Le dimanche 10 décembre 2023, les rideaux sont tombés sur le 64ème sommet ordinaire des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Au Niger, ce sommet étant impatiemment attendu en raison des sanctions édictées contre notre pays par l’instance communautaire en raison du coup d’Etat du 26 juillet dernier.
Une invitation officielle a été adressée au président Mohamed Bazoum pour représenter notre pays. Séquestré par le chef de la garde présidentielle, le général Tiani, c’est le Premier ministre Ouhoumoudou Mahamadou qui y a pris part en compagnie du ministre d’Etat Hassoumi Massoudou, du ministre du Commerce Alkach Alhada et du directeur de cabinet adjoint du président de la République, Daouda Takoubakoye. Ce, au grand dam de la junte.
En lâchant du lest, les chefs d’Etat de l’Organisation communautaire tiennent la junte pour unique responsable de la situation dans laquelle végètent les Nigériens. Les putschistes sont-ils désormais dans une posture dialogique ? Dans deux semaines, les Nigériens seront fixés sur la suite en fonction de la réaction des généraux du CNSP face aux propositions de sortie de crise de la CEDEAO.
Les chefs d’Etat ont joué la carte de la fermeté comme pour dire que le coup d’Etat intervenu au Niger est un coup d’Etat de trop. C’est pourquoi, ils ont maintenu l’ensemble des sanctions y compris la possibilité d’intervention militaire, appelé à la libération immédiate et sans condition du président Mohamed Bazoum, de sa famille et de ses collaborateurs. Face au manque d’engagement de la part du CNSP pour restaurer l’ordre constitutionnel, la CEDEAO désigne les présidents du Togo, du Bénin et de la Sierra Leone pour entrer en contact avec la junte en vue de proposer une sortie de crise, une fois le Président Bazoum libéré. En fonction des résultats de l’engagement du comité des chefs d’État avec le CNSP, la CEDEAO pourrait progressivement lever les sanctions imposées au Niger.
C’est dire que la balle est plus que jamais dans le camp des preneurs d’otages. Ils détiennent les clés pour la sortie de crise dans laquelle le pays est plongé depuis le 26 juillet 2023. Et comme pour tester la bonne foi du général Tiani et de ses acolytes, la CEDEAO a même fait une concession majeure en abandonnant l’idée du rétablissement du président Bazoum dans ses fonctions. On verra bien alors si la junte militaire allait accéder à la main tendue au dialogue ou bien céder aux chants de sirène de la rue de Niamey et de quelques vendeurs d’illusions qui l’invitent à quitter définitivement la CEDEAO au profit du mirage de l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Dans ce sens, l’entretien accordé à la RTN par le général Tiani verse plutôt dans la polémique au lieu de saisir l’opportunité pour sortir le pays de l’ornière. Tenez : comment comprendre que Tiani veuille présenter le président Bazoum à la limite comme un chef terroriste pour ne pas le libérer ? Comment prétendre être sensible aux souffrances de son peuple alors qu’on détient la solution ? Comment justement être pris au sérieux qu’on est disposé au dialogue et prôner l’autarcie en passant tout son temps à vilipender les partenaires ?
D’ailleurs, à tous ces courants néo-populistes adeptes de l’isolement du Niger, la diplomate Aïchatou Mindaoudou, ancienne ministre des Affaires étrangères, a fait récemment la mise au point suivante : « Ceux qui pensent que l’Afrique peut se développer seule, sans partenariats, se trompent grossièrement et ne comprennent pas l’économie ».
La balle résolument dans le camp de la junte
L’on retient du 64ème sommet de la CEDEAO, la fermeté et la disposition au dialogue pour une sortie rapide de la crise. Les chefs d’Etat n’ont pas cédé au chantage de la junte nigérienne consistant à dénigrer les dirigeants de l’institution communautaire et ternir son image. A vrai dire, le lobbying de la junte et de ses commanditaires pour la levée des sanctions ne leur a été d’aucun secours face à la détermination des chefs d’Etat à respecter et faire respecter les principes qui régissent la CEDEAO.
A la vérité, il n’y a aucune surprise. La rédaction de L’Autre Républicain écrivait à quelques jours de ce sommet : « Il est clair qu’il n’y aura pas de levée des sanctions contre le Niger et même celles qui concernent directement les auteurs et complices de ce coup d’Etat sans libération du président Bazoum. C’est une question de simple bon sens parce qu’il s’agit d’un président démocratiquement élu qui a été illégalement séquestré par sa garde. A ce stade, on ne parle même pas de son rétablissement dans ses fonctions constitutionnelles. » Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, dit-on. On ne peut pas fuir ses responsabilités en accusant les autres. Il n’y aurait jamais de sanctions contre le Niger sans le coup de Jarnac, la forfaiture intervenue le 26 juillet.
Et nous rappelions à juste titre que dans l’espace de la CEDEAO, le temps a permis de développer une jurisprudence : chaque fois qu’un coup d’Etat est perpétré dans un pays membre, la CEDEAO a exigé et obtenu la libération du président renversé. C’est notamment le cas du président malien Ibrahim Boubacar Keïta, une semaine après son renversement, du Professeur Alpha Condé, en Guinée, moins d’un mois, et du président Kaboré au Burkina Faso, un mois après. Pourquoi le président Bazoum ferait-il exception à cette règle ? Rien ne justifie la poursuite de cette séquestration. Sauf que le contexte du coup d’Etat du 26 juillet est une autre exception parce que d’une part, il n’est pas précédé d’une crise politique, institutionnelle ou sociale comme dans les autres pays, et d’autre part il n’est pas l’œuvre exclusive des officiers mais du chef de la garde présidentielle et de sa marionnettiste civile.
En refusant la libération du président Bazoum, de sa famille et de ses collaborateurs embastillés, la junte et son parrain confirment qu’ils n’ont cure des sanctions qui pèsent lourdement sur le quotidien des Nigériens : perte d’emplois et de revenus pour les ménages, cherté de la vie, inflation, suspension des chantiers structurants pour le développement du pays, etc.
De quoi la junte et son parrain ont-ils peur, eux qui prétendent exercer toute la plénitude du pouvoir d’Etat et bénéficier du soutien populaire ? En d’autres termes, le président Bazoum, même libre, ne peut logiquement perturber le sommeil de ceux-là qui disent urbi et orbi avoir la légitimité populaire de leur côté depuis le 26 juillet. Libérer Bazoum, sa famille, ses ministres et collaborateurs ne doit constituer une difficulté pour eux surtout qu’il s’agit de mettre cela sur la balance en vue de la levée des sanctions.
En décidant de la libération comme condition préalable avant tout dialogue pour la levée des sanctions, la CEDEAO a plus que jamais mis la junte devant ses responsabilités. Les généraux au pouvoir ont le choix entre maintenir le pays dans la déréliction et la misère ou saisir la perche ainsi tendue pour mettre fin aux souffrances des Nigériens. Les chefs d’Etat tiennent la junte pour unique responsable de la situation dans laquelle se trouve le Niger. Telle est la principale leçon du 64ème sommet de la CEDEAO, toute autre approche n’est que propagande ou spéculation stérile.
La rédaction