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12 octobre, 2024
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SECURITE NATIONALE ET IMPORTATION DE MERCENAIRES :

 LES ENJEUX D’UN RECOURS AUX SERVICES DE WAGNER

Par Garba Abdoul Azizou

Depuis le coup d’Etat du 26 juillet, les autorités militaires ont réchauffé les relations diplomatiques entre le Niger et la Russie. Certains y voient une volonté de la junte de recourir aux services du Groupe Wagner à l’instar du Mali. En revanche, d’autres estiment qu’il s’agit juste d’un raffermissement de la coopération nigéro-russe qui n’augure aucun danger pour la sécurité nationale et pour l’Etat. Les spéculations vont bon train et les avis sont partagés, ce qui est tout à fait légitime après une mise à la porte spectaculaire des troupes françaises.

Mais, s’il faillait remplacer Jacques par Pierre quelles sont les implications ? Autrement formuler, en cas de recours de la junte aux services du Groupe Wagner, quels sont les enjeux pour l’Etat ?

Les exemples de la République centrafricaine (RCA) et du Mali peuvent aider à répondre à cette question.  

Esquisse d’un bilan de la présence de Wagner en RCA et au Mali 

Un bilan exhaustif de la présence de Wagner en RCA et au Mali n’est pas aussi simple à dresser faute d’accès aux données nécessaires pour un tel exercice. D’ailleurs, même si c’est le cas, il n’est évident d’établir un tel bilan au regard du flou total qui entoure le Groupe Wagner. Cependant, quelques questionnements sur la pertinence et la cohérence des choix politiques, peut nous aider dans la réflexion sur le bilan de la présence de Wagner dans ces deux pays.

La littérature sur Wagner est assez abondante, elle offre une bonne base pour le type d’analyse que nous proposons à travers ces lignes. De prime abord, un constat général se dégage dans la majorité des rapports et des études sur le Groupe Wagner : le louage des services de ce dernier coûte extrêmement cher. Pour qu’un pays pauvre comme le Niger loue les services de Wagner, il sera obligé de sacrificier l’investissement dans beaucoup de secteurs vitaux de l’Etat. Mais, au lieu d’investir des montants faramineux dans une Société Militaire Privée pour assurer la Sécurité Nationale du pays, n’est-il pas mieux de les investir dans l’armées en vue de la rendre plus apte à jouer son rôle ?

Sur un tout autre registre socioéconomique, un pays comme le Niger gagnera en sécurité lorsqu’il décide d’investir dans l’éducation, la santé, le logement, l’énergie, l’hydraulique, l’agriculture, l’élevage, les infrastructures hydrauliques et routières, les entreprises, l’emplois, les services publics etc. Il est très clair que les ressources financières captées par le Groupe Wagner pour la sécurité en RCA et au Mali, constituent un manque à gagner pour le développement socioéconomique de ces pays. Un rapport du Global Initiative Against Transnational Organized Crime, publié en février 2023, indique que Wagner a tout simplement procédé à une capture de l’Etat en RCA ; son influence dans le pays est à la fois militaire, politique et économique. Wagner contrôle presque la quasi-totalité des ressources naturelles de la RCA, notamment l’or et le diamant. A travers des sociétés écrans, Wagner exploite le secteur minier et forestier du pays qui rapporte beaucoup d’argent blanchit sur le marché international. C’est cela le coût de la Sécurité Nationale centrafricaine et de la maintenance de la présidence de Faustin Archange-Touadéra. Paradoxalement, les rapports d’OCHA montrent que les populations continuent de faire face à la pauvreté chronique et à l’insécurité. 

Dans le cas du Mali, un rapport de Blood Gold publié en décembre 2023 indique que les mercenaires russes du Groupe Wagner sont payés à 10,8 millions par mois, par la junte militaire. Cette dernière tire ces ressources financières des recettes fiscales des sociétés minières comme la canadienne Barrick Gold Corporation qui a par exemple versé 206 millions à l’Etat malien au seul premier semestre de l’année 2023. Le même rapport indique que les sociétés minières telles que : B2Gold, Resolute Mining et Allied Gold Corporation – continuent de fournir des millions de dollars à la junte militaire qui, visiblement veut se maintenir au pouvoir au détriment d’un retour du pays au processus démocratique. Pourtant, l’insécurité persiste dans l’ensemble du pays en dépit de la reconquête symbolique de Kidal. Malgré la présence de Wagner, les chefs djihadiste du GSIM (Iyad Aghali, Amadou Koufa, Abou Oubeida) continuent de planifier des attaques meurtrières contre les armées et les populations du Burkina, du Mali et du Niger. La neutralisation dans le nord du Mali de plus d’une dizaine de chefs terroristes redoutés a été l’œuvre des troupes françaises. Wagner est plutôt pointé du doigt pour des cas de massacre des populations civiles (Moura par exemple). 

In fine, dans le cas de la RCA et du Mali, le rapport de Blood Gold dresse le bilan très négatif de la présence de Wagner. Ce dernier a tendance à protéger les régimes de ces pays qu’a contribué à la construction de la Sécurité Nationale. La présence de Wagner a simplement et efficacement favorisé l’enracinement de l’autoritarisme, l’effondrement des institutions démocratiques, la persistance de l’insécurité, le pillage des ressources naturelles, la réduction au silence des rivaux internes et l’affaiblissement des armées nationales. Dans ces conditions, peut-on parler de démocratie, de développement et de paix durable ? L’avenir nous édifiera ! Les enjeux socioéconomiques, politiques et sécuritaires d’un déploiement de Wagner au Niger Tous les pays africains qui ont recours aux services de Wagner sont en belligérance interne avec des armées nationales faibles. Ces armées n’arrivaient pas à faire face à l’ennemie et les régimes se sentaient de plus en plus en insécurité. Mais, puisque ces pays disposent généralement de ressources naturelles, les autorités en souffrance n’hésitent pas à recourir aux services des Sociétés Militaires Privées pour garantir leur propre sécurité. La sécurité du régime et confondu à la Sécurité Nationale d’où les dérives qu’on constate dans une telle situation.  Le Niger n’est pas dans ce cas, il dispose d’une armée solide comparativement à la RCA et le Mali qui, dans un passé récent, n’en disposaient pas. L’armée nigérienne n’a jamais connue de faiblesse comme c’était le cas de l’armée malienne en 2013. Très affaiblie, elle était incapable de faire face à l’offensive des groupes djihadistes qui visaient une prise de Bamako. Il a fallu l’intervention militaire de la France pour stopper cette avancée spectaculaire des djihadistes qui étaient aux alentours de Sevaré après avoir pris la ville de Kona dans la nuit du 9 et 10 janvier 2013.   L’armée nigérienne n’a jamais connue une faiblesse pareille et si après le coup d’Etat du 26 juillet la junte militaire a demandé le départ des troupes françaises, c’est parce qu’elle estime que l’armée est capable d’assurer seule la défense du territoire national, ainsi que la protection des populations. Il n’existe donc pas de raison objective qui justifierait un recours aux services de Wagner pour assurer la Sécurité Nationale du pays. Mais, si cela devrait arriver, ce qu’il y’a d’autres raisons à chercher ailleurs. Dans tous les cas, un recours à Wagner comporte des enjeux à hauts risques qu’on peut mettre en évidence sur le plan socioéconomique, politique et sécuritaire. Sur le plan socioéconomique, on sait déjà que le Niger est sous sanctions de la CEDEAO même si la junte a déclaré l’Etat n’en fait plus partie. Toutefois, ces sanctions limitent considérablement les ressources financières de l’Etat car l’impact concerne tous les secteurs socioéconomique du pays. Dans un tel contexte, quelle est la logique qui peut motiver le recours aux services de Wagner ? Il y’a beaucoup mieux à faire dans un pays comme le Niger qui fait face à d’énormes défis de sécurité et de développement. La seule option militaire ne peut régler le problème de sécurité sans les actions de développement. Par exemple, l’investissement dans les infrastructures routières pour désenclaver les zones les plus reculées et en proie à l’insécurité peut favoriser la mobilité des biens et des personnes, d’offrir les services publics et de contribuer au renforcement de l’économie locale. Un investissement dans l’agriculture, l’élevage et les marchés ruraux permet de renforcer le pouvoir d’achat des populations dans ces zones rurales.

Par ailleurs, il est avéré que c’est la montée du chômage des jeunes qui est à l’origine d’un mécontentement social grandissant dans les pays du Sahel. C’est pourquoi, il est plus raisonnable d’investir dans la création des opportunités pour les jeunes au lieu de dépenser des milliards dans le recrutement de mercenaires. C’est parce que les jeunes sont confrontés aux inégalités, à l’injustice sociale et au manque de perspective qu’ils se tournent donc vers les groupes djihadistes avec l’espoir d’un autre avenir. Le défi démographique est à considérer dans le moyen terme en vue de trouver un chemin radieux à cette jeunesse qui est une bombe à retardement. Au regard de tous ces enjeux, il est clair qu’un recours aux services de Wagner sera désastreux pour l’économie du Niger.

Sur le plan politique, les enjeux ne manquent pas non plus. Il est important de rappeler que le Niger vit une situation d’instabilité politique qui menace même l’unité nationale. Au moment où nous écrivons ces lignes, on ne sait pas encore si on est dans une transition ou dans un régime militaire qui cherche à se consolider. Aucune vision ne se pointe à l’horizon laissant le pays dans l’incertitude totale. Dans un tel contexte, est-il judicieux de recourir aux services de Wagner pour la sécurité du pays ? Le Niger a sa singularité en matière de gestion de crise politique seule condition pour une paix durable. La priorité, c’est de résorber l’instabilité politique du moment en préservant les acquis en matière de coexistence pacifique et d’inclusivité dans les prises de décisions.     

Malheureusement, force est de constater que certaines décisions ont contribué à isoler le Niger qui a pourtant bâti sa politique extérieure sur les notions de « bon voisinage » et « d’intégration africaine ». Sur le plan international, le Niger a toujours entretenu d’excellentes relations diplomatiques des grandes puissances sans autant prendre position dans leur conflit. D’ailleurs, le Niger a siégé deux fois comme membre non-permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU aux cotés des cinq membres permanents. Tout cela montre qu’il est un pays crédible dont la voix compte dans les prises de décisions internationales. Ces acquis sont à préserver pour que le pays continue de bénéficier des avantages de la coopération avec certains pays amis. Parmi ces pays figure les Etats Unis qui a clairement et ouvertement montré son hostilité envers Wagner qu’ils considèrent comme un groupe criminel à combattre. 

C’est aussi avec une réelle volonté de coopérer que les Etats Unis a manifesté son grand intérêt pour le Niger. Niamey abrite l’une des leurs plus grandes Ambassades en Afrique. Ils ont construit également l’une des plus importantes bases aériennes de l’US force à Agadez en appui à la lutte contre le terrorisme. Dans la même lancée, l’armée bénéficie de l’appui des américains dans la maintenance des avions IRS (renseignement, surveillance et reconnaissance), dans la formation des forces spéciales et dans la logistique. Le déploiement de Wagner au Niger mettra systématiquement fin à cette coopération avec les Etats Unis qui considèrent que c’est la ligne rouge à n’est pas franchir. Il est très facile d’ouvrir front à la fois, mais pour gagner quoi avec qui et pour quelles conséquences ?

Sur le plan sécuritaire, une forte corrélation a été établie entre la fragilité des états et la problématique sécuritaire au Sahel. Cette fragilité se manifeste par un certain nombre de faiblesse qui concerne entre autres, l’absence totale de l’Etat dans certaines zones, le détournement des moyens prévus pour atteindre les objectifs de sécurité, le manque de moyens pour lutter contre le terrorisme etc. Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, le Niger a fondé sa réponse contre le terrorisme autour du nexus sécurité et développement. Sur le plan de la sécurité, l’Etat a privilégié l’option militaire à travers la défense des frontières contre les incursions des groupes terroristes et à travers des patrouilles et contrôle du territoire. Cette option a montré son efficacité puisque l’armée a su préserver l’intégrité du territoire et aucune portion n’a échappé au contrôle de l’Etat comme c’était le cas au Burkina et au Mali. Après une décennie de lutte contre les groupes djihadistes, l’armée a acquis beaucoup d’expérience de la guerre asymétrique. Les Forces Armées Nigériennes (FAN) ont également gagné la confiance des populations qui collaborent de plus en plus. En matière d’armement, minutions et autres accessoires, on constate une véritable montée en puissance de l’armée qui dispose d’armement individuel et collectif assez efficace, de personnels techniques qualifiés pour la maintenance, de nouveaux hélicoptères de combat et de moyens ISR etc.

En matière de formation, l’armée dispose désormais d’une expertise technique en matière de formation et d’élaboration de programmes de formation. L’Ecole Militaire Supérieure est l’une des illustrations. Dans le cadre opérationnel d’assistance militaire, les principaux partenaires du Niger (Allemagne, Belgique, Canada, Italie, France, Etats Unis) ont beaucoup contribué à la formation et l’équipement de plusieurs Bataillons Spéciaux d’Intervention (au moins 12 BSI répartis dans tout le pays). Grace à la coopération allemande, le premier Centre d’entrainement des forces spéciales a été inauguré à Tillia, le 15 juillet 2021. A la base d’un projet ambitieux de développement capacitaire, l’actuel chef d’Etat-Major des armées à une parfaite connaissance des enjeux. S’il s’agit uniquement de faire face aux groupes terroristes, les FAN disposent de toutes les capacités opérationnelles à cet effet. Un recours aux services de Wagner visera peut-être d’autres objectifs, mais pas ceux d’assurer la Sécurité Nationale du Niger qui incombe aux seules Forces de Défense et Sécurité (FDS) de manière générale.

 Garba Abdoul Azizou

Analyste sécuritaire

Ancien Conseiller Spécial à la Présidence

Ancien Directeur Adjoint du CNESS 

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