monde différent de celui que le pouvoir impose.
Cela déclenche un phénomène social bien connu qui porte le nom d’autocensure. Il consiste à expurger de toute expression publique ce qui pourrait sembler contradictoire avec le récit officiel. Tout régime totalitaire crée un « ministère de la vérité » qui aide les citoyens à hiérarchiser ce qu’il est légitime d’exprimer en public et ce qui, autrement, ferait l’objet d’un blâme et de conséquences néfastes. L’autocensure est une peur préventive qui fait taire la vérité.
Parfois, on se tait par complicité avec les mensonges dominants du système. On le fait par intérêt personnel, par arrivisme, pour une parcelle de pouvoir, ou simplement pour vivre la vie médiocre et tranquille que tout pouvoir garantit à ses sujets loyaux. Complicité et lâcheté sont des compagnons de route et l’une ne va pas sans l’autre. Les professionnels de la communication, les syndicats, la classe intellectuelle et, surtout, les « chefs religieux », chacun dans son domaine, entrent pleinement dans ce décevant jeu de dupes.
Ou bien on se tait parce qu’on a trahi, en quelque sorte, ce en quoi on a toujours cru et espéré. Et c’est la pire chose qui puisse arriver à ceux qui apprennent ensuite à leurs enfants à faire de même. Le silence qui s’ensuit n’est que tristesse et regret pour ce qui est le plus sacré, que les choix effectués ont démantelé et réduit à l’état de ruines. L’image des décombres semble être le genre de monde que nous tenons entre nos mains. Réparer les pensées, les mots, les relations est le travail qui, en silence, nous attend.
Mauro Armanino