Editorial : Halte au chauvinisme !
Par Elh. M. Souleymane
Notre pays fait-il face au ‘’chauvinisme à la carte’’ ? En d’autres termes, ne sommes-nous pas dans cette posture tendant à dénigrer systématiquement les autres, c’est à dire tout ce qui est étranger au profit d’un patriotisme grégaire ?
Le moins que l’on puisse dire est que depuis le changement de régime intervenu le 26 juillet 2023, il règne une sorte de patriotisme agressif et excessif tendant à rejeter l’Autre, à l’image des mouvements nationalistes en Europe qui rejettent les approches multilatérales pour régler les conflits.
A la vérité, il y a, au Niger, un climat général, ‘’des touches de vulgarité’’, du narcissisme ici ou là, de l’arrogance, un manque d’humilité, un engagement citoyen parfois discutable de certains, qui risque de remettre en cause le vivre ensemble.
Qui plus est, les chantres de ce nationalisme débridé ont tendance à faire du patriotisme leur apanage exclusif s’autorisant, par conséquent, à décréter qui est patriote et qui ne l’est pas. Il est courant d’entendre de la part des idéologues de ce patriotisme spécieux que tel personne est apatride ou telle autre est l’ennemie du pays. Tout celui qui exprime une idée contraire est considéré comme un mal-pensant, un ennemi à abattre. Ce qui rappelle le traitement fait, en son temps, aux opposants du régime de Sékou Touré, traités de ‘’guinéens traitres’’, comme aimait le marteler le Président S. Touré lui-même sous l’emprise de la révolution guinéenne.
Nous le disons tout net, la gestion d’un Etat ne rime pas avec le populisme. C’est une triste vérité à laquelle ont été confrontés tous les pays qui ont cédé aux maîtres chanteurs et tous ceux qui mettent en avant leurs fantasmes au détriment de la réalité.
Selon Wikipédia : « Le chauvinisme est une manifestation excessive du patriotisme ou du nationalisme. Il est le reflet d’une admiration exagérée ou trop exclusive de son pays ou de son peuple ». Dans cette optique, il est naturel d’aimer son pays, le défendre jusqu’au sacrifice suprême. Il n’y a rien à redire. C’est une affaire de chacun et de tous.
Mais comme dirait l’autre, « en disant nos intérêts d’abord et peu importe les autres on gomme ce qu’une nation a de plus précieux, ce qui la fait vivre, ce qui la porte à être grande, ce qui est le plus important : ses valeurs morales. » Notre attitude à l’endroit du Nigeria qui est une grande puissance africaine en dit long sur la dose excessive de notre patriotisme.
Dans ce sens, ce qui est déplorable, c’est justement cette tendance à prôner l’isolement, l’autarcie, ce qui s’oppose à une loi de la nature à savoir que nul ne se suffit à soi-même d’où la nécessité d’accepter l’altérité. Dans le Coran, le Créateur des cieux et de la terre nous avertit qu’Il nous a créés différemment pour mieux nous connaitre, pour mieux commercer. « Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux. Allah est certes Omniscient et Grand-Connaisseur ». [Quran 49 : 13]. Il faudrait donc savoir raison garder en faisant montre d’humilité et de respect des autres pour se tirer d’affaires. Cela vaut pour un pays comme pour les individus dans leurs rapports avec autrui.
C’est Angela Merkel, chancelière allemande qui a déclaré : « La première guerre mondiale montre comment l’isolationnisme a conduit à de nombreuses destructions. Et si l’isolationnisme n’était pas la bonne solution il y a plus de 100 ans, comment pourrait-il être le bon choix aujourd’hui, dans un monde interconnecté qui compte aujourd’hui cinq fois plus de personnes ? «
Inverser la tendance…
Pour inverser cette tendance à l’intolérance et à la radicalisation observées, il nous faudrait promouvoir au moins ces trois valeurs : ALTÉRITÉ, EMPATHIE et DIALOGUE. C’est un truisme de dire que ces trois vertus font cruellement défaut dans le débat actuel au Niger. Au lieu de faire un débat d’idées, beaucoup de nos concitoyens optent pour la facilité à savoir les attaques personnelles, les insultes et autres insanités.
L’altérité signifie « le caractère de ce qui est autre » ou la reconnaissance de l’autre dans sa différence, aussi bien culturelle que religieuse ». De ce point de vue, mon approche vis-à-vis de l’autre ou autrui devrait être forcément dialogique. Le dialogue, quant lui, signifie par essence au moins deux sujets différents en interaction. Et on le sait, pour que l’échange soit possible il faut de la tolérance, l’écoute et le respect de l’Autre. Autrement, aucune vie sociale ne serait possible. Ce qui s’oppose aux postures actuelles dogmatiques, non dialogiques et inutilement belliqueuses dans notre pays.
Quant à l’empathie, c’est être compatissant, compréhensif ou encore bienveillant. Le blog des rapports humains nous dit ceci : « D’après Jean Decety, neurobiologiste, professeur à l’université de Washington, et directeur du laboratoire Social Cognitive Neuroscience à Seattle, l’empathie ne peut s’envisager que lorsque la personne fait l’expérience d’une réponse émotionnelle face à l’émotion d’autrui. De plus, la personne doit être capable d’effectuer une distinction entre soi et autrui et de réguler ses propres réponses émotionnelles. Voici donc une définition de l’empathie : Trait de personnalité caractérisé par la capacité de ressentir une émotion appropriée en réponse à celle exprimée par autrui, d’effectuer une distinction entre soi et autrui (c’est-à-dire être conscient de la source de l’émotion et pouvoir décoder l’émotion d’autrui) et de réguler ses propres réponses émotionnelles. »
Ainsi rappelés, un effort doit être fait pour que ces vertus soient prises en compte dans nos débats. Sans ces valeurs, nos joutes « démocratiques » se transformeront en batailles rangées ou conflits identitaires. Déjà l’ignorance aidant, on entend des insultes gênantes médiatisées en lieu et place d’arguments ou débats d’idées.
Dans ce contexte, vous avez beau raisonné, vous serez voué aux gémonies ou traité de tous les noms d’oiseaux sauvages. L’on a tendance de plus en plus à considérer la personne de l’interlocuteur, son identité en lieu et place de ce qu’il affirme ou pense en tant que citoyen. On ne s’écoute plus dans ce pays.
Il va sans dire qu’il n’y a pas de débat d’idées sans contradiction. Nous pensons humblement que par ces vertus (ALTÉRITÉ, EMPATHIE, DIALOGUE) on peut prévenir la violence et autres actes de désespoir inspirés par certains activistes et quelques boutefeux via les médias sociaux.
La sauvegarde de la patrie, une affaire de tous
Nous ne le disons jamais assez que dans notre pays où tout est prioritaire, il serait hasardeux de penser que l’activisme en vogue des populistes serait la panacée. Un simple survol de notre histoire politique récente pourrait convaincre ceux qui ont tendance à céder au chant des sirènes des populistes (exemples des soutiens du Cosimba ou du tazarce). Ces offres en apparence séduisantes, mais pouvant se retourner contre ceux qui les acceptent. Il faut se méfier du populisme. Tout ce qui brille n’est pas de l’or, dit-on.
A notre sens, la sauvegarde de la patrie est une affaire de chacun et de tous. Dans l’œuvre de l’édification de la nation chaque citoyen doit jouer sa partition. Autant de têtes autant d’avis, dit-on. Autrement dit, autant de personnes, autant de manières de voir différentes, autant d’opinions. Et puisqu’il faut de tout pour faire un monde, il faudrait accepter les règles élémentaires du vivre ensemble comme condition sine qua non de la paix sociale et d’atteinte de nos objectifs. C’est parce que nous avons la pleine conscience que dans la marche actuelle de notre pays, chaque nigérien a son mot à dire et doit le dire que L’Autre Républicain est né.
Après quatre mois d’existence en ligne, cette version hard de votre journal que vous tenez entre les mains se déploiera comme une aile d’aigle dans le landerneau médiatique nigérien. L’équipe à votre service est convaincue que la pluralité des opinions, la participation à la vie publique et le contrôle des politiques publiques sont devenus l’affaire de chacun. Elle est également convaincue qu’à l’ère des réseaux sociaux, les régimes à pensée unique ont vécu. C’est pourquoi elle fait sienne cette maxime d’Albert Londres : “Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie”.
Historiens du présent, pour avoir longuement travaillé la doxa (l’opinion), nous avons la certitude que la rencontre dialogique des rationalités est un enrichissement à la différence de l’autarcie qui est synonyme d’appauvrissement. Il faut s’inquiéter lorsqu’on voit le pays s’enfoncer dans le dogmatisme et l’intolérance. Nous ne sommes pas sur une autre planète : on est bel et bien au Niger où depuis plus de 30 ans les citoyens ont appris à penser par eux-mêmes. Vouloir leur imposer une pensée unique est anachronique et ceux qui caressent ce rêve feront inexorablement l’amère expérience. Nous disons simplement… il faut bannir le chauvinisme. « Le chauvinisme est une bêtise, une forme d’ignorance », disait Sékou Touré.
Elh. M. Souleymane
L’Autre Républicain N°000