Cela fait sept mois que la détention extrajudiciaire du président Mohamed Bazoum perdure. Ses partisans l’assimilent sans euphémisme à une prise d’otage. En cette veille de Ramadan, l’on est en droit de se demander pourquoi nos généraux gardent-ils encore Mohamed Bazoum et son épouse Khadidja ainsi que les autres dignitaires constitués prisonniers politiques ? Les menaces d’intervention militaire tout comme les sanctions de la CEDEAO et de l’UEMOA sont bien derrière nous. Le moment n’est-il pas venu pour la junte de rassembler les nigériens et les énergies pour un nouveau départ ? Avec le recul, au regard de la lâcheté de la classe politique et celle des contre-pouvoirs, Mohamed Bazoum n’est-il pas ce martyr de la démocratie nigérienne sacrifié sur l’autel d’intérêts particuliers ? Eléments de réponse.
Il faut déplorer le silence assourdissant sur la situation de la famille présidentielle notamment celle de Madame Bazoum. Même sur le terrain de la guerre, les personnes âgées, les femmes et les enfants ont droit à la protection. Nos généraux formés sous l’ère des droits humains ont-ils oublié que le monde les observe ? Ont-ils déjà oublié leur adhésion aux principes de l’Etat de droit qui suppose le respect scrupuleux de la loi ? Où sont les officines de défenseurs des droits humains ? Où sont les sages d’ici et d’ailleurs pour regarder impuissants une famille privée de liberté sans autre forme de procès ? Le jeune Salim Bazoum, un étudiant à peine sorti de l’adolescence, a dû vivre ce calvaire avec ses parents pendant plus de 5 mois avant son exfiltration au Togo au lieu de le laisser poursuivre librement ses études.
Tout se passe comme si la raison a déserté les consciences et que les Nigériens ne s’écoutent plus. Comment admettre tant de complicité et de traitrise sous de fallacieux prétextes sur un homme dont le seul péché est de vouloir donner le meilleur de lui-même et instaurer une gouvernance vertueuse des ressources du pays ? A bien d’égards, Bazoum ne mérite pas ce sort. Et tôt ou tard, ceux qui l’accablent aujourd’hui de tous les noms d’oiseaux sauvages finiront par comprendre qu’en matière de bonne gouvernance, Bazoum n’est pas à bannir. Bien au contraire. C’est leur allié objectif. Il est victime de sa volonté de vouloir assainir et faire profiter tous ses concitoyens des ressources du pays à la différence de certains rapaces qui ont voulu le prendre en otage en tentant de lui imposant leur agenda boulimique et mesquin.
Nous ne sommes pas à notre premier coup d’Etat au Niger sous l’ère démocratique, mais est-ce que Mesdames Tandja et Ousmane, pour ne citer que celles-ci, ont subi tant de torture et de violence comme Mme Bazoum ? On pourrait nous rétorquer que Aïssa Diori a été lâchement assassinée à l’occasion du putsch contre son époux. Paix à son âme. Le sort du président Baré (paix également à son âme) a aussi été dramatique tant la barbarie était au rendez-vous. C’est une page sombre de notre histoire qui n’empêche pas la demande de justice des ayants droits. Il aurait fallu un pacte républicain pour vider ces dossiers d’injustice.
Notre propos est de dire humblement aux militaires que continuer à détenir l’ex couple présidentiel sans aucune poursuite judiciaire ne saurait les grandir. Bien au contraire. Mais comme à l’ère du populisme, la raison semble déserter les consciences, il y a lieu de se plaindre de la démission de tous. Les partis politiques qui ont subitement oublié leur vocation pour applaudir les putschistes, les organisations de la société civile qui confondent vitesse et précipitation en se reniant, et d’autres acteurs de la démocratie qui se sont réduits en simples porteurs d’eau de la junte en choisissant d’aller à contre-courant de notre processus démocratique.
Lorsqu’on a observé des individus assez « civilisés » dans ce pays se substituer à la police de circulation pour fouiller, violenter et racketter des paisibles citoyens, on se rend compte que la boîte de Pandore ainsi ouverte risque d’échapper au contrôle des généraux maîtres de la révolution du Palais. Pire, lorsque la télévision nationale devient un outil de propagande et de promotion des contre valeurs, il y a mille et une raisons de s’inquiéter. Les médias publics ont la noble mission d’éducation et de sensibilisation des citoyens. Faisons attention. Ce pays est très fragile. Les actes posés par certains accompagnateurs du tourbillon actuel risquent d’engager le pays à la guerre de tous contre tous. Il urge de décrisper la situation. Après la levée des sanctions de la CEDEAO, les généraux aux commandes de ce pays doivent lâcher du lest pour un nouveau départ qui engage tous les citoyens.
Si la sauvegarde de la patrie se réduit au slogan sans contenu où quelques-uns pourraient marcher sur l’unité nationale et toutes les valeurs qui cimentent notre vivre-ensemble, autant dire que les généraux ont du fil à retordre. Il ne faudrait pas réveiller les vieux démons. L’intrusion des militaires sur le terrain politique doit tracer une ligne de démarcation entre le jeu politique traditionnel, la guéguerre des politiciens et l’intérêt général. Mais loin de cela, en plus du populisme érigé en règle de gouvernement, les intrigues et autres coups bas dans l’optique de positionnement des parents, amis et connaissances restent et demeurent contre toute attente dans notre pays sous le magistère du général Tiani.
De ce qui précède, il apparaît clairement que le challenge pour les nouveaux maîtres de Niamey, c’est de faire en sorte que ce pays soit encore paisible, uni et crédible. Le monde nous observe. Nous ne le disons jamais assez que dans notre pays où tout est prioritaire, il serait hasardeux de penser que l’activisme en vogue des populistes serait la panacée. Un simple survol de notre histoire politique récente pourrait convaincre ceux qui ont tendance à céder aux chants de sirène des populistes (exemples des soutiens du Cosimba ou du Tazarce). Ces offres en apparence séduisantes, mais pouvant se retourner contre ceux qui les acceptent.
A notre sens, la sauvegarde de la patrie est une affaire de chacun et de tous. Dans l’œuvre de l’édification de la nation, chaque citoyen doit jouer sa partition. Autant de têtes autant d’avis, dit-on. Et puisqu’il faut de tout pour faire un monde, il faudrait accepter les règles élémentaires du vivre-ensemble comme condition sine qua non de la paix sociale et de la préservation de l’intérêt général. Le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), s’il en est un vraiment, doit décrisper la situation sociopolitique. Le pays ne saurait tenir dans l’imbroglio permanent. Il n’y a plus de raison de continuer à entretenir une psychose, une sorte de paranoïa comme mode de gouvernance. Il est grand temps de passer à autre chose notamment aborder les vrais défis pour le pays.
Le silence assourdissant des contre-pouvoirs sur la situation de Bazoum, ce démocrate convaincu aujourd’hui sacrifié est plus qu’inquiétant. Celui de ses alliés, ses amis politiques et camarades n’est que lâcheté et traitrise. Dans le même ordre, le silence complice de son prédécesseur et ami de plus de 30 ans en est le prototype de l’indignité et de la félonie. Issoufou Mahamadou a-t-il décidé de tirer sa révérence en infame ? Pourquoi tant de manque d’humanisme et cannibalisme politique chez certains politiciens au Niger ? Pour quel péché quelques-uns ont décidé de sacrifier un homme aussi altruiste et proactif pour son pays et le monde ?
C’est vraiment le monde à l’envers lorsqu’on constate que Issoufou Mahamadou est le parrain du putsch contre son parti. A ce jour, il est le seul homme politique qui s’est activé pour une période de transition à travers son ‘’machin’’ de Dynamique citoyenne pour une transition réussie (DCTR). A-t-il compris que les putschistes n’entendent pas organiser des élections et voudraient la promotion des régimes militaires purs et durs comme au Mali et au Burkina ? Son pacte avec Tiani pour son retour aux affaires n’est plus à l’ordre du jour. A l’épreuve des faits, Issoufou Mahamadou doit avoir l’honnêteté de reconnaitre que son calcul égoïste lui a fait tout perdre. Un président de la République en otage, des ministres et députés en prison, des responsables du PNDS en exil, la perte de tous les postes occupés par les cadres dans les institutions étatiques, la chasse aux sorcières, etc c’est le bilan qui doit résonner dans la conscience d’Issoufou dans sa bulle gardée par la garde présidentielle ! Et pire, il a fait perdre la démocratie à son pays, lui, qui, depuis les combats contre Baré et Tazarce se prenait pour le père de la démocratie.
Nul doute, que quand les labousanistes réaliseront que Bazoum n’est qu’une victime de la boulimie de quelques-uns, quand ils comprendront qu’il a été victime d’une guerre de pétrole, quand ils sauront, sur le tard, le sens élevé du respect des biens publics et l’opposition au bradage des ressources du pays par le président Bazoum, ils lui présenteront leurs plates excuses. Les Nigériens sauront qu’ils ont bel et bien été… roulés dans la farine.
Elh. M. Souleymane
L’Autre Républicain N°004 du jeudi 7 mars 2024