Par Garba Abdoul Azizou
Garba Abdoul Azizou est analyste sécuritaire, il fut ancien Conseiller spécial à la présidence et ancien Directeur Adjoint du CNESS
La menace terroriste au Niger est liée à la fois aux conditions externes défavorables et aux difficultés internes auxquelles l’Etat est confronté. Sur le plan externe, les origines lointaines et immédiates de cette menace sont à rechercher dans la guerre américaine contre le terrorisme après les attentats du 11 septembre 2001, la naissance d’AQMI en Algérie et son implantation au Sahel, la crise libyenne et celle du Mali, respectivement en 2011 et 2012. Sur le plan interne, le chômage des jeunes et la pauvreté, le faible niveau d’alphabétisation corrélé à l’extrémisme, la corruption, le népotisme, l’injuste sociale, les tensions intercommunautaires autour des ressources naturelles rares, constituent le terreau propice où germe le terrorisme, la criminalité et les autres formes de violences. En outre, on assiste à une détresse émotionnelle à la fois individuelle et collective de la jeunesse qui peine à trouver un chemin salvateur vers un avenir radieux. En quête d’échappatoire à une vie sans perspective, beaucoup de jeunes nigériens et sahéliens en général n’ont pas hésité à gonfler les rangs des groupes terroristes et criminelles. Ce que Rik Coolsaet, professeur à l’université de Gand qualifie d’une « nouvelle culture de la jeunesse » explique par ailleurs la montée de la radicalisation dans un pays comme le Niger. Mais, ce malaise sociétal n’est pas seulement l’apanage du Niger (l’un des Etats les plus pauvres du monde), il est constaté dans tous les pays du monde entier et beaucoup plus dosé dans ceux du Sahel. Dans le cas de cette région (le Sahel), l’interconnexion des crises et conflits nés du malaise sociétal, traduit l’existence d’un complexe régional de sécurité à consolider.
Tel qu’il a été théorisé par Barry Buzan, le complexe régional de sécurité est une situation dans laquelle : « un groupe d’Etats dont les inquiétudes et les perceptions majeures de sécurité sont liées à un point tel que leurs problèmes de sécurité nationale ne peuvent raisonnablement être analysés ou résolus séparément » (Buzan :1991). Autrement dit, dans le cas d’un complexe régional de sécurité, les Etats concernés sont condamnés à agir ensemble ou périr ensemble. Aucun ne peut régler son problème de sécurité de façon isolé et indépendante. Il ne suffit pas aussi d’agir ensemble pour minimiser tous les risques et menaces sécuritaires au sein d’un complexe. Alors, pour ce faire, les Etats ont besoin de volonté politique, d’une stratégie cohérente et adaptée, de moyens financiers, de méthode et de règles capables d’encadrer la construction d’une sécurité collective.
Les limites du complexe sahélien de sécurité
Ayant les mêmes faiblesses structurelles, les Etats sahéliens ne parvenaient pas à répondre efficacement à la menace terroriste. Ils n’ont ni les capacités militaires ni celles financières pour répondre de manières efficaces à toutes les menaces sécuritaires (terrorisme, criminalité transnationale, trafics illicites, conflits intercommunautaires) qui ont jaillit dans la région. Les Etats sahéliens manquaient par ailleurs de stratégie endogène, cohérente et adaptée aux réalités de la région. Puis par contraste, on se rend compte qu’il existe une pléthore de stratégies pour le Sahel importées de l’extérieur. Toutes ces limites et l’imminence d’un assaut des groupes terroristes sur la capitale malienne en 2013 ont poussé les dirigeants sahéliens à solliciter l’aide militaire d’un pays comme la France. Quelques années plus tard, les autres pays européens, ainsi que les Etats-Unis ont rejoint la France sur le théâtre sahélien plus que jamais militarisé. A défaut d’avoir un Etat dominant, pourvoyeur de sécurité en leur sein, les Etats sahéliens ne peuvent que compter que sur leurs partenaires occidentaux pour jouer ce rôle. Le géant Nigeria aurait pu jouer ce rôle s’il n’avait pas montré aussi ses limites face au mouvement terroriste Boko Haram. Après presque une décennie de militarisation du sahel, peut-ont parler d’échec total ? L’échec de la France et des autres pays occidentaux est clair au regard de la montée en puissance des groupes terroristes et la dégradation de la sécurité qui touche désormais certains pays du golfe de guinée comme le Benin, la Côte d’Ivoire et le Togo. Mais, cet échec est avant tout celui des Etats Sahéliens qui n’ont pas été aussi capables de s’ériger en acteur de leur propre sécurité. La responsabilité est partagée à tous les niveaux : Qui a joué quel rôle, à quel moment et pour quel résultat ?
A tort ou à raison, on peut reprocher aux régimes démocratiques une mauvaise gouvernance, une gestion chaotique de la sécurité, mais qu’en est-il du rôle des armées nationales, de la société civile et même des populations de ces pays concernés par le terrorisme ?
Beaucoup d’observateurs estiment que le bilan de la lutte contre le terrorisme au Niger se résume à plusieurs centaines de milliers de victimes civiles et militaires, des centaines de milliers de personnes déplacées et/ou refugiées, des armées nationales affaiblies et humiliées et beaucoup de fonds dépensés et/ou détournés. S’il faut relativiser en essayant d’être le plus objectif possible, il est clair qu’il y’a aussi beaucoup de points positifs, notamment l’augmentation du budget de la défense, le renforcement des capacités opérationnelles de l’armée, l’acquisition de matériels de guerre, la formation des forces spéciales grâce à la coopération avec certain pays occidentaux, les campagnes de recrutement de masse d’éléments des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) qui ont significativement amélioré les effectifs dans les différents corps, la création d’une école militaire supérieure et la revalorisation substantielle des salaires des soldats etc. Au regard de tous ces acquis, l’interrogation autour des rôles des acteurs et des institutions du secteur de la sécurité demeure : Qui n’a pas joué son rôle et pourquoi ?
Lerôle de la France, qui est perçu comme paternaliste, impérialiste, sans résultats satisfaisants sur le plan militaire, a-t-il contribué à l’effondrement subite du complexe sahélien de sécurité ? Les coups d’Etat militaires au Burkina Faso, au Mali et au Niger ont-ils contribué à l’effondrement du complexe sahélien de sécurité ? Le choix politique des régimes démocratiques en est-il la principale cause de l’effondrement du complexe sahélien ?
Le débat reste ouvert à ce sujet même si aujourd’hui le Niger, le Burkina et le Mali se retrouvent dans une nouvelle dynamique, celle de l’Alliance des Etats du Sahel (AES).
Un changement de paradigme pour quels résultats escomptés ?
A notre avis, la chute des régimes démocratiques au Burkina Faso au Mali et au Niger a entrainé de facto l’écroulement du complexe sahélien de sécurité. Celui-ci était bâti autour du G5 Sahel avec sa Force Conjointe, de la CBLT avec sa Force Mixte Multinationale et de la CEDEAO avec sa Force en Attente. Certes, tous les pays membres de ces organisations ne sont pas que sahéliens, mais ils sont tous interconnectés sur le plan historique, social, économique et sécuritaire. Il s’agit là d’une situation qui lie leur destin. En effet, seul une action commune de tous ces Etats peut résoudre le problème de sécurité dans la région d’où la nécessité de renforcer le complexe sahélien de sécurité.
Malheureusement, force est de constater que le Burkina Faso, le Mali, le Niger désormais dirigé par des militaires et des régimes non démocratiques ont fait le choix de se démarquer du complexe sahélien de sécurité. En changeant de paradigme, les nouvelles autorités de ces pays ont tourné le dos aux mécanismes régionaux de construction de la sécurité collective. Par substitution, ils ont décidé de créer l’Alliance des Etats du Sahel (AES), un complexe de sécurité beaucoup plus restreint, circonscrit et peut-être ouvert. Qu’à cela ne tienne, il semble plus simple et réaliste de réformer l’existant en l’adaptant au contexte du moment que d’inventer dans l’incertitude. L’Autorité de Développement Intégré des Etats du Liptako-Gourma (ALG) aurait pu être réformée pour prendre en compte les nouveaux besoins sécuritaires. Dans tous les cas, il apparait que la sécurité grâce aux alliances est souvent précaire, à moins que ces alliances ne se contrebalance ou qu’une plus grande alliance unique n’émerge sur la base d’un équilibre interne des forces (Nichola Tsagourias & Nigel D. White : 2013).
Pour le moment l’AES se limite à trois pays enclavés, les moins avancés du monde, représentant un PIB de presque 50 milliards de dollars et qui fera désormais face à la CEDEAO dont l’un des membre (le Nigeria) à lui seul pèse presque 500 milliards de dollars. Même si le choix totalement assumé des autorités militaires des pays de l’AES répond à une frustration conjoncturelle ou à un besoin réel, il est plus judicieux d’évaluer en premier lieu les manques à gagner sur le moyen et long terme. Au-delà la polyphonie des concepts, des émotions et des décisions (communiqués, décrets, ordonnances) qui procurent un énorme sentiment de puissance, il faut se poser les questions suivantes : Qu’est-ce qu’on a à gagner, qu’est-ce qu’on a à perdre et pour quels résultats ?
Ce ne sont que des questions de bon sens lorsqu’on sait la pertinence et l’efficacité d’une décision découlent au préalable d’une parfaite maitrise de toutes les implications en termes d’enjeux et des garde-fous prévus pour minimiser les risques y afférents.
Garba Abdoul Azizou
L’Autre Républicain N°00 du jeudi 8 février 2024